En mai 2015, Luc Besson annonce son nouveau film : une adaptation de la bande dessinée Valérian et Laureline, créée par Jean-Claude Mézières et Pierre Christin en 1967.
Aujourd’hui, alors que cette adaptation au cinéma sort ce 26 juillet, la série compte une vingtaine d’albums qui racontent les aventures du duo d’agents temporels, précurseur du genre à l’époque de sa sortie. Tellement précurseur qu’il est difficile de ne pas voir l’influence des scénarios de Christin et des dessins de Mézières dans certains films de science-fiction, tant les deux auteurs français ont été parmi les premiers à imaginer une telle richesse de décors et de créatures à une époque où la conquête spatiale commençait à marquer les esprits du monde entier.
En brassant un imaginaire et des réflexions avant-gardistes, Valérian et Laureline a marqué de nombreux créateurs qui semblent avoir puisé dans la BD française pour développer leurs univers. C’est le cas notamment d’un certain George Lucas avec Star Wars.
Toutefois, cette influence doit être analysée avec prudence, malgré les nombreuses comparaisons qui fleurissent sur le web. Jusqu’à quel point Valérian a influencé le cinéma de science-fiction ? Éléments de réponse avec Nicolas Labarre, maître de conférence à Bordeaux Montaigne et auteur du livre Heavy Metal, l’autre Métal Hurlant.
Les débuts de Mezières & Christin
Respectivement dessinateur et scénariste, Jean-Claude Mézières et Pierre Christin ont pour particularité d’avoir connu le même parcours initiatique à l’âge de 25 ans, en partant en voyage aux États-Unis dans les années 60. C’est là-bas qu’ils ont fait connaissance.
Leur voyage se révèle aussi personnel qu’artistique, puisqu’à l’époque, si le western obsède Mézières, c’est un tout autre genre de BD qu’il va y découvrir. « La bande dessinée américaine a produit énormément de récits de science-fiction, avec des courtes histoires — la forme un peu dominante de la BD américaine dans les années 50. Et c’est de la bande dessinée que Christin et Mézières connaissent », nous raconte Nicolas Labarre, « il n’y a pas de doute que les deux auteurs connaissent cette BD américaine, même s’ils essayeront de faire quelque chose d’assez radicalement différent avec Valérian. »
On peut donc clairement trouver quelques sources d’inspiration américaines dans Valérian, au moins graphiquement, puisque Pierre Christin ne garde pas le pays dans son cœur : « C’est l’une de mes détestations américaines, l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas resté aux États-Unis : c’est une société qui est imbibée jusqu’à la mœlle de la parole biblique et, au fond, du combat contre le bien et le mal » explique-t-il dans le documentaire d’Avril Tembouret, Valérian, l’Histoire d’une Création — qui sera diffusé le 25 juillet à 19h30 sur OCS Max. Un manichéisme qu’il regrette, et auquel il essayera d’échapper dès les premières histoires de Valérian et Laureline publiées dans Pilote.
Pilote et les débuts de Valérian
Ce n’est donc qu’après ce passage américain que les deux artistes, qui viennent de faire connaissance, vont contribuer à l’hebdomadaire à succès Pilote. Les toutes premières pages de Valérian et Laureline, signées des pseudos Mézi et Linus, sont publiées en novembre 1967, avec l’histoire Les Mauvais Rêves.
À l’époque, Pilote rencontre un succès considérable en France, comme l’explique Nicolas Labarre : « C’est un magazine qui est extrêmement important, parce que c’est un peu le début d’une reconquête des adultes par la bande dessinée, via le succès phénoménal d’Astérix. » Un succès français incontestable, mais qui ne traverse pas les frontières aussi facilement qu’aujourd’hui.
« La reconnaissance dans la francophonie, oui, mais en dehors de la francophonie, pas tellement » précise l’auteur de Heavy Metal, l’autre Metal Hurlant, avant d’ajouter une anecdote : « J’avais recueilli un témoignage, dans le cadre de mon livre sur Metal Hurlant, de Howard Chaykin, qui était, à la fin des années 60, l’assistant de Gil Kane, un grand dessinateur américain. Il avait notamment pour tâche d’archiver et découper les Pilote pour lui. Donc il y a avait déjà des gens qui connaissaient Pilote aux USA, même s’il n’y connaissait pas une distribution substantielle. Des dessinateurs locaux connaissaient le magazine, sûrement pas tous, mais certains oui. »
Star Wars, une adaptation déguisée de Valérian ?
Si les dessinateurs sont les premiers à connaître l’œuvre de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin, il semblerait que d’autres artistes ont également feuilleté les aventures de Valérian. Parmi eux, on retrouve notamment George Lucas qui, avec l’œuvre de sa vie qu’est Star Wars, poussera le dessinateur français à se dire : « Merde, on dirait du Valérian ! »
A l’époque de la sortie du premier film, en 1977, déjà six albums de la BD ont été publiés, parmi lesquels L’Empire des milles planètes ou L’ambassadeur des ombres. Seulement, ils n’ont pas vraiment traversé l’Atlantique. « Ce n’est pas si étonnant, si on songe que la série n’a été publiée aux Etats-Unis qu’à partir 1980, dans Heavy Metal. La série y avait été bien reçue, mais Dargaud avait ensuite cherché à s’implanter directement aux États-Unis, pour tenter d’y vendre la série sous forme d’albums, avec un succès mitigé » analyse Nicolas Labarre.
Malgré tout, des ressemblances entre les deux œuvres sont flagrantes, notamment dans le design du Faucon Millénium — proche de celui de l’Astronef XB982 à une époque où les vaisseaux ressemblaient généralement à des fusées — mais aussi dans l’apparence du Grand Moff Tarkin — cousin étrange de l’Ambassadeur des ombres. Ou encore dans la Cantina, lieu de rassemblement de différents types d’aliens… comme dans un bar où se rend Laureline dans l’album précédemment cité.
Des points communs qui s’accentuent avec les épisodes suivants de la saga cinématographique, puisque l’on peut retrouver une version proche de la tenue d’esclave de Leïa dans Le Retour du Jedi portée par l’héroïne française dans Le pays sans étoile,. Mais aussi un équivalent de la scène de l’Empire contre attaque où Han Solo se fait cryogéniser dans L’Empire des mille planètes — un album où l’on peut également trouver une scène assez identique à l’ouverture de l’épisode VI.
Toutes ces ressemblances sont troublantes, et cela sans même parler de certains points communs entre la BD et la prélogie sortie au début des années 2000, quand Valérian aura largement traversé l’Atlantique.
Seulement, George Lucas n’a jamais cité Valérian comme source d’inspiration, et il apparait assez difficile pour Nicolas Labarre « d’isoler ce qui serait l’influence spécifique de Valérian dans ce domaine. »
Le réalisateur de THX 1138 n’a en revanche jamais caché son amour pour Flash Gordon, le cinéma japonais, les écrits de Frank Herbert, d’Edgar Wright Burrows et l’Histoire en général, et son film est avant tout une synthèse de toutes ces passions. D’autant que le récit de la saga reste assez manichéen, loin des nuances politiques et thématiques voulues par les deux auteurs français — et qui seront au cœur de la SF des années 70/80.
L’influence de Métal Hurlant
Il reste malgré tout assez indéniable, d’une façon tout du moins visuelle, que l’on retrouve du Valérian dans Star Wars. La prélogie fait la part belle aux emprunts, puisqu’on y retrouve des designs aliens assez proches — que ce soit pour Watto, Sebulba, les membres de la Fédération du Commerce et bien d’autres — ou des idées assez similaires — l’armée clone ou bien la course-poursuite dans l’eau face à une créature immense. Mais c’est une autre influence qui va se faire beaucoup plus sentir sur la science-fiction américaine : celle de Jean Giraud, aka Moebius.
« Si on considère que le cinéma hollywoodien de science-fiction prend un tour politique avec des films comme Alien ou Outland, marqués par une conscience de classe, alors l’origine est plutôt à chercher du côté de Moebius, par exemple et en particulier du côté de ce récit fondateur qu’est « The Long Tomorrow », écrit par Dan O’Bannon, qui sera notamment le scénariste d’Alien » détaille Nicolas Labarre, qui a pu observer l’influence d’une autre publication française sur les mentalités américaines, celle de Métal Hurlant.
À l’époque, en 1975, le magazine édité par Les Humanoïdes Associés réunit de nombreuses plumes, celle de Moebius donc, mais aussi celles de Philippe Druillet, Gotlib, Enki Bilal, Jacques Tardi ou encore Jean-Pierre Dionnet, créateur de la revue.
Plus adulte que Pilote, la publication marquera la culture anglo-saxonne comme très peu d’autres productions étrangères. Moebius et Druillet seront les auteurs qui marqueront le plus la marché américain, comme l’explique le conférencier bordelais : « Moebius et Druillet étaient connus des auteurs nord-américains dès le début des années 70 ; tous deux étaient à New York en 1972 pour rencontrer leurs homologues américains, et tous deux étaient aussi exposés sur Madison Avenue en 1976. C’est cependant avec la sortie de Heavy Metal, au printemps 1977, que les deux auteurs bénéficient d’une exposition publique massive, suscitant une admiration générale de la part de leurs pairs et du grand public. »
Un succès majeur qui brouille encore un peu plus les pistes sur l’influence réelle de Valérian vis-à-vis de la science-fiction produite aux USA à partir des années 70. Nicolas Labarre nuance : « L’influence de Valérian – et des autres scénarios de Pierre Christin — est peut-être là, mais il est difficile de l’isoler d’un réseau de sources contemporaines. »
Luc Besson, pour l’honneur ?
Alors que l’imaginaire français s’est infiltré dans les productions cinématographiques américaines dans ces années-là, aucun cinéaste n’a semblé vouloir se lancer dans une adaptation de l’œuvre de Mézières et Christin. Mais, à cette époque, le jeune Luc Besson dévore les pages de Pilote et imagine tout le long de sa carrière un moyen de la porter à l’écran. Pour travailler sur son film de SF Le Cinquième Élément en 1997, le réalisateur français fait logiquement appel à Jean Giraud et Jean-Claude Mézières pour élaborer l’univers visuel.
Si Mézières a déjà travaillé pour le cinéma dans les années 80, c’est bien la première fois qu’il peut infuser un long métrage de sa patte, lui qui n’avait reçu aucune réponse de Lucas lorsqu’il s’était proposé de travailler pour lui après la sortie du premier Star Wars. L’idée d’une adaptation de Valérian et Laureline ressurgit alors, mais Besson semble juger que les techniques du cinéma ne sont pas encore au niveau pour rendre justice à l’imagination de Mézières et Christin. Il attendra donc une vingtaine d’année pour enfin se lancer dans cette adaptation.
« Position inconfortable» et premiers résultats décevants
Une adaptation qui, malheureusement, arrive peut-être un peu tard, en tout cas pour le public américain. Car si l’influence visuelle de Valérian sur la saga de Lucas, ou bien encore sur des films comme Pitch Black ou Independence Day, commence a être connue, la BD n’est pas vraiment populaire outre-Atlantique.
Nicolas Labarre résume l’inquiétude concernant l’accueil réservé au film : « Il s’agit d’une adaptation vendue comme telle, mais qui fait référence à une série que peu de gens ont lu et qui est perçue comme ‘un succès en France’. Il s’agit d’une position assez inconfortable, qui semble avoir irrité certains critiques et qui nimbe le film d’une sorte d’exotisme négatif. »
Les premiers résultats du box-office américain semblent donner raison à ses craintes, d’autant plus dans un contexte des plus concurrentiels — avec en face des poids lourds comme La Planète des Singes, Spider-Man, Cars 3 ou encore Baby Driver.
Sorti le 21 juillet dernier, le film n’a récolté que 17 millions de dollars sur son premier week-end d’exploitation, se situant derrière l’autre grosse sortie de la semaine, Dunkerque de Chris Nolan. Un résultat décevant, qui sera surement rattrapé par l’exploitation en Europe et en Asie, mais qui donne malheureusement une idée du rapport entretenu par le grand public américain et l’œuvre de Mézières et Christin.
Malgré tout, difficile de ne pas voir dans Valérian une influence souterraine du genre auquel il a largement contribué à la fin des années 60. La faute à un statut de précurseur, à une époque où la science-fiction n’était pas aussi répandue en France et la diffusion était moins large et rapide qu’elle ne peut l’être aujourd’hui.
Comme les témoignages recueillis dans l’excellent documentaire d’Avril Tembouret le racontent, il a été question à l’époque d’expérimenter et d’imaginer ce qui n’avait jamais été fait, aussi bien en terme d’imaginaire que de techniques de dessin.
On imagine alors sans grand mal que nombreux créateurs aient pu imaginer, conceptualiser ou même créer des choses semblables, suivant une même réflexion ou en partant de l’idée d’un autre pour aller plus loin. C’est le propre de la culture populaire, et le film Valérian ne semble pas déroger à la règle, puisque lui-même s’inspire largement d’éléments visuels, de Mass Effect notamment.
On espère malgré tout que l’ambitieuse entreprise de Luc Besson trouve son public sur d’autres continents, et que la BD de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin continuent d’être découvertes pour inspirer les artistes du monde entier.
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