Avec le dernier Thor, et le second Gardiens de la Galaxy, nous voyions Marvel se redéfinir avec un canon de plus en plus simpliste : vannes qui fusent, ambiance de farce, cirque visuel incessant, et un penchant pour le second degré qui allait finir par faire basculer l’ensemble de l’univers dans une ironie dont on ne revient pas.
Peu importe, le box-office semblait répondre avec enthousiasme à ces feux d’artifice, dont la seule audace était de passer une nouvelle frontière dans la dérision. Black Panther, prochaine unité du MCU — en salles le 14 février — vient mettre un salutaire coup d’arrêt à ce vaisseau en autopilote.
Ryan Coogler, qui signe pourtant son premier Marvel, a réussi à imposer au studio de Mickey sa griffe et son style. Apportant à la franchise un vrai renouveau grâce à son respect d’un certain classicisme et à la profondeur de ses personnages, le jeune réalisateur, qui a coécrit le scénario avec Joe Robert Cole, transforme l’essai. Faisant du comic book afrofuturiste un drame shakespearien, Coogler livre un produit dense et théâtral.
Le réalisateur est pourtant loin d’avoir jonglé avec de tels budgets pour ces précédents films : Fruitvale Station en 2013, nominé au Sundance, ne dépassait pas le million de dollars de budget, quand Creed, un spin-off de Rocky en 2015, culminait à 40 millions de dollars. Toutefois, il obtient sur Black Panther la marge suffisante pour donner à voir aux fans de Marvel autre chose qu’une énième machine à gags musclée.
Sous-texte du Wakanda
On retrouve dans son long-métrage Chadwick Boseman, alias T’Challa : la panthère noire que nous avions découverte dans Civil War. Le jeune homme, après avoir perdu son père dans le film du Captain America, doit assumer son nouveau rôle de roi du Wakanda, un pays africain fictif. Doté de sa bravoure et d’une haute estime de ses concitoyens, T’Challa se pose en chevalier de cette nation qui défie la logique occidentale.
Objet fictif, mais génial, le Wakanda serait en effet un pays doté d’une technologie et d’une richesse inestimable qui lui permet de rivaliser face aux grandes nations occidentales depuis des siècles. En sous-texte, Coogler explique que les wakandais, protégeant cette technologie par la dissimulation, ont notamment réussi à échapper à l’esclavage. C’est cet héritage et cette fierté noire que doit désormais protéger le jeune T’Challa. Mais face à son devoir, le superhéros est traversé d’interrogations politiques.
Des interrogations qui seront renforcées par le scénario. Ce dernier ressuscite un dilemme fratricide quasi biblique, dans lequel deux cousins vont se disputer la terre de toutes les promesses. Aidée de sa sœur, sorte de Tony Stark au féminin, de son ex-petite amie universaliste, Nakia (la touchante Lupita Nyong’o), et de sa mère (l’altière Angela Bassett), la Black Panther va devoir affronter un cousin, Killmonger, au passé douloureux.
Celui-ci a grandi dans la misère et la souffrance des quartiers afro-américains, voudrait prendre au Wakanda sa technologie pour organiser, ni plus ni moins, un soulèvement des masses opprimées du monde entier. Quitte à plonger l’ensemble de la planète dans la guerre.
Ce dilemme, incarné par les deux cousins ennemis, incarne à lui seul tant de problématiques politiques qu’il est difficile de le résumer. Par ailleurs, Coogler joue sur tous les plans : on pense aux affrontements qui ont forgé les luttes pour l’égalité raciale aux États-Unis, mais également à une critique insidieuse du colonialisme et de son interventionnisme moderne. La mise en scène survoltée du réalisateur donne au dilemme toute son intensité dramaturgique, accordant à l’ensemble un air de tragédie grecque.
Afrofuturisme chic
Si parfois, le film semble haché — il donne l’impression d’être incomplet — l’essentiel y est intelligemment disposé, et les scènes de dialogues portent davantage le film que les plus rares scènes d’actions. Ces dernières apprennent à se faire discrètes sans manquer d’intérêt : une course poursuite coréenne est bourrée de très bonnes idées, un combat façon Star Wars dans la savane, bien que précipité, est particulièrement réjouissant, et les combats au corps à corps disposent d’une dynamique de réalisation implacable. Cette présence limitée des scènes d’actions permet en outre d’en augmenter la qualité et de les joncher de créations visuelles très stimulantes.
On pourrait être tenté de voir un peu rouge quant à la création de ce Wakanda qui emprunte à l’afrofuturisme : peut-être trop numérique, les décors manquent parfois d’authenticité. Mais cet excès est rendu cohérent par la photographie lumineuse et électrique appliquée au long-métrage par la brillante Rachel Morrison déjà à l’œuvre sur la photo éblouissante de Mudbound.
Servi sur le rythme d’une bande originale qui se paie le luxe de mêler le géant du rap Kendrick Lamar à des instrumentaux,
Et pour terminer sur la même note que notre introduction : Black Panther est drôle malgré tout. Mais brièvement, élégamment et parfois même politiquement. Bref, ce n’est plus de l’humour Marvel.
Le verdict
Black Panther
On a aimé
- Un casting réussi avec des stars de l'indé et des grands noms
- Sous-texte politique courageux
- Un Marvel qui brise la routine
On a moins aimé
- Mérite davantage de décors authentiques
- Rythme parfois haché
- Présence accessoire de la musique de Kendrick Lamar
Black Panther serait-il le Marvel dont nous avions besoin en ces temps d'ironie généralisée ? Assurément. Assumant son univers politiquement audacieux et ses personnages tourmentés, le film de Coogler prouve que le réalisateur est particulièrement doué.
Il impose son style à un MCU que l'on croyait en auto-pilote et donne de la matière à une origin story pourtant classique.
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