Mais d’où vient donc ce vent de modernité qui souffle sur les hauteurs de la tour TF1 ?
Nul ne sait, mais chacun en saisit les tenants et les aboutissants : face à un groupe Canal en pleine restructuration, le groupe de la première télé française s’oblige également à la réforme. Ainsi, dans les filiales, on investit plus que jamais sur le web, ou encore sur les franchises de l’infotainment — le succès de Quotidien est un bel exemple d’aboutissement pour la modernisation du groupe. Enfin, sur le vaisseau principal, l’illustre gallion TF1, les tentatives de rafraichissement ont également lieu.
Derrière la désormais emblêmatique figure livide de Gilles Bouleau se dessine, comme une armée prête à se dresser, une nouvelle génération de programmes destinée à remplir les cases de la chaîne qui fait face à une désaffection réelle des Français. Parmi ces nouveaux produits cathodiques, on trouve même un volet fictions franchophones dont l’amibition est d’arracher à Joséphine Ange Gardien quelques prime time.
La France dans les yeux de la télévision
Imaginez un seul instant que vous deviez regarder les séries TF1 si demain, Internet et ses enfants terribles venaient à disparaître. Vous ne le supportiez certainement pas. Par ailleurs, faites donc l’exercice suivant : citez une série produite et réalisée par le groupe bleu-blanc-rouge qui ne vous donne pas envie de sauter sous un TGV. Essayez. Dans la rédaction, nous avons seulement eu une timide réponse : « Ils n’ont pas une série qui parle de camping ? »
Précisément : Camping Paradis. Nous ne conseillons la série à personne mais c’est effectivement un canon du style TF1 : un mélo bourré de bons sentiments dans lequel des personnages, caricaturaux, s’activent malgré eux face à un destin fait de rebondissements aussi détonnants que bien souvent grotesques.
TF1 et les séries, c’est compliqué
Néanmoins dans Camping Paradis, on parle — parfois — de sexe, de contraception, de divorces et mêmes des étrangers (vraiment). Le tout sur un décor bien franchouillard fait de variétés, de saucisses au barbeuc, d’apéro au 51 et de toiles de tente Décathlon. Décrivons-nous un pastiche ou une vraie production ? Nous parlons bien d’une vraie production qui malgré sa qualité aléatoire réunit tout de même ses centaines de milliers de téléspectacteurs.
Le cadre est donc posé. TF1 et les séries, c’est compliqué, tout comme TF1 et la modernité, ce n’est guère plus simple.
La sociologie cathodique
Souvenez-vous de Clem, autre production maison, qui était selon la chaîne révolutionnaire puisqu’en 2010, la fiction osait, contre vents et marées, parler de la maternité à 16 ans — c’était plus de trois ans après Juno, mais passons. Alors comprenez que lorsque, du haut de la Défense, les portes-paroles du groupe ont annoncé une fiction exclusive abordant la transidentité, nous hésitions entre dévastation et espoir.
Après l’épreuve du feu, la diffusion de deux épisodes, que reste-t-il de nous et de cette série ? Difficile d’être catégorique mais commençons par le nerf de la guerre : la réalisation.
Le premier épisode, le pilote, frôle le cauchemar télévisuel. Les personnages sont introduits comme des produits cosmétiques durant la réclame, leur portrait est brossé à la spatule, sans la nuance nécessaire, c’est gros, c’est moche et l’on a à peine eu le temps de reprendre son souffle que déjà, nous sommes victimes — ou peut-être même complice — d’une blague de type zizi coupé.
Voilà, c’est dit, le beauf de la famille — écrit et pensé comme le topos du beauf selon un panel non représentatif de CSP+ — lâche son petit coup de menton ; nous avions à peine eu le temps de prendre la mesure de l’échec visuel, que déjà notre cerveau est attaqué par surprise.
Les personnages sont introduits comme des produits cosmétiques durant la réclame
C’est du sport de regarder TF1. Heureusement, la publicité ne tarde jamais à nous donner un peu de temps pour reprendre nos esprits.
La fiction reprend : Louise, car c’est ainsi que se prénomme le personnage principal trans, se dévoile un peu plus. Or si les producteurs assurent à Libé qu’ils ont parcouru la France à la recherche d’une actrice trans pour incarner ce premier rôle — historique dans une fiction francophone — ils ont fini par se tourner vers une femme cis, Claire Nebout. C’est dommage, notamment lorsqu’on compare le brio de Jeffrey Tambor en Maura dans Transparent à la plus dispensable prestation de Mme Nebout.
Elle semble nous épargner peu de mauvaises idées. Ici, elle est une idiote ultra-sexualisée, là elle marche dans la rue comme sur un podium, portant ses seins flambant neufs comme une parure. Enfin elle a, forcément, de gros pieds. Sans délicatesse, la transidentité made-in-TF1 ne peut pas être autre chose qu’un pitch, hilarant forcément, dont on s’extirpe avec difficulté.
La transidentité n’est pas un sujet impossible
Là où Transparent a réussi, par un jeu d’équilibriste que l’on reconnait difficile, à éviter tous les écueils répétés par la fiction lorsqu’elle se préoccupe de transidentité, Louis(e) s’avère un moins bon élève. On finit même par se demander si les concepteurs ont regardé Transparent. À l’évidence oui, mais en même temps, le décalage entre le pilote et la série d’Amazon est tel que l’on finit par douter.
Ce n’est finalement qu’en s’ouvrant légèrement sur l’histoire française des transidentités, que le second épisode de Louis(e) sauve légèrement le désastreux pilote.
Avec beaucoup d’ambitions malgré le formatage très exigeant du mélo, les réalisateurs sont parvenus à élever un peu le niveau. Les personnages s’affinent et surtout le côté bourru — mélange de blagues pipi-caca et biais très médical sur la transidentité — s’efface au profit de plus d’élégance.
On y chante même une chanson, du Amanda Lear, qui rappelle forcément les années du Carrousel de Paris, immortalisées par l’incroyable travail de Sébastien Lifshitz et son documentaire Bambi (2013). En somme, c’est un peu mieux. Les personnages des enfants et la foule de personnages tiers (les policiers, les collègues de travail etc.) commencent à aborder la question de l’identité de leur père sous un autre angle que celui du zizi coupé.
Mieux : à la fin, on apprend — si on ne le savait pas encore — qu’en France, être une personne trans n’est pas seulement un chemin semé d’embuches, une impossible transition d’état civil qui s’éternise et gâche la vie à nos compatriotes trans, ni même un statut social qui porte au discrédit et à l’opprobre populaire — c’est tout cela en même temps qu’un dilemme moral : je change, pour moi ou pour être fidèle à moi-même face à autrui ?
« On a eu envie d’envoyer un message de tolérance : ouvrez-vous »
Sur ce terrain là, Louis(e) joue certes une carte millitante qui prend bien, mais se laisse même aller à des moments où les questions les plus métaphysiques ont presque place. Ce n’est pas Transparent car cela reste moche et écrit à la manière d’un roman-photo, mais l’aigreur initiale laisse place à un peu d’espoir : on repense même à Fabienne Lesieur, scénariste, qui confiait à Libé : « On a eu envie d’envoyer un message de tolérance : ouvrez-vous. »
Certes, Louis(e) est bien en deça de Transparent — la comparaison est cruelle — mais en France, combien de téléspectateurs pourront rien que caresser l’idée d’accepter plus franchement la transidentité grâce à TF1 plutôt que grâce à Amazon ? Vous avez déjà la réponse (4,3 millions de téléspectateurs durant le premier prime du show).
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