Une nouvelle boutique a fait son apparition sur le boulevard Voltaire à Paris, près de la place de la République, entre les revendeurs de jeux vidéo et les vitrines de figurines et de mangas. On y est accueilli par une affiche de Superman se libérant de ses chaînes, et par un petit Bat-Signal — orné d’une silhouette de chauve-souris, ce projecteur fictif est utilisé par la police de Gotham City pour demander de l’aide à Batman.
En passant la porte, le visiteur découvre un lieu clair et aéré. Aux murs, quelques affiches, et une dizaine d’étagères qui exposent à la vente des comic-books en français issus des deux grandes maisons d’édition américaines, DC Comics et Marvel, et de quelques labels indépendants. Au milieu de la pièce, le visiteur est invité à fouiller dans trois boîtes contenant des comics d’occasion.
Je suis surpris que personne n’y ait pensé avant
Jimmy a ouvert son Comics Corner début décembre, après un crowdfunding réussi à 126 %. « J’avais cette idée en tête depuis très longtemps, avant le premier manga café, je crois, mais je faisais autre chose. Et au vu de la « hype » sur les comics, je suis surpris que personne n’y ait pensé avant. »
Le Comics Corner rappelle en effet les manga cafés, ces salons de thé japonais où l’on peut lire des mangas en libre-service, qui ont fait des émules en France et en Europe. C’est à la fois un café, une librairie spécialisée en comics, un espace de lecture et un lieu de co-working. On trouve les deux premiers en haut : environ 600 comics en version française sont en vente, et l’espace café, limité à 3 ou 4 personnes, propose entre autres du café ou du pop-corn.
1500 comics en accès libre
C’est au sous-sol que se trouve la grande fierté de Jimmy : une grande pièce, des canapés et des fauteuils, des tables pour travailler… Et plus de 1 500 comics en accès libre. On y trouve «tout ce qui est publié par Panini et Urban Comics », les éditeurs français de Marvel et DC Comics, respectivement, ainsi que « quelques pépites personnelles ». Le gérant compte aussi augmenter le stock d’histoires issues de labels indépendants « parce qu’il n’y a pas que les superhéros ! ».
Prochain objectif : la version originale, pour laquelle « il y a déjà une forte demande. Mais les canaux de distribution sont plus compliqués. » En attendant, le Comics Corner devrait prochainement proposer à ses lecteurs des tablettes, afin d’accéder aux catalogues numériques en anglais des éditeurs américains.
« Nous avons un tarif horaire : seul le temps passé est payé, et les clients ont accès au WiFi, à un coin « snack », et bien sûr à la bibliothèque », explique le gérant. Une carte, sur laquelle les clients versent un certain montant, permet de décompter les heures. Une heure coûte 5 euros, et il faudra compter 45 euros pour 10 heures — actuellement, un comic complet coûte entre 15 et 35 euros chez les éditeurs français.
« Les comics ne sont plus un simple effet de mode »
« Je dis souvent que ma bonne idée a été de cumuler plusieurs choses qui existent et fonctionnent, et de les réunir dans un même lieu », précise Jimmy en souriant. Il s’est réellement lancé dans ce projet en 2016. « J’étais au bon moment de ma vie, et c’était sans doute aussi le bon moment pour un tel projet. Les comics ne sont plus un simple effet de mode, j’ai la conviction qu’ils sont vraiment ancrés dans la société désormais. Il y a 10 ans, c’était ringard d’être fan de Spiderman ou Batman, aujourd’hui c’est démocratisé. »
Jimmy réalise alors des études de marché, fréquente assidûment les soirées dessins, les salons et les conventions. « J’ai demandé aux gens de la « culture comics » s’ils avaient un lieu pour se retrouver. On me répondait souvent « Non, mais ça m’intéresse ». »
Il lance le financement participatif en 2016 : « C’était en partie pour financer le projet, et en partie pour convaincre mon banquier, précise Jimmy en riant. Il est plus facile d’obtenir un prêt pour un tel projet quand on a une communauté derrière soi. » Parmi les contreparties sur Ulule, il proposait notamment une carte de membre avec un certain nombre d’heures.
Un lieu de lecture et d’événements
S’il a longtemps été seul sur le projet, Jimmy est désormais accompagné de Kévin, qui l’aide à gérer la vente, le réassort, et à décorer le lieu. Et les deux compères ont de nombreux projets : le Comic Corner se veut un lieu d’événements autant qu’un lieu de lecture. Des soirées à thème autour du cosplay, des soirées jeu de rôle, des ateliers dessins proposés par des artistes, des séances de dédicaces… La liste est longue. Surtout, Jimmy souhaite utiliser son corner comme lieu d’exposition et de distribution pour faire connaître des artistes. Les murs, au sous-sol, sont d’ailleurs décorés de quelques posters, mais par petites touches : ils sont destinés à accueillir des expositions d’artistes.
Ce mercredi de janvier, le lieu est peu rempli. Jimmy et Kevin terminent de ranger les dernières livraisons de comics. Une habitante du quartier vient échanger un tome de Deadpool, que son mari possédait déjà. Kevin descend au sous-sol, apporter du pop-corn aux quatre occupants de la salle de lecture. Hadrien, Sofiane et Achille ont 14 ans, et profitent d’un après-midi libre pour venir lire, Star Wars pour l’un, Batman pour les deux autres. « On habite dans le quartier, ma mère a vu la boutique et elle nous en a parlé », explique Hadrien. Juste avant de partir, Sofian demande à Jimmy d’où vient la pancarte Arkham Asylum, que le gérant lui propose de commander pour lui.
Steve, l’autre client, est réalisateur ; il vient pour travailler. « Je lis beaucoup de comics, mais plutôt chez moi. Je viens ici car le cadre m’inspire plus, ça me ressemble. Et le prix est plus intéressant que dans les autres espaces. »
Des débutants aux ultra-connaisseurs
Un mois après l’ouverture, Jimmy a déjà identifié la clientèle, venue du quartier, des réseaux sociaux ou par bouche à oreille. « Les clients horaires sont plutôt jeunes, entre 14 et 25 ans. Les plus âgés viennent surtout pour de l’achat. » Quant aux types de lecteurs, « on a des ultra-connaisseurs, des gens qui découvrent les comics, et surtout beaucoup de clients entre les deux ».
Le gérant est pour l’instant satisfait de la fréquentation, même si la boutique a plus fonctionné sur la vente que sur la lecture. D’autant que le Comic Corner est l’une des rares librairies spécialisées en BD de ce côté du boulevard, alors que la culture geek est reine dans le quartier. « Le samedi est notre meilleur jour. Mais je pense que ça marchera encore mieux quand les gens auront compris que nous sommes ouverts le dimanche. Entre Drucker et nous, le choix sera vite fait ! », plaisante Jimmy.
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