C’était il y a un peu plus de deux ans : Jean-Christophe Baillie, fondateur de Novaquark et ancien Chief Science Officer d’Aldebaran Robotics, m’invitait à déjeuner pour me parler de son nouveau projet. À l’époque, l’équipe de développeurs était dans un petit studio dans le XIVe arrondissement parisien et mon interlocuteur était porté par des rêves qui avaient convaincu ses premiers investisseurs.
De cet entretien, je repartais avec des intentions plus que des informations : il y allait avoir un jeu dans l’espace, entièrement procédural et persistant, dans lequel les joueurs seraient les maîtres absolus du gameplay. J’avais alors vu quelques artworks et je m’étais inquiété de la proximité du titre avec No Man’s Sky, qui n’était pas encore sorti et dont tout le monde parlait.
Avance rapide vers 2017. No Man’s Sky est sorti, nous avons beaucoup ri et le jeu semble avoir ramené la plupart des gens sur Terre. Crise de confiance vis à vis des kickstarters trop ambitieux, déception totale des joueurs qui rêvaient de la simulation spatiale ultime, souci de crédibilité pour les projets qui suivent (coucou Star Citizen)… Et pourtant, malgré tout cela, je n’ai jamais sorti Dual Universe de mon esprit, en suivant de loin l’aventure entreprise par Novaquark. Jusqu’à ce que Jean-Christophe Baillie me recontacte : ça y est, Dual Universe avait quelque-chose à raconter.
https://www.youtube.com/watch?v=-5jWtz3rzco
Et c’est dans les nouveaux bureaux de l’entreprise, bien plus grands, que je me suis rendu pour voir comment ce rêve d’un bac à sable ultime est en train de naître dans les lignes de code de développeurs français.
Dual quoi ?
Malgré une couverture plutôt complète à l’international comme dans nos contrées, Dual Universe n’est pas encore porté par le fameux Train de la Hype. C’est peut-être tant mieux, dans la mesure où cela laissera peut-être aux développeurs l’occasion de mener à bien leur projet, sans pression de la communauté, des investisseurs ou d’un éditeur trop gourmand. Et ils auront besoin de cela : Dual Universe est un tel chantier qu’il est difficile de savoir par où commencer pour le présenter.
Le plus simple est de reprendre les mots par lesquels Jean-Christophe Baillie décrit lui-même son bébé : « Dual Universe est aux jeux vidéo ce que Facebook est aux médias : une plateforme ». Dual Universe est en effet une plateforme de jeu, un peu à la manière d’un livret de règles de jeu de rôle qu’on donnerait à un maître de jeu pour qu’il crée une aventure. Ici, le terrain est l’espace et les possibilités sont limitées par l’imagination des joueurs (et ce que les développeurs auront rendu possible, leur feuille de route pour aller vers leur vision étant très chargée).
« Hop hop hop gredin, illimité comme dans No Man’s Sky ? C’est-à-dire qu’on pourra atterrir sur une planète, appuyer sur la touche scanner et décoller vers la planète suivante bis repetita placent sans jamais rencontrer un larron sur notre trajet ? », demanderez-vous, à raison. La promesse de l’illimité et du persistant a du plomb dans l’aile. Mais contrairement à NMS qui a essayé de recoller des bouts à son simulateur de voyage spatial en solo après avoir fait des promesses à n’en plus finir, Dual Universe a été conçu comme un jeu massivement multijoueur et procédural dès le départ. Tant est si bien que, pour la petite histoire, la première levée de fonds s’est faite avec une preuve de concept qui n’était qu’une architecture serveur capable de supporter l’univers en voxels imaginé par Novaquark.
Mais alors quelle est la vision de Jean-Christophe Baillie pour le jeu ? Dual Universe donne quelques lignes de scénario un brin dispensables : vous êtes un humain et vous apparaissez sur une planète dans une sorte d’arche qui est une zone protégée. Tous les joueurs apparaissent au même endroit et commencent à explorer la planète. Dans un premier temps, comme des hommes des cavernes du futur, il faudra trouver de quoi se protéger, de quoi construire des trucs et de quoi s’enrichir pour imaginer d’autres activités. Pour cela, Novaquark propose un système de minage à la Minecraft, dans lequel les trous que vous faites dans le sol sont persistants – comme tout ce que vous faites dans le jeu.
Laser pour creuser, interface de construction, matériaux différents, outils pour travailler les angles, les arrondis et les textures etc. : tout y est pour faire de Dual Universe un builder intéressant. Mais Jean-Christophe Baillie nous l’a précisé plusieurs fois : le jeu n’est pas casual. Si vous voulez empiler des cubes, cela ne devrait pas trop vous poser de problème. Maintenant, si vous souhaitez construire un vaisseau spatial, il va falloir construire des moteurs, un cockpit, un réservoir, des ailes… autant d’objets qui auront besoin des usines et éléments adéquats.
Vous décidez de vous installer en terrain libre ? Vous allez être exposé à la convoitise des autres joueurs qui pourront vous attaquer et vous piller. Comme aurait pu l’écrire ce bon vieux Rousseau, il va très vite falloir que vous sortiez votre Contrat Social Pour Les Nuls et l’appliquiez avec d’autres joueurs pour vous établir en tribu partageant un intérêt commun – pour vous entraider et vous défendre. Pour cela, un système de guildes et de corporation a été mis en place pour que les joueurs puissent se regrouper et revendiquer des aires d’influence. Par exemple autour d’une safe zone qui coûtera aussi cher à construire qu’à entretenir sur la durée.
Maintenant que vous avez votre petit havre de paix, vous n’allez pas pouvoir sauter vers le libéralisme décomplexé tout de suite et devenir trader de l’espace. Un autre élément de taille va vous barrer la route : la physique. Eh oui, Dual Universe est un jeu pour nerd, ce qui fait que vous allez trouver un peu de Kerbal Space Program sur votre route. Si votre vaisseau fait 120 mètres et qu’il a un réacteur tout petit ou qu’il n’y a pas de carburant dans les réservoirs, vous ne volerez pas. De même, il ne risque pas de voler vers d’autres systèmes si vous lui avez donné le corps d’un hovercraft.
Quand vous aurez terminé votre premier vaisseau, vous pourrez vous approcher d’une place de marché pour le vendre (ou en créer une que vous gèrerez avec vos copains, en pratiquant de la concurrence déloyale et du trading à haute fréquence sur les matériaux vitaux). L’économie de base de Dual Universe est régie par un système simple d’offre et de demande, mais il est totalement possible de faire une corporation communiste dans laquelle tous les bénéfices sont redistribués pour le bien commun. Le jeu propose des règles économiques suffisamment souples pour que les joueurs aient la possibilité de, virtuellement, faire ce qu’ils veulent. « Oui, on va avoir besoin d’un économiste », nous lance Jean-Christophe Baillie, imaginant le moment où tout cela va prendre forme et que les marchés vont se développer.
Si vous vous moquiez doucement des camionneurs de l’espace dans Elite Dangerous qui passent des heures à livrer des colis dans des stations spatiales, imaginez que dans Dual, un joueur pourra avoir comme mission de background checker tous les vaisseaux qui entrent dans les hangars immenses d’une station spatiale louée par une autre corporation pour entreposer les croiseurs qu’elle construit et qu’elle vend aux empires les plus belliqueux.
Pour Jean-Christophe Baillie, il est hors de question de créer quoi que ce soit de ce tableau : ce seront les joueurs qui auront l’occasion de faire cela. Créer une civilisation from scratch, avec ses emplois, ses passions, son économie, son art, ses découvertes, ses guerres et ses échanges. Une civilisation dans laquelle vous pourrez faire fortune en proposant un service de livraison de vaisseau à ces idiots de joueurs qui achètent une chaloupe spatiale sur un marché à des années-lumières et imaginent qu’elle va se téléporter devant eux.
Le tout, comme nous l’avons mentionné, dans un univers procédural persistant (à la Minecraft). Cela signifie que chaque planète du système Dual Universe est créée aléatoirement, avec ses ressources, ses reliefs et ses caractéristiques. Si une organisation en fait une planète urbaine, vous verrez depuis l’espace l’activité des mégalopoles construites et occupées par les joueurs, sans transition jusqu’à votre atterrissage. En pratique, la démonstration de la version de développement que nous avons vue en action montrait des environnements colossaux et impressionnant à chaque moment – malgré une fluidité aux fraises et de nombreux bugs, pré-pré-pré-alpha oblige. Une station spatiale en orbite autour d’une planète, entièrement construite par les joueurs, peut faire des milliers de mètres cubes.
Ils y croient
Le projet paraît tentaculaire et c’est tout à fait normal. Pour Novaquark, aucun joueur de Dual Universe ne pourra tout faire ou tout maîtriser. Il faudra choisir une orientation et se spécialiser. D’autant que derrière la surface du jeu, il existe une couche profonde également accessible aux joueurs : la confection de scripts en Lua, par exemple pour le pilotage des vaisseaux. Cela signifie que Novaquark a codé un pilotage de base dans le jeu, mais si vous souhaitez modifier complètement la manière dont un vaisseau réagit aux commandes clavier (par exemple pour optimiser les déplacements d’un chasseur en augmentant la réponse des réacteurs), vous pourrez. Et ce sera un argument de vente si vous souhaitez faire de la construction de vaisseau un business lucratif.
Vous devez le comprendre si vous avez lu jusque-là : Dual Universe ne fonctionnera pas si les joueurs ne se l’approprient pas et ne croient pas au potentiel du jeu. Et d’après ce qu’on peut voir, c’est plutôt bien parti. Sans jamais avoir joué au jeu et en se basant uniquement sur le dev blog, quelques articles dans la presse et des vidéos, 33 000 personnes se sont inscrites sur le site du jeu et on trouve déjà 1 280 organisations pour plus de 8 000 « backers ». Les plus grosses tribus spatiales regroupent déjà plusieurs centaines de joueurs et préparent des cadres jeu de role pour le jeu.
Par exemple, la Terran Union, la plus grande organisation à ce jour, a déjà écrit sa Constitution et développé ses ambitions. Objective Driveyard, petite structure, conçoit de son côté les vaisseaux pour le Cinderfall Syndicate. Silverlight Industries se voit comme la grosse corporation industrielle de Dual Universe, produisant des vaisseaux commandés par les autres organisations. Toutes ces initiatives enjouées (certains joueurs ont même réalisé des vidéos pour présenter leur vision du jeu) se regroupent sur le forum de Dual Universe et sur Discord. Autrement dit, même avant d’avoir mis un pied sur la planète de départ, les joueurs structurent déjà ce que sera le jeu de Novaquark.
Alors bien sûr, comme dans tout jeu où le gameplay est à inventer de A à Z, il va falloir que ces joueurs aient la motivation suffisante et une imagination débordante pour faire de Dual Universe le jeu ultime dont ils rêvent et où ils s’amusent. Novaquark, de son côté, a récolté des fonds – l’un des crowdfunding jeux vidéo les mieux réussis de 2016 – pour produire la plateforme qui servira de support à toutes ces idées et estime pouvoir livrer une première version finale d’ici deux ans, régulièrement mise à jour par la suite à la manière d’un MMORPG.
L’alpha qui ne comportera que la partie mining / construction simple du jeu sera lancée à l’été 2017 et la bêta l’année suivante. Nous suivrons bien entendu avec grand intérêt les grandes évolutions de ce titre qui est un pari aussi prometteur que risqué (il y aura peut-être même de la place pour créer un média in-game, qui sait).
Si l’aventure vous tente, vous pouvez déjà prépayer des mois d’abonnement au jeu et vous lancer dans le roleplay avec l’une des organisations déjà érigées. Ou fonder votre petit îlot galactique à vous dans lequel vous cultiverez votre jardin de pixels en philosophant sur le néant. À vous de voir.
Toutes les captures d’écran viennent du jeu et tous les objets visibles ont été construits par les joueurs. Nous en avons vu la plupart en jeu.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !