« Elle a traversé un divorce, elle a deux putain d’enfants […] et un homme alcoolique qui la trompait, et vous, tout ce qui vous intéresse, c’est vous moquer et faire de l’argent sur son dos. […] Laissez-la tranquille ! Laissez-la tranquille ! » Lorsque Chris Crocker enregistre cette très courte vidéo, nous sommes en 2007, et YouTube n’en est qu’à ses débuts.
Sans le savoir, le jeune homme montre au monde entier ses blessures et sa compassion pour sa célébrité préférée, qui disons-le avec le recul, a été torpillée par une Amérique en pleine hystérie people. Le traitement qui a été réservé à Britney Spears durant une période qui fut la plus dure de la vie de la jeune femme — et qui aurait été probablement vécue de la même manière par chacun d’entre nous — avait blessé le jeune Crocker.
Ses larmes, son ton dramatique nous ont pourtant fait rire durant des années : sans identité et sans histoire, ce visage cramoisi et bouffé par la tristesse nous inspirait, au mieux, un vague sourire. Les monstres que nous sommes derrière nos écrans ignoraient alors tout de ce qui a conduit le garçon à prendre la parole, ce 11 septembre 2007. Il s’explique aujourd’hui, et nous découvrons, coupables, que nous avons été incapables de compassion.
La très difficile compassion pour un mème
Crocker détaille en effet, que malgré sa propension à rire de lui-même, son témoignage était tout à fait sincère : « Cette année-là, ma mère luttait contre ses addictions et était devenue une sans-abri après avoir servi pour notre pays en Irak. Les difficultés dans ma vie familiale me mettaient sur la défensive dès que je voyais femme traversait une période difficile. » Une identification à la peine de Britney Spears — de la simple compassion en somme — qui a été moquée par des millions de personnes, sans raison valable. D’autant qu’au-delà de moquer sa peine, Internet pris un malin plaisir à détruire lentement le moral et la fierté du jeune homme qui écrit aujourd’hui : « J’étais moqué pour ma féminité. On me traitait de toutes les insultes réservées aux gays. Les présentateurs de télé se demandaient si j’étais un homme ou une femme après avoir joué ma vidéo en public. »
« Les présentateurs de télé se demandaient si j’étais un homme ou une femme »
Interdit et blessé, Crocker a passé les dix années suivantes à s’inventer un personnage de garçon rigolo sans avouer qu’au fond, il avait mal pour sa mère. Il ajoute : « Je savais que personne ne me prendrait au sérieux, alors j’ai décidé de jouer le jeu. »
Nous serions, collectivement, de mauvaise foi si nous prétendions le contraire : les quelques secondes de gesticulations bruyantes du garçon ne nous inspiraient ni bienveillance ni empathie. Le lynchage public et cynique qui poursuivait la vidéo n’embarrassait pas les foules, et il est difficile de trouver une chronique qui, cette année-là, dénonçait publiquement notre comportement à l’égard du jeune homme.
Au contraire, dans un univers où rien ne devait être sérieux, nous échangions, gif après liens, et liens après gif, ce visage déchiré par les larmes comme on écrase une émoticône en tweetant un rest in peace pour une célébrité que nous ne connaissons pas.
Derrière l’écran, le monstre que nous sommes
Pure négation du visage de Lévinas, ces écrans entre nous et l’autre nous ont rendus hermétiques à la souffrance. Là où nous devrions voir un « sens à lui seul » selon la formule du philosophe, nous voyons un contexte, une image ; nous souffrons d’un manque flagrant d’humanité et cela sans en sentir la culpabilité naturelle qui devrait suivre. Nous découvrons alors le cynisme propre à l’écran : celui qui dénature l’humanité.
Dix ans plus tard, Crocker veut croire que nous commençons à progresser. Il écrit qu’Internet et YouTube sont devenus des endroits plus ouverts à la différence : « De nombreux youtubeurs LGBT sont appréciés pour ce qu’ils sont. Je me demande souvent si j’aurais été traité différemment si j’avais publié ma vidéo plus tard »
La question nous est collectivement adressée.
https://twitter.com/ChrisCrocker/status/906930358138138625
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