Les regards sont fuyants, la narration très intime, la caméra 16mm — évidemment — se fait mouvante, gracieuse et aérienne, prête à saisir les mouvements énergiques d’une jeune femme qui court les rues genevoise après sa propre vertu. On pourrait y voir quelques premiers éléments qui reviendront dans A bout de souffle ou encore dans Masculin Singulier, on y voit même Godard lui-même, grimé de son inamovible paire de solaire.
De quoi parle-t-on ? Nous esquissons évidemment les contours de Une Femme Coquette, un court de 9 minutes signé par un Jean-Luc Godard d’à peine 24 ans, datant de 1955 et qui fut diffusé pas plus d’une douzaine de fois en salles depuis sa création.
Œuvre furtive, film brouillon ou carnet de notes mouvant, ce court était censé avoir disparu. Arrachée des archives du cinéma par un collectionneur dont on aurait aujourd’hui perdu la trace, la bobine, si précieuse pourtant, n’aurait pas survécu aux années et aux tumultes d’un demi-siècle selon les spécialistes de Godard.
Un brouillon sauvé de l’oubli, du temps
Et pourtant, comme jaillissant de nulle part, Une Femme Coquette, ce film inconnu bien que jugé essentiel dans l’œuvre du cinéaste franco-suisse, apparaît sur YouTube, précisément 62 ans après son tournage. Véritable trésor du cinéma français, ces 9 minutes que nous dévorons avec un plaisir ni dissimulé, ni affecté, sont une petite ode au cinéma qui adviendra après : celui du Mépris mais surtout d’À bout de souffle.
Antoine de Baecque, biographe de Godard, écrivait par ailleurs, alors qu’il pensait le film perdu, la critique suivante : « assez désinvolte, personnelle, même intime, rapide, enlevée, perverse : la femme y est une proie pour l’homme qui la chasse, la paye, la consomme, mais elle est bien filmée, vive, aérienne. C’est elle qui fait de Godard dès son premier brouillon personnel, un artiste en germe. »
Parmi les petits mystères et clins d’œil qui fourmillent dans ces quelques images, on trouve bien sûr l’apparition de Godard vers la quatrième minute, qui succombe aux charmes d’une prostituée radieuse, mais les crédits réservent également quelques surprises pour les godard-nerds : on y voit apparaître le pseudonyme de Hans Lucas, crédité pour la mise en scène. Or, c’est avec ce même nom mystérieux que le cinéaste signera plus tard ses critiques.
Enfin, l’actrice, pourtant sublime, n’apparaîtra plus jamais à l’écran. Elle s’appelle selon les crédits Maria Lysandre, mais disparaîtra, telle une héroïne modianesque, dans les limbes et les tourments de la carrière du cinéaste qui n’a jamais cru à la persistance du talent de ses actrices.
Il précisera en 1995 : « Les femmes, les actrices, je ne les ai pas très bien traitées. J’ai respecté leur beauté aléatoire, mais je n’ai pas fait très attention à ce qu’elles pouvaient dire ou faire. Ça me manque aussi aujourd’hui… Tous les peintres ont eu des modèles. Mais moi, c’étaient des copies. Elles copiaient des vedettes d’Hollywood, moi je copiais des couples que j’avais connus. »
Maria Lysandre a donc rejoint la longue liste des vedettes d’un jour des films de Godard, ces femmes qui comme Bardot ou Seberg furent sublimées comme par coïncidence par la caméra du cinéaste avant d’être abandonnées à leur sort de star par un réalisateur qui ne voit que la beauté aléatoire.
Frivole beauté, beauté inexorable
C’est encore de cette beauté aléatoire dont il est question dans ce Une femme coquette : rite initiatique vers la frivolité. Une jeune femme observe le travail d’une prostituée et se surprend elle-même à vouloir se jouer de son corps, des hommes et des mœurs, à la manière de la coquette dont le regard attire le sexe dans son plus simple appareil.
Littéralement rattrapée par ses désirs infondés, elle finira par pêcher tout en plaidant l’innocence. Et la coquette d’un jour, expliquera qu’il y a dans la frivolité quelque chose d’inexorable… Délicat, subtile et particulièrement bien écrit, ce conte moral est en fait une adaptation d’un autre grand maître du réalisme, un certain Guy de Maupassant qui dans Le Signe avait écrit la matière que Godard saisit sur les rives de Genève un beau jour de 1955.
Comment le miracle de la résurrection de cette œuvre a-t-il eu lieu ? Nul ne le sait encore, si ce n’est que ce sont le très fins connaisseurs américains du A.V. Club qui ont mis la main en premier sur le court. Désormais, la vidéo est sur YouTube, bien archivée dans les serveurs de Google, et peut-être à jamais sauvée de l’oubli.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=544&v=DzpFi0uBmzs
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