Depuis la sortie de Rogue One, il y avait comme une drôle de rumeur dans l’air hollywoodien : Rian Johnson serait le nouveau Irvin Kershner. L’empire a trouvé l’artisan parfait : celui qui serait aussi adulateur qu’hérétique, celui qui respecterait tout en profanant.
La comparaison ne s’arrêtait pas là puisque de la bouche d’Adam Driver, on tirait quelques parallèles avec l’intouchable épisode V réalisé par Kershner : plus sombre, plus puissant et plus métaphysique, Les Derniers Jedi serait au Réveil de la Force ce qu’avait été la contre-attaque au nouvel espoir.
Tout cela était cruel. Comment présenter ce nouvel épisode, qui souffre par essence de son statut d’emprunt au passé, à côté de l’evergreen, l’intemporel chef d’œuvre du cinéma de genre ? Il y a, dans cette mise en tension de deux œuvres appartenant à des mondes que tout oppose, une fourberie et un affront.
Élégie spatiale
Ce n’est pourtant pas une nécessité créative de refaire Star Wars à moins de considérer que l’époque perturbe la prétendue intemporalité. Or, en cela, comparer Les Derniers Jedi et L’Empire Contre-Attaque est un affront qui nie le rôle de chacune de ces œuvres dans leur propre époque. L’épisode VIII n’a pas la tâche de poursuivre un succès et une révélation, il doit creuser un sillon déjà trop profond.
À l’évidence, cette réalité pèse sur le film de deux heures servi par Rian Johnson. Il a cela de très moderne qu’il se tortille et chaloupe au son de l’époque. En effet, Les Derniers Jedi répond à des impératifs d’élégie.
Serviable et galant face à son héritage, le long-métrage se courbe devant sa propre légende : il fait de l’oraison funèbre et de la citation un point culminant de son rapport au passé. Au contraire du Réveil de la Force qui donnait l’impression d’héler avec élégance le canon artistique qu’est Un nouvel espoir, Les Derniers Jedi s’incline sans sobriété. Il préfère au canon le pathos de l’oraison, voire de l’éreintant hommage dans lequel on rejoue, aux frontières de la fiction, une chanson de geste des personnages passés.
Luke Skywalker, mais surtout Mark Hamill, Leia Organa, et d’abord Carrie Fisher, sont ainsi une attraction que l’on jette dans une procession religieuse. L’un offre une performance d’acteur ébouriffante, mais semble convoqué par le poids du passé. Quand l’autre écrase son personnage de sa propre réalité d’actrice décédée et regrettée — jusqu’à la nausée d’une scène proprement laide où Leia (ou peut-être Carrie) est soumise à un rebondissement ridicule, qui ne manque pas de rappeler l’élégie précédemment citée. Intouchable, Leia n’est plus un personnage que l’on développe mais une étoile que l’on allume, le temps d’un tournage.
Cliffhanger permanent
Indéniablement, Les Derniers Jedi répond davantage à un cahier des charges qu’à une nécessité. Tâche après tâche, hommage après hommage, citation après citation, Johnson s’exécute sans trouver de place pour son propre programme.
Il en résulte une présence secondaire de ses propres créations : les clivants porgs sont parfaitement dispensables, ses planètes n’offrent rien de mieux que quelques très beaux plans, etc. Toutes les nouveautés qu’il convoque sont reléguées à un statut précaire et de second plan qui ne fait qu’alourdir le spectacle de l’hommage. Tenu par le devoir, le réalisateur s’écrase pour laisser la légende lui marcher dessus. Quitte à déléguer le travail sur les nouveaux personnages secondaires au réalisateur du prochain épisode : Poe et Finn sont comme cristallisés dans leurs rôles.
Par ailleurs, si Le Réveil offrait une architecture scénaristique canonique et un montage jouissif, Les Derniers Jedi se révèle être moins doué dans son artisanat du space-opera.
Sa longueur exceptionnelle ne se justifie pas par une structure parfaite, ses personnages secondaires ne trouvent pas d’espace dans une cathédrale foisonnante d’arcs narratifs, et enfin le montage tantôt brillant, tantôt modeste, donne au long-métrage différentes vitesses, freinant, repartant, et s’arrêtant de nouveau sans conserver un souffle unifié.
Et pourtant, les qualités de cet épisode sont nombreuses. Notamment en matière de direction et réalisation : nous le disions, Hamill livre une performance géniale et le duo Driver/Ridley n’avait jamais été aussi puissant ; les combats au corps à corps et les batailles navales sont des mètres étalon pour cette dernière décennie.
Visuellement, le visage a une place passionnante dans l’ouvrage de Johnson et exige des acteurs un effort nouveau. Dans le regard et le jeu de son casting, Johson inscrit son désir de conflictualité : autant dans la rébellion que pour les possesseurs de la Force.
Mais là encore, cette conflictualité qui fait l’éclat de L’Empire Contre-Attaque a tendance à dériver, secouant ses personnages d’un extrême à l’autre, au rythme d’un soap de télévision. Nous pouvons même parler de cliffhanger permanent qui repousse sans cesse le développement d’un propos au film qui préfère aller où le fan service le porte.
L’impossible avènement
Sommes-nous trop dur avec un long-métrage de qualité ? Assurément alors qu’il fera la jouissance d’un grand nombre de fans qui attendent ce type de travail de la part de Johnson. Même si les passionnés devront se contenter de voir les vedettes d’autrefois faire un tour de piste clinquant, plutôt que d’avoir le loisir de se confronter aux réponses que l’on attendait de l’épisode, notamment sur la nouvelle économie de l’univers brossé par Abrams.
Ajoutons en outre qu’à l’heure où le cinéma de genre semble poursuivre sa crise de la redite, Les Derniers Jedi place le curseur bien plus haut que de nombreuses régénérations des dernières années. Remplissant son cahier des charges plombant, l’épisode VIII tente avec plus ou moins de succès de donner un sens, une définition et un cadre religieux nouveau à un monde que Disney s’impatiente de faire émerger des eaux troubles de la création à visée unanimiste.
Pour toutes ces raisons, il est un remarquable ouvrage de l’Hollywood de 2017, un Star Wars remarquable pour les prochaines générations, mais surtout, un résumé de l’impossible avénement d’un épisode V dans le monde d’aujourd’hui.
Le verdict
Star Wars : Les Derniers Jedi
Voir la ficheOn a aimé
- Mark Hamill donne une de ses meilleurs performances
- Réalisation soignée, visuellement éclatante
- Généreux, prolifique et rassasiant
On a moins aimé
- L'absence de travail sur les personnages secondaires
- L'écrasante présence de l'univers iconique
- C'est l'épisode IX qui doit faire le boulot
Ailleurs dans la presse
- Le Monde : « Il n’est pas assuré que cette manière, fût-elle talentueuse, de faire du neuf avec du vieux soit un pari sur l’avenir. »
- Le Point Pop : « le plus gênant est l’impression d’un film de transition avec l’Épisode IX, sans aucun véritable coup de théâtre et aux sous-intrigues peu excitantes. »
- The Hollywood Reporter : « Most of the new characters could use more heft, purpose and edge to their personalities, and they have a tendency to turn up hither and yon without much of a clue how they got there »
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