En 2017, ils font partie intégrante de la culture web, leur légitimité n’est plus à prouver et les forums de créations numériques comptent des milliers de leurs œuvres : nous parlons bien sûr des Bronies.
Contraction de brother et poneys, les Bronies désignent la vaste communauté de jeunes adultes unis par leur passion commune pour des poneys bariolés et pétris de bons sentiments. La série animée My Little Pony : Friendship is Magic est leur socle de référence commun, elle qui donne vie, depuis 2010, aux jouets d’Hasbro apparus pour la première fois dans les années 1980.
Des poneys à la conquête du monde
Ce dessin animé pour enfants est en effet devenu, il y a plus de sept ans, une référence du web dont ont été tirés des milliers de mèmes, des jeux dérivés, une catégorie pornographique et bien d’autres objets culturels surprenants. Aujourd’hui, après avoir été célébré dans des rencontres, des festivals et sur Internet, le phénomène gagne les salles obscures. Et s’offre au passage une visibilité jusque-là inédite.
Alors que la franchise comptait déjà plusieurs téléfilms, Hasbro a franchi le Rubicon en tentant sa chance dans les cinémas avec Lionsgate. Pour la marque de jouets, les salles permettent de rassembler les fans mais également d’étendre l’emprise de la franchise dans le monde, notamment en Asie.
Projeté par Lionsgate à Cannes, My Little Pony est ainsi devenu un produit commercial ambitieux. Mais au-delà des enjeux financiers, pour la communauté des Bronies, cette arrivée en salle est une expérience inédite : leur passion dépasse ses frontières habituelles pour tenter de conquérir le box-office.
Les différents Bronies, majoritairement masculins, que nous avons pu consulter partagent un autre point commun : leur passion pour les poneys colorés est née dans l’intimité de soirées binge. Quand, en 2010, Hasbro reboote la franchise de jouets, et fait appel à Lauren Faust, prolixe auteure des Super Nanas, aucun de nos futurs Bronies francophones n’imagine alors s’intéresser à la série. Et puis, le talent de sa créatrice aidant, le succès prend et s’étend sur le web grâce à des mèmes.
En quelques mois seulement, My Little Pony : Friendship is Magic est devenu une référence. Guillaume, étudiant en histoire, nous raconte que ce sont alors ses amis otakus (fans de culture japonaise) et métalleux qui vont par exemple le conduire au dessin animé. Aux yeux de ces jeunes adultes nés dans les années 1990, l’animé rappelle bien les plaisirs de l’enfance et les émissions du matin, mais procure également un plaisir franc à ses téléspectateurs. « C’est drôle, référencé, moi ça me donne la patate » explique Guillaume.
Une double lecture appréciée
Néanmoins, pour prétendre faire partie intégrante de la communauté, il ne suffit pas seulement de regarder le dessin animé. Il faut aussi participer à la vie de cette bulle hippique : création picturale, jeux vidéo amateurs, fictions, rencontres… Les Bronies ont leur univers à eux. Justine, lycéenne en terminale L, dessine régulièrement les
personnages et a même créé une peluche artisanale, une trajectoire créative assez courante chez les Bronies.
Dans ce petit monde, on développe et cultive surtout une double lecture du dessin animé : ne soyez pas étonné de voir un Bronie développer une herméneutique des poneys. Si bien que, selon la légende, les créateurs et Hasbro prendraient de plus en plus de liberté avec leur production, ajoutant ici et là des références de bon aloi, du Big Lebowski, un Slender Man, ou encore Harry Potter. Ainsi, l’animé des enfants est à la fois objet de fantaisies et d’analyses, façon Pixar, doté de deux niveaux de lecture à chaque épisode.
« Si je devais parler à un enfant fan de My Little Pony, je pense que nous pourrions échanger mais ça ne peut pas être comparable à une discussion entre Bronies » nous explique un Brony. Comme obsédé par l’hypertextualité de la production, le jeune adulte cultive une contre-culture de l’objet initial mais qui ne va pas — ce n’est pas son intention — délégitimer le propos initial du show.
« Moi j’adore les petites morales à la fin de chaque épisode, qui reviennent sur les événements et tirent des conclusions » admet Guillaume : dans My Little Pony tout est bon à prendre. Justine se souvient avoir détesté les jouets Hasbro lorsqu’elle était enfant. Il a fallu que la culture Bronie change son regard sur les canassons bigarrés : « Je suis tombé sur une parodie au départ, je prétendais n’aimer que la version parodique de My Little Pony, puis j’ai testé un épisode sur Gulli. Et j’ai beaucoup aimé ! Les designs simples et attrayants, les références pop culture et l’humour m’ont plu. »
Ainsi, les Bronies qui comptent se rendre en salles pour voir le film ne sont ni sceptiques, ni désinvoltes : l’univers devrait y être étendu, le propos raffiné et la franchise plus accomplie. N’imaginez pas que ces jeunes adultes seront amers ou ironiques devant les écrans, leur double lecture est enthousiaste, passionnée et tendre.
Et si certains confient un malaise à l’idée de se rendre à la séance du mercredi soir « à la sortie des écoles », globalement, l’eau a coulé sous les ponts du drama et les Bronies ne se considèrent plus comme illégitimes par rapport aux spectateurs enfantins. Ils sont un public de My Little Pony, ont reçu l’attention et l’intérêt d’Hasbro et rapportent probablement autant à la firme qu’un enfant de six ans.
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