Le triumvirat à l’origine de la nouvelle plateforme SVoD, e-cinema, s’était déjà montré sur les marches de Cannes. Composé de Frédérice Houzelle — ayant fait ses gammes au petit écran –; Roland Coutas — pionnier du web français avec son site e-commerce TravelPrice et enfin, pour la touche culture, Bruno Barde qui officie en tant que directeur artistique, homologue lointain d’un Ted Sarandos, passé par les festivals et la production.
Aujourd’hui, à Deauville, la bande est de nouveau réunie pour parler de son projet, fin prêt, de SVoD pour le cinéma d’auteur. En guise d’introduction, on cite YouTube, Netflix et Spotify et bien qu’étant en France, ici, personne ne saute de sa chaise en entendant le nom des géants. Il ne s’agit toutefois pas d’une résignation générale, mais Cannes et ses huées semblent loin. Sur la côte normande, au contraire, le cinéma français se cherche désormais une plateforme, la sienne.
Une industrie saturée et vieillissante
Evoquant un marché qui n’a pas beaucoup évolué, le trio insiste sur l’immobilisme de la production hexagonale : la presse qui ne parle pas des petits, les exploitants qui boudent les productions exigeantes et plus grave, la chronologie des médias. Sans avoir reçu de dérogation spéciale de la part du CNC et se sachant contraint, le trio l’avoue : la situation n’est pas idyllique. Mais peu importe, un modèle a été trouvé.
Dans une industrie où les salles diffusent 700 films par an alors que les Français vont en moyenne trois fois au cinéma par an, les trois hommes identifient une demande.
Un nouveau marché auquel ils souhaitent répondre, tous les vendredis, par un ou des films exclusifs — diffusés strictement sur le web et dont les droits n’appartiennent qu’à eux. Des productions que le public pourra retrouver grâce à un abonnement de 9,99 € par mois, ou grâce à des e-tickets comme ils sont appelés ici : plus simplement de la VoD à 5,99 € pour cinq semaines de disponibilité. Des durées flexibles, loin de la VoD classique qui elle est contrainte par les studios.
Les contraintes ont été progressivement repoussées par l’équipe de E-cinema en pivotant d’un projet qui devait être assez classique vers une ligne éditoriale « exigeante » et des acquisitions exclusives.
Ces dernières seront assurées par une petite équipe composée de M. Barde, dont les sélections deauvillaises ont participé à l’histoire récente du Festival, mais également Hengameh Panahi, membre de l’académie des Oscars et distributrice de films d’auteur, et enfin Daniel Preljocaj, du groupe TF1. Cette équipée de cinéphiles aura la lourde tâche de puiser dans le catalogue des festivals du monde entier pour tenter de trouver et acheter des films qui ne trouvent pas de distributeurs. À la manière des Amazon et Netflix, dont certains moquent le supermarché lors du TIFF et du Sundance, les Français vont arpenter les festivals avec une ambition artistique nette.
Barde se souvient, trémolo dans la voix : « La France était la plus grande cinémathèque du monde, nos salles diffusaient du japonais, de l’iranien, du scandinave… Mais cette époque est finie, et cela pour des raisons économiques. » Désormais, le cinéphile voudrait imposer un retour à la « loi artistique », citant plus que de raison, « l’élitisme pour tous » selon la formule de Vilar. Internet pourrait faire revivre ce cinéma d’à côté, lié aux auteurs, et à son public. Mais jusque-là, les occasions auraient été manqués selon les trois hommes.
Elitisme pour tous
Ainsi, la plateforme cherche à réduire les compromis artistiques tout en se sachant limitée financièrement. Dès lors, il s’agit de trouver des films aux budgets réduits, mais exigeants — il n’en manque pas.
« Sur E-cinema, ajoute Audrey Pulvar, qui présentera un talk hebdomadaire sur la plateforme, on trouvera du cinéma d’auteur qui ouvre la parole, la critique et le regard. Des films dont vous aurez envie de parler. » Seule la qualité compte nous assure-t-on : ainsi dans les prochaines sorties on compte sur Hevn (Revenge en anglais) dans la pure tradition de la scène nordique ; The Bachelor, américain et présenté à Deauville, mais encore Paradise (2015) de l’iranien Sina Ataeian Dena. Et si le vent le veut, E-cinema voudrait également financer des productions françaises à l’horizon 2019 : on nous parle de Bruno Dumont et de Mia Hansen Love, en exclusivité.
L’entreprise assume ses limites financières, mais aime insister sur le fait qu’ils ont, malgré l’ombre des géants, « les moyens de [leurs] ambitions ».
Le résultat de cette ambition, singulière dans le paysage français, sera à découvrir le 20 octobre avec, à l’ouverture du e-guichet, plus de 20 films disponibles. Côté techno, E-cinéma se réserve étrangement pour Apple : seul iOS et tvOS auront droit à une application — Android est attendu pour la fin d’année.
Offre complètement sur le web, E-cinema admet néanmoins discuter avec les FAI. Mais le contexte semble peu propice à des liens forts alors même que ces derniers, d’Altice à Orange, annoncent des investissements records dans le contenu.
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