Ninja Theory, studio anglais à la résonance nippone, s’est fait connaître par trois beat them all développés pour des géants. Il y a d’abord eu Heavenly Sword pour le compte de Sony, Enslaved sous l’égide de Bandai Namco et le reboot DmC: Devil May Cry en collaboration avec Capcom. Avec Hellblade: Senua’s Sacrifice, annoncé durant la gamescom 2014 à l’époque avec un voile de mystère, Ninja Theory avait envie de voir ce qu’il avait réellement dans le ventre.
Il a dès lors réduit son équipe au strict minimum afin d’avoir une approche indépendante, tout en conservant ses ambitions d’antan. En somme, faire un AAA par ses propres moyens, ce qui revient à dire avec trois bouts de ficelle en comparaison des gros studios. Une bien louable initiative.
Marquant
Pour autant, les premières minutes d’Hellblade: Senua’s Sacrifice ne laissent rien transparaître par rapport à son côté volontairement fauché. C’est beau, joliment animé et, surtout, parfaitement mis en scène. Le jeu suit la quête spirituelle, personnelle et entêtée de Senua, une guerrière maudite désirant se rendre à Helheim à tout prix afin de récupérer l’âme de son bien aimé.
À cette réalisation léchée, nourrie par des plans séquence vertigineux et une caméra la plus proche possible, s’ajoutent des envolées sonores extatiques, des voix intérieures qui refusent de se taire et un sound design au top dont il est conseillé de profiter au casque pour le traitement binaural. En un mot comme en cent, Hellblade: Senua’s Sacrifice s’appuie sur une narration et une ambiance marquantes, garantissant une immersion totale, quelques sueurs froides et de vraies séquences anthologiques. Elles constituent sa principale force.
L’approche indépendante permet par ailleurs à Ninja Theory de traiter des thèmes extrêmes. Peu après l’écran de démarrage, un message informe qu’il est question de psychose et que certaines personnes pourraient être heurtées. Il est vrai. Hellblade: Senua’s Sacrifice va loin dans sa représentation visuelle et sonore des maladies mentales et plusieurs passages pourront choquer et rester en mémoire comme des poignards qui s’enfoncent et se retirent au rythme d’un tic-tac d’une horloge macabre. Il faut comprendre que l’aventure de Senua est d’une noirceur déprimante s’appuyant sur des sentiments n’ayant rien de joyeux. Le refus du deuil et l’isolement de l’héroïne renforcent sa détermination et l’empathie de celui qui la contrôle. Très touchant.
Les limites de l’acharnement
Vu comme ça, Hellblade: Senua’s Sacrifice a tout d’un chef d’œuvre, ce qui paraîtra vrai à ceux qui s’arrêteront sur son univers, son récit et son atmosphère. Sauf que le jeu vidéo qui se cache derrière est loin d’être le paradis rêvé, moins apte à entretenir la flamme qu’à doucher les espoirs. C’est là que Ninja Theory touche, immanquablement, ses limites malgré son sujet intéressant et accrocheur et toute la bonne volonté qui transpire à chaque recoin de l’expérience psycho-traumatisante de Senua. Comme elle, le studio est rattrapé par son destin, rappelant que l’épée de Damoclès finit toujours par s’abattre.
Cette notion d’urgence face à sa destinée est renforcée par ce message introductif indiquant que des morts répétées finissent par effacer la sauvegarde. Il paraît que c’est faux (nous n’avons pas vérifié mais certains l’ont fait). Bug ? Troll de Ninja Theory ? Dans tous les cas, inconsciemment ou non, le sentiment d’oppression n’en devient que plus décuplé.
Parenthèse terminée, on aurait difficilement imaginé que les combats soient si ratés. On parle quand même de développeurs ayant prouvé par le passé qu’ils savaient maîtriser un genre pas toujours très bien servi. Malheureusement, les joutes musclées d’Hellblade: Senua’s Sacrifice, logées dans des arènes obligatoires avec murs invisibles, manquent autant de profondeur qu’ils sont prolixes. Stupides penseront certains. Le fait est qu’il n’y a aucune progression à la clef et que l’affrontement A ressemblera au Z à quelques détails près.
Le bestiaire n’est pas suffisamment varié, les boss sont inintéressants (et longs à battre, ce qui les rend encore plus inintéressants) et la technicité résumée à son plus simple appareil. Esquive, parade, coup rapide, coup fort, garde à briser, pouvoir de concentration ralentissant le temps : il n’y a rien de sorcier, donc rien de jouissif, même dans la difficulté la plus élevée. Surtout dans la difficulté la plus élevée.
Redondance
Nonobstant des premiers pas un peu cryptiques, Hellblade: Senua’s Sacrifice s’en tire beaucoup mieux dans sa partie exploration, l’autre composante du gameplay. Les pérégrinations de Senua, s’apparentant à un véritable plongeon dans les abimes, sont constituées d’énigmes à résoudre pour avancer. Elles sont basées sur l’environnement — un couloir — avec par exemple des sigles à retrouver dans le décor, souvent par le prisme des perspectives.
On comprend vite qu’il suffit d’observer et d’être attentif et, une fois ce mécanisme de réflexion digéré, vous ne devriez plus rencontrer de problème. C’est d’autant plus vrai qu’il y a une redondance dans l’utilisation des puzzles, à base de recyclage de bonnes idées plutôt qu’à leur exploitation.
Cette partie exploration est également une aubaine pour mettre en exergue la mythologie nordique, pas nécessairement la plus connue. Cela passe par des runes à trouver, leur activation renseignant sur le lore avec des petites leçons d’histoire. C’est une autre preuve que Ninja Theory a misé sur la narration, tout en offrant une carotte à ceux qui aimeraient tout découvrir au-delà des six à huit heures requis pour mettre fin au calvaire mental de Senua. Et à celui, physique, du joueur.
Le verdict
Hellblade: Senua's Sacrifice
On a aimé
- Narration, réalisation
- Joli
- Bande son au top
On a moins aimé
- Des combats stupides
- Une exploration redondante
- Les limites de l'approche
On pourra difficilement en vouloir à Ninja Theory qui offre une véritable plongée en enfer. Au sens figuré grâce à la narration, l'ambiance et la réalisation astucieusement associée. Comme au propre à cause de ce gameplay souffreteux, lequel aurait mérité une once d'attention supplémentaire pour aller au bout de ses idées.
Toutefois, il apparaît impossible de déconseiller totalement Hellblade: Senua's Sacrifice, ne serait-ce qu'à la lecture de sa proposition gonflée de traiter un sujet sensible comme celui des psychoses. Il est finalement un peu à l'image de son héroïne : seul dans son monde, condamné par sa propre condition et sujet à l'incompréhension. Une enveloppe charnelle limitée, une âme bavarde.
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