Le vinyle survit grâce à un paradoxe temporel : il n’a jamais été aussi inutile de posséder un disque de 12 pouces qu’aujourd’hui et en même temps, il n’a jamais été aussi censé de se tourner vers le sillon pour soutenir une certaine idée de la musique.
Néanmoins, alors que le Disquaire Day de l’année a encore été un succès et que les majors continuent de perfectionner leur stratégie vinyle, une petite minorité d’accro au diamant s’inquiète de la tournure que prend la mode du retour à la galette.
Lassitude des éditions ultra-supra-méga deluxe
Rien que ce mois-ci, trois événements sont venus confirmer la nouvelle nature du marché des sillons : un secteur ultra-premium permettant de capitaliser sur des catalogues déjà célèbres.
L’annonce des éditions boxed de Ok Computer de Radiohead, de Sgt. Peppers des Beatles, et de Lemonade de Beyoncé ont toutes une caractéristique commune : un prix vertigineux. Pour des coffrets plus ou moins collector, plus ou moins limités et plus ou moins intéressants, les artistes et les labels comptent sur les fans pour dépenser plus d’une centaine d’euros. Comme pour graver dans le marbre l’idée que le vinyle est un loisir de riches que l’on pratique entre deux parties de golf.
Les rééditions infinies des classiques, qui finissent ensuite bradés dans les étals des Fnac, ne rendent pas non plus service au microsillon, les majors préférant à un catalogue pétri de diversité, un catalogue que l’on pourrait vendre en masse.
Ainsi, on apprend presque tous les six mois que London Calling a de nouveau été pressé, tout comme la moitié du répertoire de Johnny alors même que l’on attend encore un simple pressage de la plupart des petits albums sortis l’année même.
On apprend tous les six mois que London Calling a de nouveau été pressé
Les disquaires eux-même commencent à perdre la tête face au matraquage des majors qui étouffent toutes les sorties derrière des réédition prétendument exclusive de Trust (sic) — cf. le dernier Disquaire Day.
Les galettes ainsi pressées n’ont pourtant aucune valeur pour le collectionneur — les tirages sont trop importants pour la rareté — aucune valeur pour le mélomane qui achète au moins deux disques par mois — s’il n’a pas déjà Johnny dans sa discothèque, il n’en voudra probablement jamais — et même peu de valeur pour les disquaires qui devront baisser les prix à peine deux mois après la sortie du disque — offre et demande obligent.
Mais alors pourquoi les majors se sont-t-elles autant entichées de nos diamants et ne veulent plus laisser les nerds être des… nerds ? À l’évidence, le panier financier de l’adepte de la platine est, à l’heure du streaming, une garantie de revenus nouveaux. En faisant de l’objet vinyle un culte, au moins aussi affirmé que celui du concert, l’industrie espère solidifier le fameux marché des produits dérivés capitalisant pour cela sur des marques efficaces.
Toutefois, alors que les manufactures sont accaparées par le pressage des éditions super-giga-méga-deluxe de Sheila, les mélomanes se lassent d’être les dindons de la farce. Leur passion ainsi capitalisée est dépossédée à la fois de son précieux — c’est peut-être un excès de snobisme, mais le collectionneur est vianesque par essence — et plus simplement de son intérêt pour faire émerger un autre modèle économique pour la musique.
les mélomanes se lassent d’être les dindons de la farce
Face à un marché qui se majorise, la disparition des rayons de galettes indépendantes, de sons étranges et venus d’ailleurs pourrait bien gâcher la fête. Or, prévenons les majors dès aujourd’hui : leurs éditions ultra-premium ne ramèneront pas forcément les consommateurs vers le vinyle, le son comptant ici moins que l’objet et sa portée symbolique.
Seule échappatoire en 2017 pour continuer d’avoir le vinyle heureux : continuer de pré-commander les disques des indépendants afin qu’ils puissent financer leur pressage, retourner chez son disquaire et surtout garder l’oreille ouverte ! Espérons d’ici là que l’hystérie vinyle des majors passera avant la seconde mort du marché.
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