Y a-t-il une solution miracle pour réussir, en tant que femme, dans l’industrie des séries télé ? « Ne démissionnez pas ! » ont repris en chœur les cinq intervenantes sur la scène du Grand Palais à Lille, au cours de la conférence Lille Transatlantic Dialogue du festival Séries Mania.
Deux showrunneuses américaines (Sarah Treem et Veena Sud), deux productrices (Caroline Benjo et Paula Vaccaro) et une directrice de la fiction au sein d’une chaîne suédoise (Anna Croneman) étaient réunies ce 3 mai 2018 pour discuter de l’importance de la diversité au sein des différents corps de métier (scénario, production, réalisation) de la chaîne de production des séries.
Faible quantité et faible qualité de rôles
Car les chiffres le montrent : plus de diversité au sein de la production correspond à plus de diversité à l’écran. Selon les chiffres partagés par Alessia Sonaglioni, directrice de l’EWA (European Women’s Audiovisual Network), seuls 17 % des épisodes de séries américaines diffusées en 2015-2016 étaient réalisés par des femmes, et 3 % par des femmes de couleur. Sur la période 2016-2017, 68 % des séries US comptaient plus de personnages masculins que féminins.
Sans compter que les stéréotypes ont la dent dure. Pour ces femmes qui ont réussi dans un milieu encore dominé par les hommes, cette sous-représentation des femmes aux postes décisionnaires et au sein des équipes de scénaristes est en partie responsable d’une cette pauvreté narrative — qui va toutefois en s’améliorant à mesure que le nombre de productions augmente.
Et pour quel résultat ? « Il y a des scènes hilarantes dans les séries, comme ces femmes qui prennent des longs bains dès qu’elles ont un souci », s’est moquée Paula Vaccaro. « Ou bien quand elles sont très énervées et qu’elles ne supportent plus leur image, elles passent violemment la main sur leur rouge à lèvres qui s’étale partout sur leur visage, au lieu de se démaquiller normalement. Qui fait ça? »
Des histoires glaçantes
Des histoires, elles en ont des tonnes. Les deux showrunneuses présentes à Lille, qui ont débuté leur carrière comme simples scénaristes, ont raconté quelques expériences, des plus aberrantes aux plus glaçantes, au sein des writer’s rooms, cette salle d’écriture où se réunissent les scénaristes pour échanger des idées et trouver des arcs narratifs.
Sarah Treem (The Affair) a ainsi détaillé la difficulté qu’elle a eue à convaincre ses collègues scénaristes de créer un personnage féminin qui soit profond et qui ait « des envies » (« c’est la base de la narration : un personnage qui veut des choses, que ce soit l’amour ou acheter des oreillers », se désole-t-elle), et de s’entendre répondre : « Non, on ne veut pas que les gens la prennent pour une connasse. »
« Tu peux me tenir mon verre et me sucer en même temps »
Beaucoup plus dérangeant, Veena Sud (The Killing) a raconté l’histoire d’une consœur scénariste qui a sidéré le public lillois. Seule femme de sa writer’s room, sa collègue aurait été régulièrement ciblée par les jeux de « fuck, marry or kill » de ses collègues masculins. Mais un jour, c’est le showrunner lui-même qui a dépassé les bornes en l’humiliant publiquement. Elle raconte : « Il lui a demandé de se plier comme pour faire une révérence, et a posé un verre de whisky sur sa nuque. Il lui a dit : ‘Tu es vraiment la femme parfaite, tu peux me tenir mon verre et me sucer en même temps.’»
Indignées mais pas surprises, plusieurs intervenantes acquiescent d’un air entendu. « J’ai un léger syndrome de stress post-traumatique lorsque j’entends ça », lâche ironiquement Sarah Treem.
Comment faire avancer l’égalité ?
« Vous n’avez pas besoin d’écrire des personnages de femmes aimables pour qu’elles soient aimées », résume Caroline Benjo, la productrice française qui a notamment travaillé sur les Revenants de Canal+. Pour elles, ce sont les travaux de ses confrères showrunneuses qui font avancer la cause, en écrivant des rôles de femmes de qualité, qui ne seraient pas condamnées à des seconds rôles fades.
« On a besoin de role models, à l’écran comme chez les femmes de pouvoir », ajoute la Suédoise Anna Croneman, dont le pays a instauré l’obligation de tenir des statistiques de représentation dans tous les corps de métier de l’industrie culturelle. « J’ai eu une très grande chance », abonde de son côté Veena Sud, « La première série pour laquelle j’ai écrit était dirigée par une femme. C’était Cold Case ». Elle a ensuite expliqué la manière avec laquelle la showrunneuse Meredith Stiehm l’avait prise au sérieux et écoutée. « Elle a vu mon talent, et pas mon genre. »
« Elle a vu mon talent, et pas mon genre. »
Autre solution mise en avant par la modératrice Paula Vaccaro : la solidarité. Elle rappelle que Veena Sud et et Sarah Treem font partie d’un groupe d’entraide et de soutien entre showrunneuses qui se donnent des conseils. La créatrice de The Affaire explique par exemple comment, après avoir dû gérer son congé maternité tout en étant à la tête d’une série, elle a guidé une autre confrère qui paniquait à l’idée de ne pas pouvoir faire accepter son absence.
« Il y a beaucoup plus de solidarité dans ma writer’s room partiaire, par rapport à des équipes très masculines, où il y a plus de compétition pour se faire remarquer du showrunner », conclut Sarah Treem. A part ne pas démissionner, elle a un conseil pour réussir : « Ne pas hésiter à envoyer chier les gens, mais de manière saine. Il faut accepter les critiques et se remettre en question, bien sûr, mais à un moment il faut savoir dire : ‘Je suis moi, c’est mon histoire, vous ne pouvez pas me changer, et vous ne pouvez pas la raconter mieux que moi.’ »
Le festival Séries Mania a lieu à Lille du 27 avril a 5 mai 2018.
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