Les mèmes sont-ils des miroirs de l’évolution de notre utilisation d’Internet ? L’idée peut sembler étrange, mais arrêtons-nous y un instant. Ces images, vidéos, sons et autres contenus numériques, plutôt ordinaires, voire insignifiants en eux-mêmes, peuvent être regardés comme de véritables phénomènes sociaux.
Par la seule magie que leur confère une signification culturelle, leur diffusion devient virale et les érige en symboles chargés de sens. Les mèmes, ces médiateurs comme les autres de nos croyances, opinions et pensées culturelles, pourraient ainsi nous en dire long sur l’évolution de la toile au cours du temps — et, nécessairement, de nous-mêmes.
Meme trends
Mais, comment, concrètement, observer à travers le prisme du mème ? La réponse se trouve, sans surprise, sur le web : vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il existe des plateformes qui se sont fait un devoir de collecter les images et autres textes passés mainstream en quelques années.
Me.me est l’une d’elles : sur ce moteur de recherche, on trouve de tout, du mème le plus anecdotique à ceux qui ont presque réussi à casser l’Internet du fait de leur popularité. Ce Google du mème ne pouvait pas ne pas être exploité : ainsi, les créateurs du site ont entrepris d’analyser cette galerie de mèmes qui avaient été récupérés.
Ils ont même mis à disposition des internautes un outil nommé Meme Trends — largement semblable à Google Trends — où il suffit de rentrer des mots clés pour connaître l’évolution de leur popularité dans le monde merveilleux des mèmes.
« Nous étions curieux de voir comment les mèmes avaient changé dans cette période tumultueuse : quels thèmes, quelles personnes, ont été de plus en plus mème-ifiés ? Sont-ils devenus plus politisés ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes plongés dans notre base de données de mèmes, en analysant les mots clés (le texte apparaissant sur les mèmes). Les mèmes ont la réputation d’être stupides ou drôles, mais à l’aune de l’élection américaine de 2016, les mèmes sont devenus éminemment politiques », écrivent-ils sur leur site.
Les mèmes sont devenus éminemment politiques
Les créateurs de Me.me ont limité leur analyse aux mots clés qui apparaissaient plus de 10 000 fois dans leur base de données pour le mois de janvier 2017. Ils se sont ensuite attachés à en récupérer l’essentiel — en enlevant « manuellement » les mots inutiles, comme les prépositions ou pronoms — avant de calculer le pourcentage d’augmentation de chacun des thèmes principaux, entre janvier 2016 et janvier 2017. Les résultats de ces savants calculs ont été résumés dans un tableau, que voici.
Les prédictions de Me.me semblent confirmées par ces chiffres : en un an, l’utilisation des mèmes à connotation politique a grimpé en flèche. La première marche du podium est, sans surprise, occupée par les mèmes se rapportant à la campagne électorale de Donald Trump : « MAGA » étant la contraction de « Make America Great Again ».
Utilisé une seule fois en janvier 2016, l’acronyme a connu une viralité fulgurante en tant que mème avec plus de 12 000 utilisations en janvier 2017. D’autres mots clés, comme « libertarian », « Donald Trump », « conservative », « politics » ou « liberal », figurent en tête du classement, confirmant ainsi que les mèmes ont largement été teintés d’une symbolique politique.
L’appartenance identitaire « mème-ifiée »
Sur les 25 mots clés les plus présents dans l’utilisation des mèmes, 14 sont intrinsèquement liés à la vie politique — soit un taux de 60%. S’ensuivent une série de termes non moins symboliques et politiques, que le site regroupe sous le terme générique d’identité (« LGBT », « vegan », « Christian », « black », « white »), et dont les mèmes s’y rapportant ont connu une nette progression sur le web. Enfin, certains termes sont passés de l’inexistence la plus totale en janvier 2016, à une utilisation accrue à travers les mèmes début 2017.
Concernant les personnalités politiques, Me.me note qu’en septembre 2016, les mèmes renvoyant à Donald Trump et Hilary Clinton suivaient à peu près la même évolution. À partir du mois de novembre, les mèmes mentionnant le futur quarante-cinquième président des États-Unis ont dépassé de 20 000 unités ceux se rapportant à Hillary Clinton.
Impossible de contester les chiffres : Donald Trump remporte sans tricher l’élection de la personnalité politique la plus « mème-ifiée ». L’analyse montre également que depuis l’élection présidentielle américaine, le nom de « Putin » a commencé à inspirer de plus en plus les mèmes.
Les échéances électorales et les tribulations du personnel politique ne sont pas les seuls sujets qui ont pullulé parmi les mèmes partagés sur Internet. La thématique des « fake news », très féconde en ligne, a connu un franc succès et alimenté la dimension humoristique de nombreux mèmes, tel un produit dérivé de la tendance précédemment citée autour de Donald Trump.
Même constat du côté des mots « racism », « Nazi » ou « white supremacy » dont la fréquence a explosé dans le partage de mèmes en ligne. À nouveau, difficile de ne pas y voir une illustration de la façon dont les internautes se sont emparés et ont détourné les propositions politiques de Donald Trump en matière d’immigration.
Les identités sexuelles et de genre ne sont pas oubliées du classement, avec un net avantage pour les mèmes mentionnant « LGBT » et dont l’utilisation a explosé à compter d’octobre 2016. Quant aux mèmes mentionnant l’appartenance religieuse, le terme « Muslim » a connu une augmentation de 9 000 % tout au long de l’année 2016.
Symbole de résistance politique
Il est une dernière catégorie de mots clés que l’univers du mème a largement mobilisé pendant l’année qui vient de s’écouler : la résistance politique. « Protest », « movement », « resistance » et « march » ont particulièrement été employés dans les mèmes en 2016, avec une impressionnante augmentation dans la période qui a suivi l’élection présidentielle américaine.
Évidemment, ces observations resteraient à compléter. Sur l’ensemble des mèmes devenus viraux en l’espace d’un an, combien d’entre eux sont restés à l’état de blagues gentillettes, reflétant le côté lumineux du web, à l’instar des mèmes respectueux ? Au contraire, combien se sont fait le relais des pires intentions ?
Malgré tout, l’analyse permise par les données de Me.me a le mérite de rappeler que nous aurions tort de sous-estimer la portée de ces matériaux numériques, vecteurs d’une symbolique et miroirs des cultures humaines. Qui sait, les historiens de demain décortiqueront peut-être notre présent en examinant à la loupe les mèmes.
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