Quelle agréable claque que celle des premières minutes du Wonder Woman de Patty Jenkins : au milieu des collines verdoyantes d’une île suspendue dans le temps, dans un entrelacs de décorum survolant une antiquité clinquante à mi-chemin entre Game of Thrones et le péplum musculeux façon Francisci, s’élève un duo aussi badass que révolutionnaire — car féminin.
D’un côté, Robin Wright (Antiope) en cheffe guerrière, un rôle parfait pour une Claire Underwood relookée par Tolkien, et la petite Diana, imperturbable princesse qui veut prendre les armes malgré les avertissements d’une mère prudente.
Cela ne devrait pas créer de surprise particulière — après tout le topos est très simple — mais en installant deux femmes dynamiques et belliqueuses dès les premiers plans, Jenkins souligne que son sujet est merveilleux. Ici, le spectateur se surprend de découvrir des personnages puissants qui sont… des femmes. Hors du temps, hors des regards, ce monde féminin s’érige par magie et impose sa vraisemblance héroïque sans mal, tout en jouant sur un paradoxe malin : des femmes qui font la guerre sont forcément contenues dans un monde magique, elles ne peuvent être le produits du monde des hommes.
La meilleure intro du DC-verse
Dans une belle introduction, suffisamment précise sur les enjeux du film pour amorcer solidement le blockbuster, on découvre donc une jeune Diana qui nous fait penser à Moana, une autre princesse insulaire téméraire. Toutefois, cet incipit plein de charmes précipite un sentiment qui accompagnera l’ensemble du long-métrage : en quelques minutes, le véritable nœud du personnage apparaît à n’importe quel spectateur rompu à l’exercice super-héroïque.
Le flou insinué sur les origines et l’identité profonde de la princesse paraît très artificiel compte tenu des dialogues qui par leur grande banalité laissent trop rapidement le spectateur attentif comprendre les ressorts de l’arc du personnage.
Néanmoins, malgré le côté nœud-nœud du twist réservé au personnage, Gal Gadot rayonne suffisamment pour perpétuer le charme qui nous saisissait plus tôt. Inconnue des beaux rôles jusque-là — ni Fast and Furious ni Batman V Superman n’avaient permis au public de découvrir Gadot — la jeune femme dévoile un jeu solaire, campant à merveille une naïveté platonicienne de bon aloi.
Sa beauté sereine, douce et totale vient s’ajouter, à la manière d’un accessoire, au topos de la super fille : elle se dit sculptée dans l’argile par des Dieux, personne n’oserait en douter à la vue de ses yeux sombres dessinant deux gracieuses amandes retenues par des traits angéliques, sous lesquels s’ouvrent légèrement des lèvres ourlées à la perfection. Peu de super jouent dans la même cours que Gal Gadot : les traits bourrus d’Affleck et la beauté sculpturale de Cavill paraissent fadasses. Elle est, en toutes choses, divine ; tant mieux, puisque c’est tout de même son principal super-pouvoir.
Peu de super jouent dans la même cours que Gal Gadot
Puis vient le perturbateur, plus moral qu’endocrinien : Chris Pine campant, façon belle allure de Franco dans le navet Fly Boys, un espion américain poursuivi par les Prussiens. Plus roublard qu’il ne peut l’être dans la plupart de ses rôles, Pine reprend des mimiques de Star Trek et présente un Capitaine Trevor qui ne dépareillerait pas chez Marvel.
Buddy movie cadencé
Hâbleur, maladroit et plaisantin, l’espion en cavale apporte vitesse et rythme à la wonder-aventure. Son esprit mal placé, ses manières rustres et sa tendresse dégoulinante font de ce side-kick un miroir malin qui permet à Patty Jenkins de distiller son regard féministe sur le film. L’opposition malicieusement construite entre lui et la super-héroïne ouvre grand la porte au principal intérêt de la seconde partie du long métrage : un buddy movie. « Ils n’ont rien pour s’entendre mais se retrouvent dans la même galère olympienne » pourrait souligner Warner sur ses affiches, façon comédie romantique avec Charlize Theron.
Plusieurs scènes réussies viennent étayer notre choc des titans : la rencontre de la super fille avec la mode anglaise des années 1910, les blagues touche-pipi du bateau et l’audacieuse et rafraichissante rigueur morale de Diana, tombent à pic et brisent le carcan masculiniste du genre.
Au moment le plus délicieux de la confrontation entre Pine et Gadot, la Wonder, laconique et à peine gênée, explique à son comparse que pour ce qui est du plaisir charnel, les hommes ont toujours été contingents. Ce n’est qu’une phrase dans un film de 2h20 (!) mais pour le genre, c’est d’un courage inouï : s’attaquer à l’objet phallique, c’est saper la fondation du mythe super-héroïque dans sa sémiotique.
la rafraichissante rigueur morale de Diana tombe à pic et brise le carcan masculiniste du genre
Néanmoins, c’est ensuite que les choses se compliquent. En quittant Londres et le buddy movie, Wonder Woman rentre enfin dans le gros de son sujet : la baston. Et dès lors que la jeune femme rejoint une vision surréaliste, bourrée d’anachronismes, d’erreurs en tout genre et d’uniformes aléatoirement assignés de la grande guerre, le charme initial semble se dissiper. Car au contact du cœur du métier, Jenkins semble abandonner l’élégante distance avec le genre qu’elle avait entretenue jusque-là.
Un problème de distanciation et de conclusion
Un exemple me frappe profondément et me fait douter de la logique du scénario. En choisissant la première guerre mondiale, le film obtient deux très bons éléments. Cinématographiquement la première guerre est un sujet absolument esthétique, à la fois pour ses costumes d’une richesse folle et ses tranchées, visuellement très éloquentes.
Mais le petit coup de génie Wonder Woman vient d’un paradoxe malheureusement vite abandonné : en imaginant que mettre fin à la grande guerre, « la guerre de toutes les guerres », Diana rétablirait la paix, il se produit une distanciation automatique avec le spectateur qui, pour peu qu’il ne soit pas né hier, sait que la première des guerres mondiales est très loin d’être la dernière.
Ainsi, l’objectif héroïque de Diana n’est pas crédible aux yeux de mes contemporains, et c’est à mon sens assez brillant : le super-héros devient une sorte de Sisyphe, façon Don Quichotte, dont les combats même couronnés de succès, ne peuvent changer le cours du destin. Le sort est ici incarné par des hommes décevants, crétins et ignares en plus d’être machistes, des hommes qui dans leurs sociétés malades et leurs nationalismes absurdes s’entre-conduisent à la destruction, qu’importent les Dieux.
une troisième partie qui oscille entre le correct et le pathétique
Cette situation historique, malgré les anachronismes horripilants pour le Français, donne donc un cadre intellectuel à l’héroïsme, ce qui est suffisamment rare pour être souligné : de mémoire, la dernière distanciation historique pertinente venait des Watchmen de Snyder.
Toutefois, ne nous réjouissons pas trop vite : ces subtilités s’envolent au contact d’une troisième partie qui oscille entre le correct et le pathétique. Comme rabougri, le scénario oublie ses délicatesses passées et pousse notre super-héroïne dans un imbroglio invraisemblable où se mêlent de mauvais méchants — le duo prusse proto-nazi flatte le fan de Hellboy ou des croquignolants nazillons de l’univers Captain America mais ne convainc pas — et une soupe morale qui distingue celui qui croit et celui qui ne croit pas sans que l’on ne saisisse comment l’aporie initiale a pu devenir une telle bouillie.
Les scènes d’actions, aussi rares que bien réalisées — quelle belle idée que ce lasso lumineux — tiennent plus ou moins le rythme jusqu’à une imbitable fin. Deus ex machina : surgit un super méchant à la crédibilité proche de zéro, qui vient non seulement contredire l’intelligence de l’introduction, mais également ternir l’idée que pour une fois, le DC-verse tenait un film qui se tient sur ses deux jambes.
Pendant un court instant, à quelques minutes de la fin, le décor s’efface pour être remplacé par un fond virtuel façon jeu vidéo, donnant l’illusion d’un gameplay aussi malvenu que bizarre. Cela rappelle inévitablement l’inintelligible combat final de Batman v. Superman, lui aussi gâché par une gestion des effets spéciaux et de la perspective tout à fait excessive et sans intérêt. C’était presque réussi.
Le verdict
Wonder Woman
On a aimé
- Gal Gadot et Chris Pine : très bon duo
- Réalisation adroite et photographie lumineuse
- Humour et distance : une recette moderne
On a moins aimé
- Des méchants superficiels
- Bien trop long
- Traitement historique étrange
Le projet porté par Patty Jenkins et Snyder est un grand bol d'air pour l'univers poisseux de DC par Warner Bros. Prolixe et malin, l'univers qui soutient l'héroïne est aussi fantasmagorique qu'attrayant. La personnalité et le charme de Gal Gadot finissent d'ajouter à l'héroïne un supplément d'âme qui manque souvent au genre. Incarnée et essentialisée, cette Wonder Woman est une super-héroïne réussie et convaincante.
Néanmoins, le cahier des charges DC semble encombrant pour maintenir légereté et distance tout du long, et la rupture entre le bon début et l'inepte dénouement brise de nombreux espoirs. Non Wonder Woman n'a finalement pas les qualités que l'on espérait. Toutefois, le tandem Gadot/Jenkins s'en approche étonnamment, et cela fait un grand bien au genre.
Malheureusement, difficile de le conseiller aux amoureux du cinéma : si c'est une très correcte production, ce n'est pas un bon film pour ceux qui ne sont pas fans. Trop cadrée, nœud-nœud et dissonante, l'aventure de la super-héroïne manque de profondeur pour en faire plus qu'un film de genre.
Ailleurs dans la presse
- Télérama : « Peu importe que le message pacifiste soit presque aussi naïf que l’héroïne à ses débuts, que les personnages secondaires (y compris les méchants) ne servent pas à grand chose, ou que le film soit trop long d’environ trois explosions et deux bagarres. Wonder Woman a un bel avenir chez DC, et c’est déjà notre préférée. »
- Journal du Geek : « Le film distille subtilement et intelligemment son propos féministe, ce qui aura le mérite de faire passer le message même auprès des nerds graisseux qui éructent « féminazi ! » dès qu’une femme ose faire valoir ses droits les plus élémentaires. »
- Le Monde : « Patty Jenkins s’en sort très correctement ; elle apporte surtout au genre, dans les limites évidemment imparties, une légèreté et une distanciation appréciables. »
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