Le Spider-Man de Raimi est le premier film de super-héros dont je me souviens. Et si, par la suite, j’ai rattrapé la folie Batman de Schumacher, en louant à intervalles trop réguliers les VHS de la collection, le propret Peter Parker de Raimi est ma première expérience énamourée avec un sauveur de monde en spandex.
Du héros et des époques
Aujourd’hui pourtant, je ne tire aucun plaisir à retrouver la réalisation clinquante et vertigineuse de ce gros morceau des années 2000. Au contraire, Maguire ennuie dans son costume rouge : on déteste le voir jouer les premiers de la classe taiseux et poli, de s’énamourer plus que de raison pour une pâle Kirsten Dunst et d’avoir autant de personnalité qu’un bigorneau.
Après des années à voir défiler les prétendants au poste de super-héros de mon cœur, l’ennui pointait. Comme si la lassitude avait pu infecter ma perception du super-héros au point que je lui préférais la défaite à la victoire, la mauvaise foi à la morale et le cynisme aux muscles. Je ne voulais plus (et ne pouvais) voir le Spider-Man de Raimi.
Ce n’est pas tant Hollywood qui a changé que notre regard qui s’est épuisé de l’héroïsme
Soit. Rassurons les fans : je ne veux pas non plus revoir l’Amazing Spiderman malgré toute mon affection pour Garfield et Webb. Les raisons de mon désamour sont pour le coup moins métaphysiques que qualitatives, mais ne refaisons pas ce procès-là. Nous sommes là pour le couple Watts — Holland. Et si je parle du couple Raimi — Maguire, c’est d’abord pour rappeler que la trilogie fut pour Hollywood un modèle de réussite commerciale et narrative que l’on pointait du doigt avec admiration avant les Batman de Nolan et surtout, avant les Avengers. L’arrivée de cette bande a reformulé les standards, épuisé les clichés et renégocié la direction que doit prendre l’héroïsme en son sens moderne.
Désormais, le héros n’est pas tant celui qui gagne que celui qui défie le monde. Si le Spidey de Raimi pouvait se contenter d’une impeccable coupe de cheveux et d’un sourire ultra bright, celui de la génération d’après Avengers doit a minima être charismatique, coquin et un peu loser. Ce n’est pas tant Hollywood qui a changé que notre regard qui s’est épuisé de l’héroïsme.
Frustrations d’ados dans un monde de titans
Or, s’il fallait rebooter Spider-man (il ne le fallait pas mais ce n’est pas moi qui décide), à peine quelques années après l’échec d’Amazing, il apparaissait impossible de ne pas prendre en compte les années qui séparent Homecoming et 2002, année de sortie de Spider-Man.
Il fallait aussi rapprocher le comics du grand écran alors que les films n’ont jamais offert au cool kid des BD une vraie adaptation ciné. Et enfin, il fallait tenter de sortir de l’équation d’introduction des Marvel, équation servie depuis bientôt 10 ans. Pour cela, les studios ont parié sur Jon Watts, un autre indé à la Gunn qui vient dans le giron de la maison après beaucoup de petites productions et signe là son premier film à budget.
Et pour le dire vite, le garçon qui cite à qui veut l’entendre l’influence de John Hugues (The Breakfast Club) sur son travail et qui ambitionnait un spider à échelle humaine a réussi son tour de force. Pour les plus optimistes, il a même rendu jouissif ce qui ne l’était pas (un énième reboot d’une des franchises les plus adaptées au monde). Même si ses thématiques manquent parfois d’épaisseur, elles sont bien là, tout comme la personnalité de son héros qui transcende enfin Maguire, transformant ce qui aurait pu être une introduction agaçante en un teen movie que l’on peut conseiller à tous.
Avec la vitalité que l’on met à filmer des ados atteints de bougeotte, Watts capture un homme-araignée maladroit, touchant et hâbleur. Dans un décor très naturaliste qui éloigne des buildings de Raimi, Tom Holland se faufile dans une puberté bercée par le soleil du Queens et les frustrations de l’âge ingrat. Coup de génie : de la chambre à coucher de Parker, un rien poisseuse, on voit la tour Avengers s’écrouler. Ce plan qui file l’idée que le jeune garçon est un spectateur de l’histoire des super-héros de la génération d’avant résume très bien le thème qu’a choisi Watts. Avec un peu de provocation, Homecoming pourrait être renommé Spider-Man, à l’ombre des super-héros en gloire.
En partant du destin de cet ado touché par l’extraordinaire — même si Watts a l’intelligence de ne pas représenter pour la millième fois cette scène, rappelons que le garçon est piqué par une araignée qui lui confère de nombreux pouvoirs — le long-métrage vole vers de plus dramatiques interrogations. Sur la paternité notamment, un thème qui s’installe étonnamment grâce à l’apport, tout à fait mesuré, de Robert Downey Jr. alias Iron Man.
Mais surtout sur l’anonymat, l’impuissance et le regard des petites gens sur un monde dans lequel avoir un marteau magique fait de vous une personne plus importante que le président. Dans ce monde post-tout où les êtres humains sont devenus des fourmis dans le jeu des titans et des super-héros, la frustration pour les petits est immense.
Frustré, notre Peter Parker l’est jusqu’aux os. Du haut de ses quinze ans, le gamin ne sait pas comment trouver sa place (The Breakfast Club toujours). Au lycée, où il s’enferme avec son pote geek Ned dont le seul projet est de construire L’Étoile Noire en Lego, il voit bien qu’il n’a pas sa place, embarrassé qu’il est par des pouvoirs qui devraient le lier au destin du monde plutôt qu’à son casier. Et lorsqu’il tente littéralement de voler de ses propres ailes, spidey, trop jeune, dépendant des autres et en manque de reconnaissance, se casse les pattes.
Le teen movie d’abord, le blockbuster après
Là où Watts a raison de prendre la question de la puberté autant à bras le corps c’est qu’avec son spidey minet, il propose un modèle d’identification ultra efficace à toutes les générations d’ados qui passeront devant son film. L’humour Marvel vient par ailleurs apaiser les plaies de l’adolescence : on rigole des corps qui changent, on se fend la poire en se souvenant de nos timidités avec les filles. Le teen movie file ainsi sa toile tranquillement, avec un rythme et une photo qui peuvent rappeler un peu la télévision et les années 1980.
Il n’est perturbé que par l’intervention du très très bon méchant qu’interprète Keaton. Un bon méchant est suffisamment rare pour être souligné et ce Vulture, démuni de pouvoir comme de gloire qui vole à la sauvette des armes alien pour trouver sa place dans ce monde sens dessus dessous, est non seulement tragique, mais terriblement humain. Sans divulgâcher l’arc, son rôle est vraiment travaillé et il agit en miroir avec celui de Parker, réunis l’un et l’autre dans la case des déclassés du monde d’après. On est à des années-lumière des méchants à la crédibilité inexistante qui n’ont d’autres motivations que leur propre mégalomanie — et cela fait beaucoup de bien au genre.
Homecoming est l’opposé des films de Raimi
Toutefois, tout n’est pas bon dans Homecoming. Visuellement, on note quelques ratés : les effets spéciaux sont peu attirants, les scènes d’action rarement très inspirées et leur réalisation n’est pas des plus fluides. À ce titre, Homecoming est l’opposé des films de Raimi : là où l’un cavalait la façade des buildings au fil des trouvailles du réalisateur jamais à court de spectaculaire, l’autre semble assurer le service minimum.
Mais vraiment, nous n’arrivons pas à en vouloir à Watts : l’excitation procurée par une grande scène bourrée de mouvements semble rattrapée par l’insolence de sa réalisation. Les found footages qui marquent le début du film sont ainsi, malgré leur intérêt limité, une plus importante source de bonheur que ne l’aurait été un meilleur combat final. Mais il s’agit certainement de mon sens des priorités cinématographiques.
Avouons-le : en 2017, nous désespérons davantage de voir de belles histoires de super-héros que de voir de très bons effets spéciaux — même DC sait en faire. L’histoire aurait pu aller plus loin, être plus dense, notamment lorsqu’elle traite ses enjeux les plus dramatiques maiselle tient malgré tout tête à un banal Doctor Strange aux effets démesurés et à l’écriture… légère.
Enfin, il faut noter que Holland est une star. Ce petit bout parle avec les mains, ne sait pas sourire sans avoir l’air filou, a toujours les cheveux ébouriffés. Pour couronner le tout, le gamin a une voix de crécelle hautement insupportable. Ajoutez à cela un jeu très fluide, parfois nonchalant et vous réussissez à faire de Peter Parker l’excellent personnage que l’on avait découvert dans Civil War. Avec quelques années de plus, croyez-nous, il sera le nouveau Iron Man. Ça tombe bien : sans Sony, nul doute que le petit homme aurait depuis longtemps été intronisé pape du MCU.
Le verdict
Spider-Man : Homecoming
Voir la ficheOn a aimé
- Tom Holland
- Pari créatif réussi
- Méchant travaillé
On a moins aimé
- Les scènes d'action
- Pas beaucoup d'enjeu
- Quelques CGI
Avec Homecoming, Marvel ne change pas son jeu et ses cartes. Ce n’est pas même le début d’une révolution chez la firme qui produit toujours à rythme industriel des films vaguement satisfaisants à la rentabilité phénoménale. Pourtant, il y a bien quelque-chose d’attirant dans l’insolence puérile de ce Peter Parker en culottes courtes. Déjà, l’idée que le film est un à côté du MCU rafraichit un peu le genre. Les enjeux sont plus minces, plus proches et humanisés, un peu à la manière d’une Rogue One dans le monde Star Wars.
Regardant depuis sa fenêtre les blockbusters des dernières années, Watts, comme son héros, veut imprimer sa marque avec la force de ses convictions et de ses libertés créatives. Et bien qu’elles soient toujours diluées dans le cahier des charges qui sert de scénario à Homecoming, son Breakfast Club à l’araignée réjouit. Vrai teen movie de l’été, Spider-Man : Homecoming est bien mené, drôle et prêt à être aimé comme une idole qu’on accroche au mur.
Ailleurs dans la presse
- Première : « Homecoming fait office de récréation au sein du Marvel Cinematic Universe : ni origin story, ni grand moment pivot de la saga. »
- The Verge : « A celebration of smallness that makes the stakes personal »
- Hollywood Reporter : « A charming new lead only goes so far in a reboot that smells of corporate strategy. »
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