Le 17 juillet 2018 serait la journée mondiale des emojis, aussi connue sous le nom de World Emoji Day. Cette date, qui ne correspond à aucune célébration officielle, a d’ailleurs été choisie par Apple pour dévoiler une série de 70 nouveaux emojis.
Pourquoi le 17 juillet ? En 2002, c’est cette date qu’Apple avait choisie pour dévoiler son calendrier (iCal) lors de sa Macworld Conference & Expo. Et l’emoji à l’effigie d’un calendrier fait lui même mention de cette date du 17 juillet, lors de laquelle la firme à la pomme célèbre aussi l’anniversaire de son app iCal.
Le World Emoji Day est aussi l’occasion de retracer le parcours de ces désormais célébrissimes dessins, grâce à plusieurs spécialistes du sujet.
Avant de plonger tête la première dans cette chronologie non exhaustive, ouvrons, si vous le voulez bien, un dictionnaire :
- À en croire Wikipédia, l’émoticône est « une courte figuration symbolique d’une émotion, d’un état d’esprit, d’un ressenti, d’une ambiance ou d’une intensité, utilisée dans un discours écrit. » Le terme en regroupe ainsi deux autres, que sont :
- Le smiley, formé par « une combinaison de symboles insérés dans une ligne de texte », :-)
- Et l’emoji, terme japonais formé des mots « image » (e) et « lettre » (moji). 😊
Or, pour comprendre d’où viennent les emojis, il faut d’abord retracer l’histoire, englobante et plus ancienne, des émoticônes. Pierre Halté, docteur en sciences du langage et auteur d’une thèse sur le sujet, nous éclaire sur cette question.
Il était une fois l’émoticône
« Si vous cherchez sur Google, vous trouverez la version officielle de l’histoire des émoticônes, nous explique Pierre Halté. Elles ont été utilisées pour la première fois en 1982, dans un mail rédigé par Scott Fahlman. En fait, si l’on remonte aux années 1970 aux États-Unis, on peut déjà retrouver des émoticônes dans les premiers chats, lorsque les chercheurs de l’époque créent, au sein de l’université d’Illinois, les premiers réseaux d’ordinateurs. Dans leurs échanges via chat, on trouve déjà des pictogrammes, de toutes petites émoticônes de trois-quatre pixels ressemblant à des mimiques tristes ou enjouées. Les émoticônes sont en fait nées avec le chat, car c’est un genre discursif qui allie la spontanéité de l’oral aux contraintes de l’écrit. »
La naissance des émoticônes est indissociable de celle des chats, et de leur démocratisation au sein des milieux universitaires américains, poursuit le spécialiste : « Dans les années 1970, les étudiants de l’Illinois créent PLATO, le premier système d’enseignement assisté par ordinateur. Ce système a contribué au développement de plusieurs outils informatiques que nous utilisons encore aujourd’hui, dont les chats au sein desquels sont apparues les émoticônes. »
Pour Pierre Halté, les émoticônes sont une invention unique, bien que nous n’ayons pas attendu leur invention pour commencer à communiquer de façon non verbale. « Les émoticônes reproduisent les gestes que l’on ferait à l’oral, souligne-t-il. Écrire en pictogrammes n’est pas une nouveauté dans l’histoire, mais avec l’essor des émoticônes, c’est la première fois qu’on produit de véritables « gestes à l’écrit », qui interagissent avec les énoncés verbaux tout comme le font les vrais gestes dans les interactions en face à face. »
L’emoji, inventé au Japon
Ce besoin de ponctuer les communications écrites par des dessins expressifs se matérialise différemment, et un peu plus tard, de l’autre côté de l’océan Pacifique. Virginie Béjot, auteure d’un mémoire intégralement consacré au sujet, baptisé « Qu’est-ce que l’emoji veut dire ? », y rappelle que l’emoji est né du crayon de Shigetaka Kurita en 1995.
Cet ingénieur, qui travaille à l’époque chez NTT DoCoMo — à l’époque le principal opérateur téléphonique japonais — crée 172 pictogrammes, intégrés dans la plateforme de messagerie I-mode. « Shigetaka Kurita est parti du constat qu’en japonais le contexte est important pour saisir le sens d’un mot. Or, ce contexte est un élément difficile à intégrer dans un SMS. Il a été inspiré par l’arrivée du smiley dans les années 1990, il pensait que son invention apporterait juste un petit plus » précise Virginie Béjot.
Les emojis rencontrent un succès inattendu, au point que des Japonais décident de changer d’opérateur pour en bénéficier. « Les autres opérateurs ont cherché à copier ce système, poursuit Virginie Béjot. Cela a entraîné des problèmes de réception des emojis entre deux personnes qui n’avaient pas le même opérateur. C’est ainsi qu’est venue l’idée de créer un alphabet commun, consacré en 2010 avec l’entrée de centaines d’emojis dans Unicode. »
Dans le cadre de son mémoire, Virginie Béjot, alors étudiante au CELSA, s’est intéressée aux différents enjeux soulevés par ces emojis : « J’avais lu un article un peu alarmiste, qui annonçait que les emojis allaient remplacer la langue, un discours un peu traditionnel selon lequel Internet rendrait stupide… Ce qui m’intéressait n’était pas tellement ce débat de savoir si les emojis sont un langage, mais de comprendre comment les gens s’en servent pour augmenter la langue. Je voulais aussi m’intéresser aux enjeux industriels autour des emojis. »
L’emoji, un enjeu de « soft power »
Ainsi, Virginie Béjot préfère souligner que les emojis, disponibles par centaines dans les claviers de nos appareils, sont loin de n’être que de simples petites icônes innocentes et gentillettes. « Nous pouvons avoir l’impression que les emojis sont démocratiques. Or, le standard informatique développé par le Consortium Unicode s’apparente plutôt à une véritable boîte noire. Si on cherche un peu, on s’aperçoit que le consortium est géré par des entreprises comme Google, IBM, Microsoft… sans que l’on sache vraiment ce qui se passe au moment de la validation des emojis. »
Outre les tensions commerciales suscitées par les emojis entre marques concurrentes (iOS versus Android, pour ne citer que l’exemple le plus connu), ces symboles sont également chargés d’un enjeu culturel. « À l’origine, les emojis sont japonais, poursuit Virginie Béjot. Or, on observe une tendance à l’américanisation, et une volonté de chacun de militer pour sa propre représentation de sa culture. Les emojis sont vecteurs de soft power, chacun cherche à y retrouver sa grammaire, comme aux États-Unis avec l’idée de transposer le high five en emoji. »
Et ce, d’autant plus que l’emoji s’est en effet démocratisé avec iOS. Si les iPhone affichent des emojis depuis 2008, avec l’iOS 2.2, il faut attendre 2011 et la version 5 pour que les emojis deviennent bien plus populaires. Au lieu de copier coller les symboles en installant une application supplémentaire, les utilisateurs d’iOS peuvent en effet activer un clavier dédié dans leur paramètres — où, coïncidence, le clavier est d’ailleurs ajouté comme une « langue. » Faut-il y voir le signe de de la toute puissance future des emojis ?
« Le risque d’appauvrissement linguistique par les émoticônes n’existe pas »
Est-il légitime de craindre un impact négatif des emojis sur la langue ? Les deux spécialistes sont unanimes : non. « La peur de l’appauvrissement linguistique liée aux émoticônes est infondée, le risque n’existe pas : les émoticônes sont là pour une bonne raison, ramener le geste de l’oral à l’écrit, et cela ne va pas remplacer les mots », argumente Pierre Halté.
Même son de cloche pour Virginie Béjot, qui met largement en doute cette prédiction catastrophe : « Je ne crois pas à l’idée selon laquelle les emojis seraient une langue universelle. C’est un fantasme, ils ne vont pas remplacer la langue. »
Bonne nouvelle : nous pourrons donc continuer à écrire encore beaucoup d’autres articles sur les emojis, quand Hollywood en tire pour sa part un film. 🎬
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