Génie baroque, insaisissable et perfectionniste acharné, Sufjan Stevens ne fait rien comme tout le monde. En 2012, il partait en tournée mondiale avec des chansons jamais présentées au public, issues d’aucun album. C’était le projet Planetarium, un succès total qui s’est comme évaporé, n’ayant jamais été enregistré. À moins que…

Mise à jour : L’album est disponible depuis le 9 juin chez 4AD, découvrez-le.

Après la publication d’une vidéo mystérieuse (voir article original) le quatuor Sufjan Stevens, Bryce Dessner, Nico Muhly et James McAlister confirme nos théories et ravive l’espoir des fans : ce dimanche, le groupe publiait Saturn, première piste du futur Planetarium tant attendu.

Le label (4AD) qui soutiendra la sortie de l’album définitif a également révélé la date de sortie du nouvel album, Planetarium rejoindra nos services de streaming dès le 9 juin.

Ceux qui connaissent déjà les bootlegs de Saturn seront légèrement surpris par la version finale qui a été choisie pour l’album. En effet celle-ci fait la part belle aux musiques électroniques et au vocoder. Le style adopté par Sufjan et ses camarades s’approche des travaux les plus expérimentaux qu’il a pu mener avec la musique assistée par ordinateur. On se rappelle forcément des tracks comme Museum Day (issu de la collaboration Son Lux, Sufjan et le rappeur Serengeti) ou Rythm of Devotion (du même trio).

https://www.youtube.com/watch?v=sz94arvXhgI

Très loin du retour aux sources incarné par Carrie and Lowell (2015) qui présentait un album sur le passé, aux accents très organiques et accompagné d’un minimum de cordes, Saturn montre une face moins connue de Sufjan : son amour toujours renouvelé depuis All Delighted People (2013) pour les musiques électroniques. Face à la version connue des concerts, ce nouveau Saturn se démarque non pas par un changement du songwritting — Tell me I’m evil, A capricorn creature, A chemical addiction — mais par un passage de la pop orchestrale à une structure similaire mais boostée aux hormones, portée par un tempo dément et d’une electronica qui assume ses envolées.

Un changement de ton mais de pas de fond en somme. Notez que les vrais fans connaissaient déjà une partie de la nouvelle tonalité musicale de Saturn dévoilée par inadvertance il y a plus de quatre ans déjà en un court teaser :

Enfin, Planetarium contiendra des inédits que Sufjan n’avait pas présenté lors des concerts. En effet, l’album contiendra pas moins de 17 titres avec des nouveautés (Halley’s Comet, Black Energy, Tides, Kuiper Belt, Black Hole, In the Beginning).

sufjansteves

Nous sommes en juillet 2012 lorsque, quasiment forcé par un ami car totalement ignorant de l’ampleur du talent que j’allais découvrir, je me rends à mon premier concert de Sufjan Stevens. Le petit prince baroque de la folk américaine sort alors d’une période charnière dans sa carrière : il vient de terminer une mutation musicale majeure avec son album The Age of Adz  qui fut d’abord décrié pour sa complexité et ses aventureuses explorations électroniques avant de devenir un passage obligé pour comprendre l’évolution de Stevens.

Démiurge, cosmogonique : sufjanesque

Deux ans après la sortie du fameux album de toutes les polémiques, par lequel il abandonnait explicitement son titanesque projet d’écrire un album par état américain — il n’écrira finalement qu’Illinois (un chef d’œuvre) et Michigan et après avoir enterré son ukulélé et le rock chrétien, Sufjan joue les démiurges en allant au-delà des frontières des États-Unis, pour se consacrer, comme Holst avant lui, à l’écriture d’une cosmogonie : une composition, maximaliste, par planète de notre système solaire.

Une scénographie céleste

Une scénographie céleste

Nourri de diverses expériences, notamment de son passage par la composition de ballets et de bandes originales — on se souvient de l’éprouvant mais brillant The BQE  qui mêlait clin d’œil à Copland et Gershwin –, Sufjan réalise avec son Planetarium une œuvre multiple, baroque forcément, mais à bien des égards bouleversante par sa justesse harmonieuse.

Planetarium est d’abord une œuvre contradictoire et difficilement classable, mais on y retrouve les envolées orchestrales fidèle à la sensibilité de l’artiste, un songwriting toujours sophistiqué, et enfin une voix, unique car presque fausse, qui fait la marque des grandes chansons de Stevens.

Denny Renshaw

Denny Renshaw

Celles pour lesquelles il se passe de vocoder afin de puiser en lui, sans filtre, le souffle d’une détresse dissimulée qui le conduit à dépasser ses limites vocales dans des chansons comme la poignante John Wayne Gacy, Jr. (Illinois) où l’appareil vocal du garçon semble s’accomplir, dans son imperfection et trouve une singularité aussi authentique que déchirante.

Envoûtement céleste

Or pour en revenir à ce soir de juillet où j’allais être baptisé dans la secte peu prisée des admirateurs du génie à casquette et ukulélé, il ne me fallut qu’une seule chanson, Mercury, pour comprendre que ma relation musicale avec Stevens n’allait pas s’arrêter à un étonnant concert auquel je n’avais même pas envie d’aller.

Déjà, l’ensemble présent sur scène souligne l’exigence symphonique du chanteur. Pour son projet, Sufjan avait alors réuni à ses côtés Bryce Dessner (éminent membre des National) à la guitare, Nico Muhly au piano, au célesta et aux claviers (chef de file de la pop orchestrale, il a livré pour Björk, Antony and the Johnsons ou encore P. Glass quelques perles) et enfin James McAlister à la batterie.

Le quatuor était bien sûr lui même accompagné du New Trombone Collective pour les cuivres (pas moins de sept trombones) et du Navarra String Quartet pour les cordes.

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Cet ensemble hétérogène où se mêlait compositeur néo-classique, rockeur indé et trublion de la folk aurait pu dérailler, ne jamais fonctionner et être désarticulé comme un pantin fait des pièces incompatibles. Mais non, c’était magnifique et puissant. Mercury ou Neptune me dressèrent les poils, Jupiter réveillait nos rêveries et The Earth frappait en plein cœur.

J’en parle aujourd’hui avec quelques hésitations, comme on parle d’un monde disparu, cherchant dans mes souvenirs à faire rejaillir des notes, difficilement.  Car depuis ce soir de juillet, Planetarium s’est évanoui.

En effet, après avoir fait le tour du monde avec son projet galactique, Stevens a rapidement enchaîné sur un autre projet (Sisyphus, moins brillant), avant d’attaquer l’écriture de Carrie and Lowell son dernier album. Et depuis 2012, Planetarium est resté un projet strictement live et malgré la patience des fans, aucun album studio ne réunit aujourd’hui les pistes composées pour ce qui reste un des plus beaux concerts de ma courte vie.

Pour être même très précis, il n’existe même pas de captation audio des concerts, les seules que vous trouverez sont réalisées par des fans et la qualité est forcément très médiocre.

Pourtant, certains indices laissent penser que la sortie de Planetarium en tant que projet studio a déjà été abordée par Asthmatic Kitty — le label indépendant de Stevens — mais aucune sortie ne s’est concrétisée.

En 2015, Nico Muhly expliquait par ailleurs sur Twitter qu’un enregistrement studio — le saint Graal pour les fans — existait. L’espoir de ne pas perdre à jamais les compositions planétaires était alors ravivé.

Mais depuis ce jour de mars 2015, rien.

Seulement une place vide dans la discothèque idéale de tous les fans, une place que l’on rêve de combler avec une version finale, masterisée et grandiose de ce qui restera longtemps comme un des plus réussis projets de Sufjan Stevens.

En 2016, sur Reddit — sur /r/sufjan/ — un utilisateur imaginait que l’album devait sortir au cours de l’année. À l’évidence, il est trop tard pour qu’il ait raison. Néanmoins, les indices et preuves collectées par cet internaute curieux continuent d’appuyer la thèse d’une version studio déjà enregistrée mais jamais dévoilée.

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En réalité, depuis 2012, l’attente de Planetarium est devenue pour les fans aussi éprouvante qu’excitante, comme pouvaient l’être les péripéties qui ont précédé Blonde/Endless, les deux derniers albums de Frank Ocean repoussés des dizaines de fois, pendant plus de quatre années.

Trésor d’initié, souvenir magnifique que l’on ne peut jamais vraiment retrouver, l’affaire Planetarium pourrait lasser mais elle fascine. Parfois, au détour d’une discussion sur l’artiste, je demande à des amis s’ils se souviennent du concert, des arrangements, des voix de tête de Stevens, des cordes qui hurlaient, mais plus vaporeux que ne l’est le souvenir d’une odeur, les images sonores reviennent toujours parasitées par les fantasmes que nous en avons. Et lentement le disque est devenu un objet fantôme, une sorte de boson de Higgs musical, nous savons tous qu’il existe, mais au fil des années, nos souvenirs s’obscurcissent et laissent place à nos désirs et nos projections.

Mais peut-être, et là est la magie de cette anecdote de mélomane, que nous allons enfin écouter le disque fantôme en 2017.

En effet, cette semaine, Stevens, Dessner et Muhly ont tous les trois publié une étrange vidéo plutôt éloquente sobrement nommée Planetarium. Vous ne trouverez aucun autre détail ou information complémentaire, si ce n’est, dans la description de la vidéo, un lien vers une page Instagram @planetariumalbum.

Nous nous permettons donc d’imaginer, dans les prochaines semaines, qu’un album studio sera enfin dévoilé au public, au monde, à nos souvenirs et à la postérité. Mais il restera une question, mystère de la modernité : alors que nous vivons avec un souvenir en creux de la magie d’une soirée dans les étoiles, les titres, une fois gravés dans le marbre du mastering, instantanément disponibles sur Spotify, seront-ils les colosses musicaux dont on rêve chaque nuit ?

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