L’animation japonaise, ce n’est pas qu’au cinéma trois ou quatre fois l’an : il existe une actualité en flux tendu à la télévision, diffusée à des horaires improbables au Japon. Dans cette industrie, les saisons sont littérales : chaque début de printemps, été, automne et hiver, les planning changent et une tripotée d’œuvres à qualité variable arrivent chez nous via des canaux légaux.
Vous les connaissez certainement : Crunchyroll, ADN, Wakanim… voire Amazon Prime Vidéo ou Netflix, ce dernier ayant quelques billes dans le domaine, et maintenant de premiers « animes originaux ». Des dizaines de nouvelles œuvres, d’univers, de suites amorcées précédemment, parfois sur plusieurs années. Certains fans et bloggeurs arrivent à tout regarder et classer. Gloire et malheur à eux à la fois.
Alors, qu’est-ce qu’on peut retenir de cette saison d’hiver ?
Vraiment pas grand-chose, mais voilà tout de même une mini-curation, pour enthousiastes ou néophytes.
S’il ne fallait n’en retenir qu’un : Miss Kobayashi Dragon Maid
Peut-être que les mots monster girl vous disent quelque chose. C’est un genre de niche qui se réapproprie tous les mythes et panthéons de l’univers pour en faire des personnages féminins qui évoluent dans des œuvres — souvent — pornographiques. Lamias, harpies, dullahans, slimes, mais aussi dragons, un vrai Pokédex pour adultes, au penchant masculin timide mais existant, porté par les fans et imageboards.
Si ce genre se construit lentement sur une flopée d’œuvres explicites, le penchant sage et inoffensif se développe aussi. Le moteur est le même : construire un univers cohérent sur le décalage entre les humains et ces personnages, et la manière qu’ont les derniers à s’adapter au monde des premiers, soit dans le cadre d’une pure xénofiction (un univers où, pour nous, tous les habitants sont des aliens, la notion d’humanité est soit reléguée dans leur science fiction à eux, soit inexistante). Une série lycéenne nommée A Centaur’s Life sera bientôt adaptée en anime cet été, et ça parle exactement de ce que vous venez d’imaginer.
Dans Miss Kobayashi, le personnage éponyme est une working girl blasée et au quotidien ronronnant. Ronronnant, jusqu’à ce qu’elle croise un élément perturbateur improbable : le lendemain d’un méchant afterwork (car c’est ce que font les employés japonais dans la vie et les animes), Miss Kobayashi se rend compte que, sous l’emprise de l’alcool, elle est tombée sur un dragon nommé Thor et son premier réflexe a été de l’inviter chez elle. Le dragon prend forme humaine et s’invite chez notre héroïne. Thor est aussi une femme et tombe immédiatement amoureuse de son hôte (car c’est ce que font les personnage d’animes).
Thor, sortie de son univers dragonnant peuplé de châteaux forts, de sang, de flammes et de pulsions meurtrières envers les humains, apprend donc la vie de cette « espèce inférieure » à la dure, adopte les habits, us et coutumes d’une soubrette, d’abord pour payer son loyer, et surtout parce que la première chose qu’elle a vu sur Terre était un cosplay. Thor, Kobayashi et son voisinage sont bientôt rejoints par trois autres dragons : Kanna la gamine mignonne et innocente, Lucoa la plantureuse et maternelle, puis Elma, dont la principale caractéristique est d’avoir toujours faim. Si ces personnages ont l’air d’être unidimensionnels, pas de souci : c’est parce qu’ils le sont.
Dans cette industrie aussi, le studio qui produit un anime fait partie intégrante de sa carte d’identité et est révélateur en soi. Ici, il s’agit de Kyoto Animation, connu pour deux constantes : des moyens pécuniers et techniques comme s’il en pleuvait, mais mis au service de scénarios ne dépassant pas le créneau d’histoires en tranches de vie, pas toujours portés sur les grands arcs et la caractérisation. Miss Kobayashi ne déroge pas à la règle : une histoire adaptée d’un manga comique, enrichie par un rythme et un univers coloré.
C’est bien doublé, dynamique, les deux génériques sont un régal. Si vous surmontez le fait que ça ne raconte pas grand-chose, avec l’inévitable cahier des charges (« l’épisode plage » « l’épisode du festival du sport ») il y a de quoi se laisser porter par toute cette bonne humeur, ce feelgood et une tripotée de gags un peu crétins.
Gage de qualité ? Sur Youtube, les mèmes idiots et créatifs qui utilisent les personnages pullulent.
La série est disponible en intégralité sur Crunchyroll. Les mangas, par Coolkyoushinja, sont édités en anglais chez Seven Seas.
Interview With Monster Girls
Restons dans le même « genre », en un peu plus cartésien et sage. On passe dans un lycée, saint patron des postulats d’œuvres japonaises, pour suivre les pérégrinations d’un professeur de SVT fasciné par les « demi » — les demi-humains. Il mène une étude sur le sujet pour le plaisir, en vrai miroir du spectateur. Cela tombe bien : il y en a quatre dans ce lycée. Une vampire survitaminée, une duhallan (fée de la mort devant porter sa tête en permanence), une fille des neiges et, parmi ses collègues, une succube.
On mêle donc folklore japonais, irlandais et slave. Tout cela est parfaitement rationalisé et ne se focalise que sur les questions pratiques que ces « parahumains » rencontrent. Quand la tête est dissociée du corps, comment dort-on? Comment porter un cartable ? Manger ? Si la succube s’endort, elle provoque des rêves érotiques autour d’elle : elle est donc obligée de prendre un appartement reclus et d’attendre les heures creuses pour prendre le train. Quelques perches sont lancées pour aborder le fameux « racisme fantastique », qui évoque la collusion entre le normal et le différent, deux notions alors subtilement mises à mal.
D’autant plus que dans cette série, tout le monde est humanoïde, a deux bras et deux jambes : devenir un « demi » n’a rien d’héréditaire et des aides d’état existent — comment avoir sa dose mensuelle de sang quand on est un vampire, sinon ? Vous aurez compris le paradigme : réappropriation de mythes, codifications en pagaille, et vous obtenez un résultat sympathique mais nettement plus mou et calme que le Miss Kobayashi sus-nommé. Le manga original (Freaky Girls, fraîchement édité chez Pika) souffre d’un petit souci de vacuité dans les décors, les cases et la couverture, et ça se sent dans l’adaptation animée. « Mignon » est le qualificatif le plus approprié quand on parle de cet anime.
Little Witch Academia
Vous connaissez peut-être le studio Trigger : maison montée après une fuite des cerveaux du colosse Gainax, Trigger a produit le fameux Kill La Kill ou des œuvres plus alternatives, comme Sex and Violence with Magspeed. Ligne édito locale : de l’animation du tonnerre, des couleurs partout, beaucoup de rythme et d’action, bref, du plaisir, systématiquement. Little Witch Academia s’approche au maximum de ce que peut être un anime pour enfants produit par Trigger, et cette série fait suite à deux excellents moyens métrages, crowdfundés et disponibles tous deux sur Netflix. La bonne nouvelle ? C’est aussi doublé en français.
Quelque part entre Harry Potter et Soul Eater, on retrouve le canevas de l’école fantastique avec un trio d’héroïnes, toutes trois aux caractères différents qui intègrent une école de magie et vont vivre moult aventures fantastiques. La production est bien animée et bardée de détails, ce qui tranche avec ce qui a été évoqué précédemment. Ces impressions ne se basent que sur les deux premiers épisodes, mais la série promet d’être variée, visuelle, riche et intéressante pour tout le monde.
Disponible sur Netflix.
March Comes In Like A Lion (Saison 2)
Deuxième partie de cette adaptation débutée l’année dernière, March Comes In… ou 3-gatsu No Lion est aussi édité en manga chez Kana. L’histoire de Rei, un jeune homme taiseux ayant abandonné le lycée pour s’adonner au Shogi (l’équivalent augmenté des échecs japonais) à un niveau professionnel, une voie qui, pourtant, ne semble jamais réellement le passionner. Il erre, le regard vide comme son appartement, entre deux compétitions dans lesquelles il surnage.
On apprendra vite l’origine de ce vide dans sa vie, une tragédie dont il n’a jamais fait le deuil. Heureusement, il fait la connaissance de trois sœurs du voisinage, dont l’aînée a la tendance de recueillir les choses un peu perdues, fussent-elles des gens. À partir de là va se construire un début de lien social (les quatre personnages ont quelque chose de gros en commun) qui permettra peut-être à Rei de se reconstruire et de retrouver un quelconque amour de soi.
C’est le studio Shaft qui s’y colle, et c’est toujours la promesse d’inventivité visuelle, et au pire, d’un soin porté à l’image et à son adaptation. 25 épisodes qui adaptent religieusement le manga de Chika Umino, en lui ajoutant quelques plus-values sonores et picturales. Cet anime est beau dans le fond et la forme, et sait jongler entre les genres : mélodrame, humour, introversion… comme il jongle entre les quartiers récents et neutres de Tokyo avec des cocons baroques, chaleureux, avec ses chats affamés et des bons petits plats. Deux ambiances qui cohabitent dans cet anime léché qui change un peu la donne. Son atout, c’est cette capacité de jongler entre une ambiance shojo et ronde avec de vrais moments d’émotions. March Comes In… n’a jamais peur de mettre les pieds dans le plat.
Le mélodrame, ce n’est pas une insulte si c’est bien dosé, et March Comes In Like A Lion en est la preuve. C’est disponible sur Wakanim.
En bonus : Kemono Friends
C’est l’anomalie dans la Matrice, la bizarrerie de cette saison, et la contre-recommandation de cet article : regardez Kemono Friends, mais juste cinq minutes, histoire de constater le problème, puis passez à autre chose. Disponible sur Crunchyroll, cette histoire d’anthropomorphisations mignonnes (décidément) articule animation aux fraises — en deux et trois dimensions — et trou noir scénaristique, ce qui n’empêche pas la série d’avoir un grand succès commercial, souvent ironique, mais succès tout de même. Interrogez un fan, il vous dira ses qualités insoupçonnées. C’est sur Crunchyroll.
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