Dès sa sortie en 2004, World of Warcraft s’est imposé comme un phénomène culturel. Après avoir atteint le chiffre vertigineux de 10 millions d’abonnés en 2010, le jeu vidéo développé par Blizzard n’a cessé de voir ses fidèles partir vers d’autres horizons. Mais d’irréductibles passionnés continuent encore et toujours de résister à l’appel de la désertion. Numerama est allé à la rencontre de ces joueuses et joueurs infatigables afin d’en apprendre un peu plus sur leurs motivations.
Romain, connu sous le pseudonyme Bellatryx, est étudiant en musicologie. Il nous raconte ses premières amours avec World of Warcraft, des étoiles dans la voix. « J’ai commencé à jouer quand j’étais en première. Les cours ne m’intéressaient pas alors je me suis mis à fond dans le jeu. J’ai joué pendant un an de manière quotidienne, puis j’ai fait une pause pour passer le bac. Après ça, quand je suis entré à la fac, je suis retombé sur une musique du jeu — la forêt des druides — en me baladant sur YouTube. Ça m’a donné envie de m’y remettre. Je joue aujourd’hui dans une guilde et nous organisons des sessions ensemble deux fois par semaine. »
Le lien social comme moteur
Dans cet univers teinté de médiéval-fantastique, le contact avec les autres est au cœur de l’expérience. Car, si World of Warcraft propose de prendre part à des combats épiques contre des créatures millénaires, l’exploration des territoires d’Azeroth est avant tout une affaire de lien social. Romain nous explique : « C’est le fait d’être dans une guilde qui donne envie de continuer. Si j’étais tout seul, je ne jouerais sans doute plus ». L’importance de la guilde, groupe persistant de joueurs rassemblés pour accomplir des objectifs collectivement, est le dénominateur commun. « Dans notre guilde, c’est l’entraide qui prime. On a un Discord, un site… On se répartit les tâches pour préparer nos parties, il y a un vrai côté communautaire qui me plaît ».
La solidité de ces relations passe aussi par un prolongement du lien en dehors du jeu. C’est ce que nous relate Romain : « Le plus important pour moi, ce sont les amitiés qui partent du jeu et qui se poursuivent dans la vie. Par exemple, demain, on fête l’anniversaire d’un membre de la guilde qui vient sur Paris. Pour le Nouvel An, je suis allé à Lyon avec des amis joueurs pour le réveillon… On est un peu une famille, c’est pour ça qu’on continue à jouer tous ensemble. »
L’attachement à l’aspect social du jeu est un point commun de tous les entretiens que nous avons menés. Le sociologue Julien Rueff analyse ainsi les liens sociaux virtuels comme des relations de sociabilité à part entière. Jouer ensemble devient dès lors plus important que le plaisir ludique en lui-même. « On peut donc affirmer, sans prendre trop de risque, que les univers synthétiques s’apparentent à des lieux de socialisation, d’ailleurs appréhendés et désirés en tant que tels par les utilisateurs », explique-t-il.
Un réseau social ludique ?
Le témoignage de Radek, 23 ans, va aussi dans ce sens. Pour le jeune homme, qui a commencé à jouer il y a douze ans, les liens tissés au fil des heures de jeu sont une motivation à poursuivre l’aventure. « Ce qui me motive à continuer aujourd’hui, c’est l’aspect social. Il y a pas longtemps, j’ai relancé une partie sur un serveur que j’avais quitté depuis un moment, et j’y ai retrouvé ma guilde d’il y a 5 ans ! J’ai retrouvé les gens comme si on s’était quittés hier, comme si je revenais dans la maison de mes parents », confesse-t-il.
Après son mémoire consacré à World of Warcraft, Peine s’est lancée dans une thèse sur les jeux vidéo. Cette passionnée de 32 ans faisait partie de la première vague de joueurs en 2004. Aujourd’hui, elle avoue avoir moins de temps pour jouer à cause de son travail de recherche, mais se connecte néanmoins deux fois par semaine, « essentiellement pour retrouver la guilde ». Ainsi, si les jeux de rôle en ligne sont souvent décriés pour l’isolation supposée des joueurs, ces derniers mettent bien souvent en avant les amitiés nées au travers des avatars.
« De toutes ces années avec World of Warcraft, je retiens surtout des amis, des relations très fortes nouées dans le jeu. Et même plus ! Lors d’un week-end chez un autre membre de la guilde, j’ai rencontré mon petit ami avec qui je suis encore aujourd’hui. Il était nouveau dans le groupe et on a très vite sympathisé. Puis, on a pas mal joué ensemble, on s’est revus, et cela s’est fait naturellement. L’an dernier, nous sommes même allés au mariage d’un ami commun rencontré sur WoW ! », nous rapporte Peine.
Make love and Warcraft
Anecdote amusante : dans le monde de World of Warcraft, il est possible de marier son avatar à celui d’un autre joueur dans une cérémonie festive qui reprend les codes traditionnels du mariage. Dans son ouvrage L’expérience virtuelle, le sociologue Vincent Berry s’est penché sur la complexité symbolique de ces cybermariages. Ainsi, s’ils peuvent tout autant être animés par des intentions sérieuses — ce qu’on appelle le roleplay — que par une simple volonté d’amusement, ils s’inscrivent toujours dans « la fiction du faire » décrite par Oscar Barda. Ces rituels fictifs peuvent servir à sceller des alliances entre des guildes ou à renforcer le lien entre deux joueurs.
Toutefois, Peine n’est pas la seule des personnes interrogées à avoir trouvé son âme sœur au détour d’une quête légendaire. Pierre nous confie : « J’ai rencontré de vrais amis grâce au jeu, des personnes avec qui je suis parti en vacances plusieurs fois. On a beau vivre aux quatre coins de la France, on reste proches. J’ai rencontré ma copine sur World of Warcraft, grâce à nos affinités communes. Depuis, on joue tous les deux au moins une fois par semaine ! »
Le jeu comme quête d’identité
À la question « tu te vois jouer dans cinq ans ? », tous laissent la porte ouverte. «Si le contenu et les serveurs sont là, je continuerai. Aujourd’hui, World of Warcraft fait partie de mon identité, c’est comme ça », nous dit Radek. Car ces infatigables de World of Warcraft sont profondément liés à leur avatar : il est devenu un élément constitutif de leur identité. Llaubou, lui, ira jusqu’au bout. « Je jouerai jusqu’à la dernière minute, jusqu’à la fermeture définitive des serveurs, c’est certain. Et même après ! Si des gens parviennent à ouvrir des serveurs privés, j’irai sûrement jouer dessus », nous déclare le jeune homme.
Alors que les communautés vidéoludiques sont de plus en plus souvent décrites comme toxiques, ces témoignages rappellent que la communauté des joueurs peut-être parfois une grande famille où s’épanouissent des valeurs nobles, comme la solidarité et la tolérance. « WoW m’a aidé au départ parce que j’étais seul, je vivais dans un contexte familial difficile, et la communauté que j’ai rencontrée m’a apporté beaucoup de soutien moral », assure Romain. Des paroles qui sonnent comme un pied de nez à tous les détracteurs trop catégoriques.
« La simulation remet en cause la différence du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire », écrivait Baudrillard. Loin des stéréotypes associés aux aficionados des jeux en ligne, les acharnés de World of Warcraft ont au moins avancé une chose : pour eux, virtuel et réel sont en vérité les deux faces d’une même pièce.
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