« Le tout premier ‘Cher Corps’, c’était il y a pile un an. J’avais fait un test avec une amie, je m’étais dit ‘on va essayer de faire ça, mais je ne sais pas du tout ce que ça va donner.’ Je me souviens même de nos échanges, c’était à base de, ‘tiens, j’ai envie de faire une vidéo sur le corps, mais je sais pas trop comment’. »
32 524 abonnés à sa chaîne YouTube, 41 vidéos. Un peu plus d’un an après la mise en ligne de la toute première vidéo de sa série « Cher Corps », voilà ce que représente aujourd’hui le travail de Léa Bordier. Du haut de ses 25 ans, la réalisatrice web — à laquelle on doit notamment, en compagnie de Lisa Miquet, le documentaire « Elles prennent la parole » tourné sous l’égide des Internettes — évoque avec modestie et un grand sourire le parcours qui l’a conduite à se lancer sur YouTube.
Elle se remémore les conditions de tournage du pilote de ses « Cher Corps. » Le 30 octobre 2016, Léa Bordier y esquissait le début d’une longue succession de touchants portraits de femmes ; des vidéos dans lesquelles elles racontent la relation qu’elles entretiennent avec leur enveloppe charnelle.
Elles s’appellent Amélie, Khlauda, Lisa…
« C’est très différent de maintenant, sourit Léa Bordier en se plongeant dans ce souvenir. J’ai tourné la vidéo et j’étais satisfaite du résultat, finalement je l’ai publiée. Madmoizelle, un site pour lequel j’ai travaillé trois ans et demi [au total], l’a partagé. Et là, j’ai reçu plein de commentaires, plein de messages d’engouement autour de cette vidéo. Plein de gens qui s’y reconnaissaient, notamment des femmes. »
Un BTS audiovisuel en montage et une licence professionnelle en réalisation audiovisuelle en poche, Léa Bordier débarque en stage dans l’équipe du magazine Madmoizelle. Elle y développe activement la présence de ce média féminin sur YouTube.
« Il y a un an, je me suis lancée en tant qu’auto-entrepreneure, poursuit elle, et je me suis dit, c’est peut-être le moment de développer ma propre chaîne YouTube. J’y avais déjà pensé avant, mais je n’étais pas encore dans l’idée de faire quelque chose de connu. Je songeais plus à avoir une création à moi, une sorte de vitrine pour mes vidéos et mes petits projets. »
Les vidéos « Cher Corps » sont l’un de ces « petits projets » dont parle la réalisatrice. Il y a d’abord Amélie (plus de 137 000 vues), puis Flore, Khlauda, Margaux, Sophie Riche, Tara, Clara, Lisa… Les unes après les autres, les femmes dont Léa Bordier croque le portrait dans une atmosphère bienveillante se dévoilent devant l’objectif.
Complexes, cicatrices, santé, puberté, image de soi, anecdotes… les intervenantes immortalisées dans « Cher corps » se livrent en toute liberté, guidées par la réalisatrice qui ne rentre jamais dans le cadre afin de leur laisser toute la place.
« La plupart sont des inconnues, qui me font confiance »
« Je connaissais certaines des femmes avec qui j’ai tourné, mais pour la plupart c’étaient des inconnues. C’est assez incroyable quand j’y pense : ce sont des femmes qui me font confiance, chez qui je vais, qui n’ont pas peur, la plupart se déshabillent un peu, parfois se mettent en sous-vêtements si elles ont envie… C’est très intime », analyse la réalisatrice web.
Dans leur univers
Pour mettre à l’aise les participantes de ces vidéos, Léa Bordier prône la simplicité : « La plupart du temps, je tourne la vidéo chez elles. J’ai envie d’être dans leur univers, pour qu’elles se sentent bien. Le tournage dure entre une et deux heures, souvent on discute tranquillement, d’ailleurs c’est davantage une discussion qu’une interview. Je pense qu’en ça, je les rassure aussi. Ma caméra est toute petite, je n’ai pas de lumières braquées sur elles. C’est juste moi et ma petite caméra, et voilà, on discute comme si de rien n’était. »
Les vidéos « Cher Corps » sont parfois l’occasion pour les intervenantes qui le souhaitent de se dévêtir légèrement. Là encore, Léa Bordier accompagne en douceur ce choix, qu’il advienne en amont du tournage ou qu’il soit spontané pendant la prise de vue. « Le plus souvent, je leur explique avant par email que si elles veulent se mettre en sous-vêtements, en body, en sweat ou en gros pull, c’est selon leurs envies. Ce que l’on peut faire aussi, c’est tourner en pull tranquillement, puis faire d’autres plans si elle veut se déshabiller un peu plus. »
« Globalement, il y a un message positif dans mes vidéos. Quand elles me disent qu’elles se sont trouvées bien dans leur vidéo, je suis vraiment contente. Certaines me racontent qu’elles peuvent avoir un rapport compliqué à leur corps, et expliquent qu’elles tentent des choses pour se sentir mieux dans leur peau. »
Et les hommes ?
Dans les nombreux commentaires qui sont publiés sous ses vidéos, Léa Bordier est régulièrement interrogée sur son choix de ne filmer que des femmes. « Au début, j’avoue que je me suis questionnée, parce que tout de suite on m’a dit : et les hommes ? Maintenant, je sais que je ne le ferai pas avec des hommes, non pas que ça ne m’intéresse pas. Au contraire, j’aimerais beaucoup voir ce sujet abordé ! Il y a tellement de choses à faire avec les femmes, c’est un sujet qui me passionne », nous explique la réalisatrice.
Léa Bordier parle d’ailleurs avec enthousiasme d’un trio de « Cher Corps » qu’elle a tourné avec les femmes d’une même famille. La vidéaste Sophie Riche, que nous avions déjà rencontrée au sujet de sa vidéo sur les menstruations, s’est elle-même prêtée au jeu de cette introspection devant l’objectif de Léa Bordier. La grand-mère et la mère de la Youtubeuse ont ensuite évoqué leur propre rapport à leur corps, dans leur vidéo respective.
La réalisatrice souhaite diversifier davantage les profils des intervenantes, avec une envie particulière de faire parler des femmes de tous les âges : « La majorité des femmes qui m’écrivent ont entre 18 et 28 ans. J’aimerais bien tourner avec d’autres femmes plus âgées, mais c’est plus délicat à chercher. Souvent, ce sont les mères ou les grand-mères de mes connaissances. J’aimerais qu’il y ait des problématiques liées à l’accouchement, à la grossesse, à la ménopause. »
Si les audiences des vidéos « Cher Corps » publiées par Léa Bordier sur YouTube sont en majorité féminines — 85 % de spectatrices –, la réalisatrice se réjouit de voir de plus en plus de commentaires venant d’hommes sur sa chaîne. Interpellés par ces portraits bienveillants, certains d’entre eux expliquent avoir appris des choses ; d’autres ont montré les vidéos aux femmes de leur entourage.
85 % de spectatrices
Si Léa Bordier officie sur YouTube, elle ne se considère pas comme une Youtubeuse pour autant. « YouTube, je le vois comme une plateforme. J’ai fait des études techniques d’audiovisuel, de réalisation, j’avoue avoir du mal avec le mot Youtubeuse, ça fait penser à Youtubeuse beauté, or je trouve qu’on ne se rend pas assez compte du talent qu’il y a derrière ce mot. Je pense par exemple, à EnjoyPhenix, qui est une vraie chef d’entreprise. Moi, je me définis plutôt comme une réalisatrice web, YouTube est pour moi un lieu d’échange et une communauté. Cher Corps, c’est une série de vidéo… on pourrait dire websérie, si on était encore en 2011 ! [rires] »
« Un espace de bienveillance réel »
Quand Léa Bordier parle de communauté, c’est à juste titre : la réalisatrice a proposé aux intervenantes de tous les « Cher Corps » de se rencontrer. « À chaque fois que je les vois, elles me disent qu’elles ont bien aimé telle ou telle fille dans l’une de mes vidéos. Alors j’ai organisé une rencontre avec toutes les participantes, elles se connaissaient déjà car elles se sont vues les unes les autres en vidéo. Elles étaient heureuses de se rencontrer, et cela a créé un espace de bienveillance réel. Je suis contente d’être à l’origine de ce rassemblement », se réjouit Léa Bordier.
Face à la caméra ou dans la vraie vie, « Cher Corps » va continuer à rassembler des femmes et leur donner la parole pour parler de leur image. Léa Bordier fourmille en tout cas de projets pour faire vivre cette série de vidéos — mais pour l’instant, elle ne peut « pas encore en parler. » Voilà qui pique notre curiosité.
« Un côté thérapeutique »
« Merci pour la confiance », écrit Léa Bordier en guise de conclusion poétique à chacune de ses vidéos. « Passer devant une caméra, ce n’est pas rien ! Parler de soi si longtemps… C’est ça qui m’importe aussi, que les femmes parlent d’elles, qu’on leur donne la parole. Elles m’accordent une confiance incroyable, je crois qu’il y a peut-être un petit côté thérapeutique dans mes vidéos. Et c’est une idée qui me plaît. »
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