Cette semaine, le Copyright Madness revient avec une édition qui se distingue par une série de dérives du droit des marques bien de chez nous. Thomas Thévenoud fait très très fort avec son dépôt de marque sur la « phobie administrative », mais Free et Causette nous donnent aussi de beaux exemples d’abus caractérisés. Bonne lecture et à la semaine prochaine !
Copyright Madness
Profanation. Il y a des fois où les dérives que nous épinglons dans cette chronique ne nous font plus rire du tout… L’activiste Aaron Swartz s’est suicidé en 2013 suite à des poursuites intentées contre lui par le FBI pour avoir cherché à partager des articles scientifiques d’une base de données du MIT. Il reste associé au combat pour la diffusion du savoir et un documentaire consacré à sa vie, The Internet’s Own Boy, a été mis en ligne en 2014. Comme il est diffusé sous licence Creative Commons, des internautes ont pu ajouter des sous-titres en français et mettre à disposition le résultat sur YouTube. Mais cette semaine, cette vidéo a été bloquée dans 238 pays — autant dire tous — suite à une plainte pour violation du droit d’auteur… Ce sont en fait les ayants droit des musiques passant dans le documentaire qui sont à l’origine de cette demande de blocage, sans doute envoyée automatiquement sans vérifier où elle tombait. Une réclamation a été faite pour demander à ce que cette sanction soit levée et nous verrons si ces titulaires de droits auront la décence de laisser Aaron Swartz enfin reposer en paix…
Tempête. L’éditeur du jeu World of Warcraft, Blizzard, est de nouveau sous le feu des projecteurs. La société mène une bataille contre une communauté de fans nostalgiques des premières heures de WoW. Ces derniers ont déployé un serveur qui permet de jouer à une version épurée de World of Warcraft, semblable au jeu de base publié en 2004. Cette initiative témoigne clairement de la volonté des fans de rendre hommage au jeu sans intention de nuire aux intérêts de Blizzard. Mais le studio ne l’entend pas de cette oreille et entame une procédure contre le serveur officieux en sortant la carte magique du droit des bases de données et du droit d’auteur. D’après Blizzard, la structure des bases de données du serveur est similaire à celle de la version de 2004. On a envie de leur répondre que c’est normal, étant donné que ce serveur monté par des fans vise à permettre de rejouer au jeu d’origine.
Robocopyright. Vous en rêviez ? Facebook l’a enfin fait. Désormais, un système de « robocopyright » scanne inlassablement les vidéos du réseau social Instagram pour repérer des violations de droit d’auteur. Instagram étant entré dans le giron de Facebook suite à son rachat, il était évident que ce dispositif automatisé serait tôt ou tard déployé. Et Facebook fait les choses correctement car le « robocopyright » pourra scanner Facebook et Instagram pour identifier des usages abusifs potentiels. Comme sur YouTube, sur Facebook et à chaque fois que la régulation est confiée à un algorithme, on peut être sûr que des cas de faux positifs vont se multiplier dans les mois à venir.
Deux poids, deux mesures. Le célèbre lecteur multimédia VLC, développé par VideoLAN, a subi des dommages collatéraux à cause d’un troll qui a voulu se faire de l’argent avec le code source de l’application qui est disponible sur le Play Store. VLC est publié sous licence GPLv3 et accorde de ce fait un grand nombre de possibilités et de libertés, y compris celle de réutiliser le code pour développer une autre application. Mais la licence GPLv3 porte en elle une dimension de viralité et impose que les versions dérivées adoptent la même licence. Ce processus est essentiel pour éviter toute forme de fermeture sur le code source. Cependant, un petit malin a cru bon d’utiliser le code source de VLC pour développer un clone en intégrant de la publicité et sans rendre disponible son code source, ce qui constitue une violation manifeste de la licence GPLv3. Plusieurs plaintes et signalements ont été déposés auprès de Google pour qu’il retire de sa boutique l’application frauduleuse ; hélas, l’application a été téléchargée 5 millions de fois avant que Google ne la retire. Quand c’est un lobby du droit d’auteur qui dénonce une violation de droit d’auteur sur YouTube, Google réagit beaucoup plus rapidement…
Trademark Madness
Boss final. Attention, attention ! Nous tenons peut-être le nouveau grand boss final du Trademark Madness : ce serait… Thomas Thevenoud ! En effet, on a appris cette semaine que l’ex-secrétaire d’État condamné pour fraude fiscale a déposé en 2014 la marque « phobie administrative » ! On se souvient que c’est cette excuse que l’intéressé avait utilisé pour expliquer ces légers retards dans le paiement de ses impôts. Nombreux ont été ceux qui avaient remarqué que son aversion pour les papiers ne l’a pas empêché de remplir ceux nécessaires à l’enregistrement d’une marque… Thomas Thévenoud voulait utiliser « phobie administrative » pour vendre des produits, comme des conseils juridiques (!) ou de la publicité (!!!). C’est clair qu’il s’est fait une sacrée publicité avec ce coup de génie, car les internautes se sont payés sa tête toute la semaine avec le hashtag #DéposeTaMarque. Devant une telle incohérence, on en arrive presque à se dire que le dépôt de marque de Nabilla sur son « Non mais allô quoi ! » est presque rationnel…
Misérable. Le magazine Causette est dans une drôle de situation. La société qui éditait le titre a été mise en liquidation judiciaire, mais des repreneurs seraient prêts à investir pour que la publication puisse continuer. Problème : un des cofondateurs du journal détient la marque « Causette » et il demande 100 000 euros par an pour son utilisation, ce qui compromet le projet de reprise…. On appréciera l’élégance du personnage, qui n’a pas réussi à gérer son affaire pour la rendre viable, mais qui demande à présent qu’on lui verse une rente tous les ans, juste pour que le magazine puisse continuer à utiliser ce nom. Ne vous cassez plus la tête à monter des entreprises, déposez des marques, c’est tellement plus tranquille !
Libre échange. Le droit des marques est très pratique, parce qu’il peut être instrumentalisé pour évincer un concurrent ou tout simplement pour faire la pluie et le beau temps. L’opérateur Free a attaqué une entreprise spécialisée dans le développement du noyau Linux parce qu’elle a eu la bonne idée de se baptiser Free Electrons. L’entreprise de Xavier Niel estime que la dénomination de l’entreprise constitue une violation de sa marque et peut provoquer une confusion dans l’esprit des consommateurs. Free utilise cet argument imparable en ayant conscience que les deux sociétés ne relèvent pas du tout du même secteur, et donc, que le risque de confusion est quasiment inexistant. Si t’es Free, t’as pas tout compris…
Patent Madness
Veaux, vaches, cochons. On termine par un petit tour à la campagne qui va nous amener jusqu’en Australie. Les éleveurs de bétail de ce pays ont en effet eu assez chaud, car une société américaine a failli parvenir à les faire payer de très juteuses royalties. Pour éviter les maladies et augmenter les rendements, la sélection des animaux se fait aujourd’hui par le biais de tests génétiques, qui sont visiblement très utilisés en Australie. Or, les entreprises américaines Cargill et Branhaven ont déposé un brevet sur une « méthode permettant d’identifier des caractéristiques du bétail en utilisant l’ADN ». Sur cette base, ils demandaient des paiements très élevés aux agriculteurs australiens, mais un tribunal a jugé que ce brevet n’était pas valide, car formulé de manière trop vague. En fait, il s’agissait quasiment de se dire propriétaire de l’idée d’appliquer la génétique au bétail…
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Merci à tous ceux qui nous aident à réaliser cette chronique, publiée sous licence Creative Commons Zéro, notamment en nous signalant des cas de dérives sur Twitter avec le hashtag #CopyrightMadness !
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