Il est jeune, peut-être encore un peu naïf, il a signé pour être gardien de l’ordre, s’imagine sûrement héros de la nation, au service de son pays et s’apprête à vivre son baptême du feu dans la Brigade Anti-Criminalité. Ses coéquipiers lui donnent le surnom de Pento : derrière ce masque presque enfantin de jeune flic se cache l’acteur Damien Bonnard, qui signe avec Ladj Ly l’un des plus pertinents courts du Festival de Clermont.
La voiture de ces flics de banlieue s’aventure dans les quartiers, là où ils tentent d’exercer leur autorité par la force et l’intimidation. Agressant des jeunes femmes pour quelques grammes de shit, à l’endroit même où Hugo a écrit Les Misérables, le premier jour de Pento se révèle être un rite initiatique qui le fait passer de son statut idéalisé de gardien de l’ordre à petit Thénardier en tenue civile.
Thénardier en tenue civile
La caméra de Ladj Ly, tenue au poing comme on brandit l’arme du témoignage suit ainsi ce dérangeant premier jour de travail d’un flic comme les autres dans des territoires oubliés. Et si le court frappe par sa justesse et sa capacité à aborder un grand champ de thématiques, aussi politiques que morales, il bouleverse d’autant plus qu’il résonne avec un actualité qui vient troubler la fiction du projet. Lorsque l’on entend un des policiers hurler à une jeune femme alors qu’il la fouille de force : « Je fais ce que je veux, c’est l’État d’urgence, si je veux je te mets un doigt dans le cul ! », on ne peut s’empêcher de voir un lien direct avec les abus sexuels perpétrés à Aulnay.
C’est l’État d’urgence, si je veux je te mets un doigt dans le cul !
Imparable, la réplique reprend quasiment mot pour mot les paroles des experts qui témoignent ce jeudi dans Mediapart sur la banalité méconnue des contrôles d’identité, où l’on apprend (où se rappelle) que « doigt dans les fesses et palpation des testicules » sont intimement liés à l’exercice d’un racisme délibéré lors de ces opérations.
Le court pourrait alors être perçu comme un documentaire, un manifeste, mais il est plus que cela. L’intelligence créative de Ly se mêle sans cesse au propos et les idées fulgurantes fusent : les gamins, encore innocents, voient la violence de leur monde à travers un drone, qui montre la Cité telle qu’elle est, avec des hommes à terre après le passage de la BAC.
Adepte, à la manière de ses anciens camarades de Kourtrajmé (Kim Chapiron, Romain Gavras ou Mouloud Achour) du copwatching, le trentenaire biberonné à La Haine, est un habitué de la mise en scène de la bavure. Il confie par ailleurs pour la présentation de ce court à Clermont qu’il a commencé ce type de reportages il y a plusieurs années, et a pu, dans sa Cité des Bosquets, conduire à une enquête de l’IGS grâce à sa caméra.
L’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage
Ici, Les Misérables se présentent comme un exercice de style foudroyant et explosif alors que la question des bavures policières revient enfin dans l’actualité. Fasciné par la figure de Victor Hugo, le réalisateur prévient que cette fiction n’est qu’une mise en bouche de son long, également nommé Les Misérables, qu’il souhaite désormais tourner.
Pour Chris Marker, le collectif Kourtrajmé constituait « la nouvelle-nouvelle vague ». Aujourd’hui, par la voix de Ladj Ly, ce rassemblement d’individus atypiques, habitué de la Cité des Bosquets que Ly surnomme son « studio à ciel ouvert », reprend du service pour donner un cinéma politique. Du cinéma coup de poing certes, mais avec la grâce d’un uppercut de Mohammed Ali sur le ring.
https://www.youtube.com/watch?v=QNkDBom7oso
Fait unique et en phase avec son temps : Ladj Ly prolonge la disponibilité en ligne de son court après sa présentation à Clermont de manière complètement gratuite. Un document à découvrir dans l’urgence de l’actualité mais qui résonnera par son style et son regard bien après le réveil furtif et tardif des médias sur le quotidien policier en France.
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