La capture de mouvements, du corps comme du visage, est présente aussi bien au cinéma que dans le jeu vidéo depuis de nombreuses années. La motion capture, et la plus précise encore performance capture, sont utilisées pour enregistrer de la manière la plus précise possible les mouvements et les attitudes d’acteurs, qui vont donner vie, par ce biais, à des personnages virtuels.
Sans performance capture, pas de César dans La Planète des Singes, pas de Gollum dans Le Seigneur des Anneaux, pas de Na’vis dans Avatar… mais également, pas de jeux comme The Last of Us, ou encore pas de titres sortis du studio Quantic Dream, énorme consommateur de ces technologies.
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En garde !
Il reste cependant difficile de comparer la performance capture réalisée pour le cinéma et celle réalisée pour le jeu vidéo. La raison est simple : le premier affiche des scènes enregistrées, et donc précalculées, là où le second mise la majeure partie du temps sur le temps réel. Certes, la performance capture est aussi là pour les cinématiques, mais c’est davantage dans le réalisme des mouvements et du comportement des personnages que l’on joue que l’on se rend compte, en tant que joueur, si une expérience est immersive ou pas.
Tout cela pour en venir à For Honor, un titre dont le développement a débuté en 2013 au sein d’Ubisoft Montréal. Dans ce hack’n’slash des plus violents où s’affrontent chevaliers, vikings et samouraïs pour la défense de territoires sauvagement disputés, on se rend vite compte que foncer dans le tas l’arme prête à frapper est loin d’être un gage de succès. À vrai dire, il est plus utile de maîtriser l’esquive et le système de garde que de savoir sur quelles touches appuyer pour attaquer. C’est également plus difficile.
For Honor utilise une nouvelle techno : le motion matching
On ne se rend pas forcément compte tout de suite du travail effectué par les développeurs du jeu pour rendre les affrontements le plus crédible et réaliste possible. Et pourtant, quand on enchaîne les parties, on finit par le découvrir, pour ne presque plus voir que ça : la palette de mouvement des combattants est vraiment très, très large. Qu’il s’agisse des attaques, des parades, des mouvements lors de la marche ou de la course, chaque personnage dispose d’animations qui lui sont propres et lui offrent un comportement très organique.
Derrière ce constat se cache le motion matching, une nouvelle itération de la performance capture, développée spécifiquement pour For Honor par Ubisoft Montréal. « J’ai commencé à travailler sur ce qui allait devenir le motion matching en 2012, après la fin du développement d’Assassin’s Creed 3 » nous explique Simon Clavet, Animation Programmer chez Ubisoft Montreal. « J’y travaillais indépendamment, en dehors de toute production, avec un petit groupe de recherche. Le développement de For Honor commençait au même moment, et je connaissais quelques personnes impliquées. Je me suis alors dit que c’était le bon endroit pour commencer à tester ce code. Comme l’équipe n’était à l’époque composée que d’une vingtaine de personnes, ça n’a pas été difficile de les convaincre. »
Si l’on se rend assez facilement compte de l’impressionnante palette de mouvements proposés dans For Honor, comprendre précisément ce qu’est le motion matching est un peu moins aisé. Là encore, Simon Clavet nous éclaire : « Dans le système d’animation traditionnelle, quand le joueur veut courir, il pousse le stick et une ligne de code interprète : si la vitesse de base est de zéro, alors la vitesse désirée est supérieure à zéro, donc on joue l’animation « startanimation ». Il a une grande liste de cas similaires, mais ce n’est pas comme ça que le motion matching fonctionne.
Au lieu de cela, on dispose de tout un tas de petits morceaux d’animations, et nous les évaluons en fonction des « correspondances » avec ce que le joueur peut faire. Par exemple, pour les déplacements, on associe la pose actuelle avec la future trajectoire désirée, et on joue alors la meilleure association. » Et la situation se reproduit pour toutes les actions du jeu, qu’il s’agisse de courir, d’escalader, d’attaquer ou encore d’esquiver.
https://www.youtube.com/watch?v=riQSIn9QnFI
Pour pouvoir avoir toujours le bon mouvement à proposer au bon moment, encore faut-il avoir le mouvement en question dans la palette disponible pour le personnage joué. « Pour que le système fonctionne à son maximum de potentiel, nous avons besoin d’énormément de types d’animations, en particulier pour les déplacements. Les acteurs de motion capture doivent être en super forme ! » plaisante Simon Clavet.
On espère que le joueur survivra
Les séances de motion capture ont donc été plus précises et bien plus longues que d’habitude. C’est Khai Nguyen, directeur de l’animation au sein du studio, qui s’est chargé de travailler avec les acteurs sur l’immense palettes de mouvements. Un vétéran du sujet, puisqu’il a notamment travaillé sur plusieurs Prince of Persia, mais également sur la série Assassin’s Creed.
S’ils sont partis en quête de réalisme, les développeurs de For Honor n’ont pas forcément cherché à reproduire fidèlement les mouvements des chevaliers, vikings et samouraïs. « Notre but n’était pas d’être historiquement fidèles, mais d’être crédibles » assure Simon Clavet. « Nous avons cherché à obtenir un équilibre parfait entre réalisme et plaisir. Le joueur devrait ressentir les émotions ressenties par un vrai guerrier médiéval, mais on espère que lui survivra en jouant à notre jeu ! »
Pour ce qui est du réalisme, les développeurs ont tout de même cherché à aller loin… mais, étonnamment, les joueurs, eux, n’ont pas forcément suivi. Jason Vandenberghe, le directeur créatif du jeu, explique que le développement du système de combat a mis en lumière un « trou noir tactique » chez les joueurs. Ce dernier concerne la posture de garde basse, qui complétait, à la base, les postures droite, gauche et haute. « Après un certain temps nous avons commencé à analyser quelques données et avons découvert, à notre plus grand étonnement, qu’une très faible part des attaques et des blocs était réalisée depuis cette posture « bas ». En fait il s’avérait que beaucoup de joueurs avaient du mal ne serait-ce qu’à se souvenir que cette position existait. Finalement, lorsque nous l’avons retirée du jeu, personne ne l’a remarqué ! »
Et d’ajouter « Je pense qu’on a découvert que pour l’humain, dans la vraie vie, il existe trois gardes : droite, gauche et haut. » Un point de vue partagé par Simon Clavet : « Simplifier le système de garde en passant de 4 à 3 était une bonne décision pour les combats. C’est le genre de décision que les designers de combats prennent chaque jour. Ils ont la très difficile mission d’obtenir un parfait équilibre entre les différentes classes de combattants.. »
Et ces développeurs n’ont pas eu une tâche facile, puisqu’ils ont dû se baser sur un tout nouveau système pour concevoir les mécaniques de combats. « L’algorithme en lui-même n’est pas vraiment compliqué. Il s’agissait plutôt de parvenir à couvrir toutes les possibilités et d’améliorer les performances. Pour les animateurs et les designers des combats, c’était un grand changement, ce n’était pas simple. Leur travail consiste à décider comment les personnages vont bouger, donc il y a fallu enregistrer les mouvements, les étudier dans tous les sens, intégrer des heures et des heures d’animations et enfin s’assurer que le système pouvait les trouver et les interpréter correctement. La route a été longue mais je pense que personne ne le regrette. »
Pour le joueur, l’utilisation du motion matching est synonyme de plus de réalisme, mais également de plus d’immersion. Les déplacements des personnages sont « organiques ». « Il y a beaucoup de poids et d’inertie dans le mouvement. Chaque décision du joueur a un impact réel » explique Simon Clavet. « Le fait que le personnage doive faire face aux lois de la physique restreint notre liberté de faire des choses trop exotiques ou magiques, mais je suis convaincu que ce fondement poussera les joueurs à davantage se soucier de ce qui se passe pendant les combats. »
Voir le personnage à l’écran comme une extension du joueur réel implique, comme on a déjà pu le constater, de proposer une palette de mouvements la plus large possible. Mais il faut également que le jeu puisse suivre en matière de réactivité. À vrai dire, c’est le cas dans n’importe quel jeu, mais pour For Honor, les enjeux étaient forcément plus poussés en raison des ambitions affichées.
Au travail d’animation et de Mocap s’est donc ajouté celui de l’optimisation des processus de gestion des données, basées sur le principe du big data. Pour autant, la volumétrie des données nécessaires au bon fonctionnement du motion matching ne devait pas entraver la réactivité du titre, et pénaliser les joueurs dont la connexion pourrait être moins véloce que celles des autres. C’est pourquoi tout le traitement de l’information s’effectue sur la machine – console ou PC – sur laquelle le jeu est installé. « Toutes les données sont stockées localement, donc on ne transfère rien depuis le réseau en cours de partie. On a travaillé sur l’optimisation pour nous assurer que tout soit fluide avec une centaine de personnages à l’écran. »
Evidemment, une énorme partie des personnages visibles sont dirigés par l’IA puisqu’il s’agit des combattants qui accompagnent les joueurs. Il n’en demeure pas moins que la situation est différente de titres comme le premier Titanfall, où les nombreux soldats gérés par l’IA étaient contrôlés en ligne par Azure, le cloud de Microsoft.
L’avenir du réalisme vidéoludique ?
Si ses origines ne prennent pas directement leur source dans le développement de For Honor, il est aujourd’hui assez évident que le motion matching contribue à l’atmosphère et à la dynamique de ce jeu largement focalisé sur le combat. Mais après ? Cette technologique pourrait-elle changer la conception du réalisme dans le monde du jeu vidéo au global, en tout cas pour les titres AAA qui utilisent presque tous la Mocap ?
Simon Clavet est partagé sur la question : « Rien n’empêche d’utiliser le motion matching sur d’autres types de jeux. Mais tous les développeurs d’animations que je connais ont leur propre façon de voir les choses, et c’est parfois une question de préférences personnelles. » Le développeur spécialisé dans les animations n’a cependant pas gardé la recette et les problématiques de cette technologie : durant la Game Developer Conference de 2016, il avait tenu une conférence sur le sujet.
Mais quand on lui demande si le motion matching pourrait trouver sa place dans d’autres titres que ceux d’Ubisoft, Simon Clavet botte un peu en touche : « Au cours des 10 dernières années, j’ai assisté à d’excellentes conférences à la GDC. Il me semblait naturel de partager un peu, à mon tour, avec la communauté des développeurs. Et même si nous travaillons pour des entreprises différentes, nous avons tous le même but : améliorer les animations. »
Reste que de nombreuses clés ont été délivrées aux développeurs, et que le résultat aperçu dans For Honor pourrait convaincre bien des studios de partir dans cette direction pour de futurs jeux. Il est cependant évident qu’il s’agit d’une démarche dont le principal intérêt est de développer l’immersion dans un jeu, au bénéfice du joueur : le motion matching n’a donc pas vraiment de lien avec d’autres industries, comme le cinéma, même si Simon Clavet estime qu’une telle technologie pourrait rendre plus crédible les scènes de foule, par exemple, dans les films qui exploitent les images de synthèse.
« Nous avons essayé de rester le plus fidèle possible à ce qui s’est passé dans la salle de motion capture. Pour rendre un jeu le plus crédible possible, il faut éviter les raccourcis qui poussent à réduire le nombre d’animations, et embrasser la complexité du mouvement, avec ses variations infinies. » en somme, une technologie comme le motion matching vise à combler les trous de ce qui fait bien souvent le côté artificiel des personnages virtuels, cette impression de raideur, de « balai dans le derrière » et autres mouvements plus automatiques que naturels.
À l’heure où les graphismes se font de plus en plus photoréalistes, il était probablement temps de s’en soucier. Reste désormais à savoir si ce travail sautera aux yeux des joueurs de For Honor, qui sort sur PC, PS4 et Xbox One le 14 février.
Photos et captures : Ubisoft.
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