Persuadés que le piratage des œuvres sur Internet est en train de tuer la culture, les ayants droit tiennent depuis de nombreuses années un discours franchement catastrophiste pour inciter la classe politique à prendre des mesures législatives toujours plus sévères contre ceux ayant l'audace d'enfreindre la propriété intellectuelle. En résumé, il faudrait comprendre que télécharger revient à tuer un artiste.
Les maisons de disques, par exemple, mettent en avant le recul du marché du disque pour justifier l'urgence d'un renforcement de la lutte contre le téléchargement non marchand de musique. Et lorsque la courbe remonte un temps, elles expliquent que c'est grâce aux outils actuels. "Voyez comme le combat contre le piratage est pertinent ! Les ventes remontent !" pourraient-elles dire. Sinon, il faut de nouveaux moyens.
À l'épreuve des faits, le rôle négatif du piratage sur l'industrie musicale est en fait très incertain. D'abord, parce que la littérature scientifique sur le sujet est très diverse : il existe une multitude d'études et de travaux montrant que le piratage n'a aucun effet sur le marché de la musique, quand ces publications ne mettent pas en avant un impact positif. Ce qui ne colle pas avec le discours alarmiste tenu depuis quinze ans.
Ensuite, parce qu'il n'est pas pertinent de commenter le rôle du piratage en se limitant au marché de la musique enregistrée. Les ventes de disques baissent, mais n'est-ce pas d'abord à cause d'un changement dans la manière d'accéder à la musique ? La bascule qui s'opère avec le marché de la musique dématérialisée et la montée en puissance de nouveaux services (streaming) doit être prise en compte.
C'est ce point qui a été mis en avant par la London School of Economics and Political Science. Dans un rapport (.pdf) relayé par Torrentfreak, il est constaté que la courbe consacrée à l'évolution du chiffre d'affaires généré par la vente de disques connaît en effet une baisse régulière depuis 2004. Or, l'industrie musicale ne se limite pas à cette seule facette. Et justement, les autres secteurs se portent très bien.
Toutes les autres courbes (concerts, édition, musique dématérialisée) progressent. On peut d'ailleurs voir que l'évolution de la courbe consacrée au chiffre d'affaires de la musique dématérialisée (Internet, téléphonie mobile) répond à celle traduisant l'évolution du chiffre d'affaires des ventes de disques. Corrélation ne signifie pas causalité, mais un déplacement des usages n'aurait rien d'étonnant.
Même à supposer que le piratage affecte effectivement le marché du disque, une quelconque baisse peut être compensée ailleurs, grâce aux concerts, aux licences pour exploiter et diffuser un catalogue (dans un film, une série télévisée, un documentaire…), aux passages à la télévision et à la radio, et aux nouvelles solutions d'écoute (streaming). Ou en travaillant le packaging et les goodies, comme en Corée du Sud.
Cela ne signifie pas qu'il faut ignorer le phénomène du piratage ou la situation des artistes. Mais peut-être faut-il avoir une approche différente, moins définitive sur le sujet. Au lieu de vouer aux gémonies ceux ayant des pratiques culturelles différentes, peut-être faudrait-il comprendre les raisons de ces nouvelles manières d'accéder aux contenus (fragilité de l'offre légale), en rappelant que ce qui n'est pas payé ici sera dépensé là.
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