J’ai 27 ans et comme une petite centaine de personnes, je suis dans une salle obscure. Des images animées s’affichent devant mes yeux à un rythmé effréné. De la lumière jaillit, un riff de métal résonne dans la salle et des dinosaures robotisés courent à l’écran. Mes poils se hérissent, mon estomac se contracte et je sens des larmes poindre sur le coin de mes yeux. *Bruit de vinyle qui s’arrête* Attendez. Vous vous demandez sûrement comment je suis arrivé ici.
Reprenons depuis le début. Ça, c’est moi.
J’ai entre 4 et 6 ans quand TF1 diffuse, en France, les premières séries animées des Power Rangers. Pour un gamin de mon âge, c’est le paradis : il y a des gros robots, des adolescents (donc des vieux qui ont le droit de tout faire), des super héros de plein de couleurs, des méchants immondes, des pouvoirs, des armes bizarres, de la bagarre qui fait jamais bien peur et surtout, des tas de jouets géniaux. En fait, tout ce qui est diffusé à l’écran est tellement cheap (tourné avec des jouets en stop-motion ou des acteurs déguisés en robot) que les produits dérivés sont presque photo-réalistes. J’ai l’impression d’avoir les vrais héros, dans ma chambre, qui sauvent le monde en moins de 19 minutes chrono.
J’ai grandi à Nice et ces années, au carnaval, les Power Rangers sont les déguisements préférés des kids, le must-have de la cour de récré. Le Power Ranger (rouge) bat Batman haut la main. Son épée laser découpe les Ninja, les pirates, les robots et autres policiers (oui, on est à Nice, les enfants se déguisent en policiers) sans aucun problème. Le Power Ranger, c’est le niveau ultime. Le king des trottoirs, celui qui ne craint pas les confettis ni les bombes de serpentin. Bref, c’est le must-have d’une génération.
Et puis on grandit. En CM2, déjà les Power Rangers, ça commence à être pour les gamins. Enfants cruels, on se moque de ceux qui osent encore vêtir la panoplie du Power Ranger rouge (so CE2). On oublie les jouets, on passe à autre chose.
Avance rapide, 2017. Les Power Rangers ressortent au cinéma dans une adaptation moderne, mettant en scène de vrais acteurs. Le marketing est savamment dosé et la nostalgie ressort même si les bandes annonce laissent craindre le pire. Tant pis : après toute ces années, on peut bien laisser une chance au film. Ce n’est pas comme si Hollywood nous avait habitué aux reboots de remakes de reprises insipides cuisinés à toutes les sauces.
Mais avant de me lancer, je me suis dit que j’allais regarder un petit peu ce qui m’avait tant charmé quand j’avais 5 ans. Chance : Netflix France a dans son catalogue une tétrachiée de séries Power Rangers. Je n’ai même pas entendu parler de 90 % de la production, mais la première, celle qui a bercé mon enfance et qui est une copie conforme — d’aucuns diront mal faite — des Super Sentai japonais est disponible. Son nom : Mighty Morphin Power Rangers. Je passe Netflix en VF (quitte à revivre l’expérience, autant y aller à fond) et je lance le premier épisode.
Dix épisodes plus tard, je comprends pourquoi Power Rangers fonctionnait si bien pour un gamin. En fait, le script de chaque épisode semble avoir été écrit par un enfant de 4 ans. Vous pourriez le lire avec des « eh ben eh ben eh ben » et des « on disait que », ça passerait crème.
Le script de chaque épisode semble avoir été écrit par un enfant de 4 ans
Exemple : « Eh ben on disait que la méchante elle sortait de terre et puis elle créait des méchants avec de la pâte à modeler et elle les mettait dans un four et ils devenaient vrais et ils allaient détruire la Terre mais on disait qu’il y avait des gentils qui pouvaient appuyer sur leur ceinture pour se transformer en super héros eh ben ils étaient plus forts parce que c’était des super héros et quand ils appuyaient encore sur un bouton ils avaient des robots dinosaures mais la méchante elle pouvait faire grandir les méchants avec son sceptre et et et alors eh ben les robots dinosaures ils s’assemblent pour faire un robot GEANT et on disait qu’on l’appellerait le MEGAZORD et puis il avait une épée et c’était un alien dans un vase qui leur avait donné ça et puis pew pew pew les gentils ils gagnent et ils sont heureux et ils vont manger des glaces MAMAN ? ON PEUT ALLER GOÛTER ? »
C’était le script intégral du premier épisode. Ajoutez des armes encore plus grosses à chaque épisode et vous aurez l’intégralité de Power Rangers. C’est tellement naïf et idiot que ça marche : je devais avoir l’impression de voir un truc sorti de mon imagination.
Alors peut-on faire un film mature avec une telle base, 20 ans plus tard, qui s’adresse aux adultes qui étaient des enfants en 1993 et aux enfants qui sont des Power Rangers en 2017 ?
Difficile. Et pourtant.
Le cocktail qui fait mouche
Power Rangers aurait été un très mauvais film s’il avait eu la prétention de se prendre au premier degré. Un peu comme les héros DC qui nous font de la peine à l’écran ou certains héros Marvel ridiculisés sur Netflix, on aurait pu saccager un Power Rangers qui aurait cherché à être profond, sombre et spirituel. Dean Israelite a parfaitement compris qu’il n’était pas Nolan et qu’il n’arriverait pas à convaincre s’il pondait un énième thriller psychologique.
Au-lieu de cela, Power Rangers se construit en deux parties, en bon premier film d’une saga : l’introduction puis le premier affrontement. La première partie est intéressante dans la mesure où elle reprend tous les codes des teen movie sans faire de fausse note. Les personnages ne sont pas creux : tous ont une personnalité bien marquée qui a des profondeurs et des zones d’ombre qu’on découvre petit à petit. Contrairement à la série qui mettait en scène des premiers de la classe, ce Power Rangers met en avant des gueules cassées, cinq adolescents qui se retrouvent au cours du soir parce qu’ils ont été collés et expulsés de la scolarité traditionnelle. On voit venir gros comme une maison l’arc de la rédemption, mais il est amené subtilement, car les personnages touchent juste.
Dean Israelite s’est même risqué à l’exercice périlleux de revendiquer un personnage autiste sans en faire une parodie dégradante. Au lieu de parodier une maladie qui souffre déjà assez de sa mauvaise publicité (jusque dans la bouche d’un candidat à la présidentielle), le film fait du personnage un héros à part mais inclus, en renforçant à la fois les côtés positifs qui le différencient et ceux qui font qu’il est un ado comme les autres. On se souvient de l’effet positif qu’avait eu un personnage comme Drax dans les Gardiens de la Galaxie et on se réjouit à l’idée que des enfants autistes puissent trouver un autre modèle à l’écran dans un film grand public.
C’est d’ailleurs le cas de tous les Rangers qui ne sont pas les clichés odieux qu’on redécouvre dans la série originale en 2017 — et dont le film se moque assez largement. Power Rangers n’hésite pas à donner un rôle central aux femmes qui ne sont pas des faire-valoir pour les hommes et aborde des questions légitimes dans le traitement de ses ados — le rapport au genre, à la mort, à l’autorité. Bryan Cranston, qui se trouve en tête d’affiche dans la tête de Zordon a la bon goût de ne pas crever l’écran et laisse sa place aux Rangers, méconnus, mais qui ont été bien dirigés. Mentions spéciales à RJ Cyler et Becky G qui n’ont pas les rôles les plus simples, le trio de Rangers préféré des kids étant immanquablement Rouge/Noir/Rose.
Bref, si on s’ennuie un peu par moment parce que l’initiation est longue, on ne regrette pas cette partie qui permet d’apprendre à connaître les personnages — et donc, à s’attacher à eux. L’adulte a besoin d’un arrière-plan un peu plus profond que l’enfant qui se contentait d’un : « lui = gentil donc toi = soutenir gentil ».
La deuxième partie du film, c’est la partie pew pew pew. Et là, en bon film hollywoodien, on en prend plein la tronche. Power Rangers donne des explications réalistes à des lieux iconiques de la série : on retrouve la ville et le lycée, mais surtout, le fameux terrain vague rocailleux qui devient une mine d’or désaffectée. Toute la scénographie est cohérente avec le scénario et la caméra d’Israelite joue les réalistes modernes : on montre tout, sans tomber dans le cliché de la caméra épaule des années 2010 qui resserre trop l’action pour en faire un cocktail brouillon quand elle n’est pas maîtrisée. Les affrontements empruntent aux arts martiaux japonais — évidemment — tournés à la sauce américaine — évidemment aussi.
Les frissons arrivent, les références à la série sont nombreuses et on redevient les gamins de 5 ans qu’on était en 1995. Quand les robots sont là, tout est fait pour nous faire plaisir, les plans sont léchés, les ralentis sont millimétrés, les CGI sont bien plus réussies que ce que le trailer laissait entrevoir. Bref, ça cogne, il y a des robots, des lasers, des monstres, une allégorie de l’ultra libéralisme qui vient détruire nos sociétés, d’autres monstres, d’autres robots, d’autres lasers, une séquence émotion, une séquence clin d’œil, pew pew pew. Fin.
La salle applaudit. On veut la suite.
Le verdict
Power Rangers
On a aimé
- Teen movie bien mené
- Les robots
- Ne se prend pas au sérieux
On a moins aimé
- Première partie un peu longue
- Chanson iconique trop courte
- On veut la suite
On ne sait pas trop s'il est possible d'apprécier ces nouveaux Power Rangers pour qui n'a pas grandi avec la franchise. Le scénario est classique mais les personnages sont bien écrits et leur quête initiatique, déjà vue, est loin d'être caricaturale.
Si les enfants de 2017 n'ont pas trop changé par rapport à ceux des années 1990, alors ils devraient aussi se régaler tout en apprenant une leçon de la tolérance et d'acceptation des autres -- malgré les différences.
Les enfants des 90's devenus grands, eux, n'ont aucune excuse.
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