Le 28 octobre dernier, le Comité International Olympique s’est fendu d’un communiqué faisant état de sa considération pour l’eSport comme discipline sportive. Si pour beaucoup le sujet fait encore débat et que certains refusent catégoriquement de voir la pratique professionnelle du jeu vidéo comme un sport, le CIO a toutefois tendu la main vers l’eSport : « Les eSports de compétition pourraient être considérés comme une activité sportive, et les joueurs qui les pratiquent se préparent et s’entraînent avec une intensité comparable à celle des athlètes d’autres sports plus traditionnels », explique-t-il dans son communiqué.
Le geste est apprécié dans le monde de l’industrie, d’autant plus que les grands acteurs du jeu vidéo et de la compétition virtuelle se démènent depuis quelque temps pour faire de l’eSport une discipline olympique. Le média va même jusqu’à adopter les mécaniques du sport — y compris parfois ses travers — pour légitimer sa candidature en tant que nouvelle discipline sportive.
Comment expliquer cette obsession de l’industrie de vouloir se greffer aux Jeux Olympiques ? Quelles volontés — autres que financières — expliquent cette obsession de conquérir le coeur des plus grandes institutions sportives ?
Les JO, l’Eldorado de la compétition virtuelle
Les journées se rafraîchissent, l’hiver arrive, et avec lui la promesse d’une nouvelle édition des Jeux Olympiques d’Hiver à Pyeongchang en Corée du Sud, à l’orée de l’année 2018. Pour l’occasion, Ubisoft a sorti au début du mois de décembre une extension « En route pour les Jeux Olympiques ». Difficile de faire plus évocateur : le jeu est sous licence officielle des JO d’Hiver 2018 et ses cartes reprennent les circuits des épreuves.
Pour nous, impossible de ne pas y voir une parade amoureuse du jeu vidéo envers l’institution internationale que sont les Jeux Olympiques. L’année 2017 a d’ailleurs été marquée par les différentes avancées des discussions entre le CIO (Comité international olympique) et les acteurs du jeu vidéo, notamment dans le domaine de l’eSport.
La pratique est en pleine expansion depuis ces dernières années, et beaucoup espèrent voir un jour des épreuves olympiques de League of Legends ou d’Overwatch. Le média a cependant encore besoin de grandir, de créer sa propre fédération, des infrastructures… Bref, si l’eSport venait à être une discipline olympique, ce ne sera pas avant 2024, au bas mot.
En attendant, la compétition virtuelle de jeu vidéo tend à se structurer petit à petit pour correspondre aux attentes du CIO. Le sport électronique sera d’ores et déjà présent en 2022 pour les Jeux asiatiques en Chine, comme en a décidé le Conseil Olympique d’Asie. Ce sera ainsi l’opportunité pour l’eSport de se préparer à prouver sa légitimité aux JO.
Pour ses détracteurs, voir la compétition virtuelle comme une discipline sportive relève du blasphème. Bien que le débat de la définition des efforts physiques à fournir pour être considéré comme du sport est encore ouvert, l’eSport s’est toutefois montré bon élève dans des domaines qui constituent des composantes propres au sport. Salles et programmes d’entraînement, coaching, rémunération et professionnalisation des joueurs, mercato des équipes… L’eSport s’inspire et parfois mime des mécaniques au point d’en devenir un véritable singe savant.
Quand l’eSport mime le football
L’exemple du football est probablement le plus évocateur. Depuis sa création en 2014, les Game Awards ne se contentent pas de récompenser les jeux vidéo de l’année, ils sacrent également les meilleurs joueurs et les meilleures équipes eSport, au même titre que les ballons d’or.
Dans la majeure partie des catégories couvertes par les Game Awards, les gagnants sont désignés à 90 % par le vote du jury composé des plus grands acteurs du jeu vidéo et à 10 % par le vote des fans. Toutefois, pour les catégories eSport, meilleur joueur et du jeu le plus attendu, ce sont les fans uniquement qui décident du gagnant.Cette année, c’est le triple champion du monde de League of Legends Lee « Faker » Sang-hyeok qui remporte le trophée 2017, et l’équipe Cloud9 dans sa catégorie — déjà sacrée pour le même titre en 2016.
Quel est le biais avec le football ici ? Celui de créer des figures emblématiques, des équipes stars, des visages que tout un chacun pourra louer durant les tournois. Si l’idée de promouvoir des joueurs emblématiques dans le monde de l’eSport et primer leur performance est dans l’absolu louable, on ne peut pas vraiment ignorer que la création de ces success stories sont aussi là pour créer des points de fixation, nourrir une passion et transformer le joueur-star en marchandise, à l’instar d’un Ronaldo ou d’un Messi.
Les premiers symptômes se font déjà sentir, dans une moindre mesure. Les joueurs eSport n’ont peut-être pas encore atteint les cachets mirobolants des joueurs de football, mais leur transfert d’équipe se monnaye déjà à des sommes pour le moins respectables. En février 2017, le transfert du joueur Niko sur Counter-Strike pour la bagatelle de à 500 000 dollars. Une somme record qui était autrefois détenue par ScreaM avec une somme de 160 000 dollars en 2015.
L’éternelle frustration d’un médium
Les sommes peuvent donc sembler risibles quand on les compare aux millions déboursées pour les footballeurs, mais quand Newzoo annonce que les revenus globaux du marché du jeu vidéo dépassent ceux du sport avec un montant de 149 milliards de dollars, il est temps de s’asseoir pour réfléchir. Pourquoi, d’abord, mettre en parallèle les revenus du jeu vidéo et celui du sport ? La réponse est simple : pour assurer sa légitimité. On le faisait avec le cinéma encore très récemment, mais pour les acteurs du jeu vidéo, il est temps aujourd’hui de prouver au CIO et aux grands institutions sportives que le jeu vidéo n’est pas — ou plus — un loisir de seconde zone.
Car c’est ce qu’à toujours fait le jeu vidéo depuis qu’il est marketé comme un loisir : afficher une volonté sans faille de s’affirmer comme un médium légitime auprès de ce qui fait figure d’institution, comme le cinéma et aujourd’hui la compétition sportive. Dans sa fougueuse adolescence, le jeu vidéo aspire à l’émancipation de sa condition, à ne plus être comparé à ces autres domaines pour en devenir un à part entière, et cela passe par l’autonomie financière, la capacité à générer un contenu et un marché propre.
Un jour, le jeu vidéo acquerra la maturité qu’il a toujours voulu atteindre, et cela passe, pour beaucoup, par la validation de la part des autres loisirs. Aujourd’hui, l’eSport, dans sa folie des grandeurs, semble incoercible. L’argent et les sponsors coulent à flots, les plus grands studios s’engouffrent dans la tendance et les institutions gouvernementales y voient une brillante opportunité d’emplois et de valorisation des territoires. La folle course de la compétition virtuelle, c’est aussi le moyen de prouver que le jeu vidéo, en tant que loisir, peut aussi être sérieux, professionnel, et que ses joueurs peuvent atteindre un niveau d’excellence.
« Une reconnaissance par le CIO offrirait une reconnaissance sociale et une légitimité institutionnelle supplémentaire à l’e-sport et aux e-sportifs, explique au Monde Nicolas Besombes, docteur en sciences du sport de l’université Paris-Descartes. Ce serait un signe fort de la part du monde sportif et de la société, qui ont pendant longtemps stigmatisé le jeu vidéo, l’eSport et ses pratiquants, pour les maux dont ils seraient à l’origine : violence, addiction, isolement social, décrochage scolaire, sédentarité. »
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