Exit, les saisons et les annulations. Netflix est en train de changer en profondeur le langage des séries. La plateforme américaine de vidéo à la demande (SVoD), qui compte diffuser 700 nouveaux contenus en 2018, développe petit à petit un champ lexical spécifique à sa stratégie, qui s’inscrit à contre-courant de la production linéaire des diffuseurs traditionnels.
Par exemple, ne dites pas « la deuxième saison de Dear White People sera mise en ligne sur Netflix le 4 mai », mais « le volume 2 de Dear White People débarque sur Netflix le 4 mai ». Qu’importe que l’on ne sache pas bien pourquoi ce deuxième volet a hérité d’une appellation différente, tandis que la majorité des médias parlaient bien d’une deuxième saison à l’époque de son renouvellement.
Mais alors, qu’est-ce qui différencie une « saison » d’un « volume » d’une « partie » ? Ces modifications sémantiques ont beau sembler anecdotiques, elles démontrent un changement de paradigme durable. Et se basent sur un postulat : Netflix raisonne en tant que plateforme de catalogue, et non, comme le vieux monde de la télé, en termes de saisonnalité.
La règle, c’est qu’il n’y a pas de règle
La série Dear White People n’est pas la seule à n’avoir pas eu droit à des « saisons » comme les autres.The OA, la production surprise de Netflix de 2016, a ainsi teasé son grand retour en annonçant une… Partie 2.
De même, la série The Ranch est censée être composée de « deux saisons de deux parties », qui ont été mises en ligne à quatre dates différentes. Sur la plateforme, Netflix classe ces quatre volets en quatre onglets, sans faire mention de saisonnalité. Du côté des médias spécialisés, on se retrouve obligés de redoubler de précisions pour faire mention du nouvel opus, tant les subtilités deviennent complexes à détailler.
Ce changement de langage confirme la logique de la plateforme : la règle est qu’il n’y a pas de règle. Netflix n’est tenu par aucun objectif de diffusion linéaire, aucun calendrier, aucune deadline ou « rentrée des séries ».
Ainsi, le géant américain peut se permettre de faire attendre les fans d’Unbreakable Kimmy Schmidt un an, pour ne leur offrir que 6 malheureux épisodes de trente minutes, d’une quatrième saison soudain morcelée en « deux parties ». Les trois premières saisons n’avaient pas été découpées de la sorte. Aucune date de sortie n’est annoncée pour la Partie 2.
Qu’importe les raisons d’un tel découpage — faire durer la série plus longtemps, alors que l’on sait depuis peu que ce quatrième volet sera le dernier ? — , le résultat est le même : les fans regarderont tous les épisodes, et devront patienter pour la deuxième partie.
Et si pendant quelques mois, les spectateurs attendent, dans quelques années, plus personne ne se souviendra de cet étrange découpage. Car la plateforme construit peu à peu son catalogue, et ses productions originales ont vocation à y rester — contrairement aux productions tierces dont Netflix doit régulièrement renouveler les droits de diffusion pour les garder en ligne à l’international.
Du rejet du terme « annulation »
Cette spécificité sémantique ne s’applique pas qu’aux saisons. C’est tout un langage que la plateforme développe. Todd Yellin, vice-président produit chez Netflix, souhaiterait par exemple que l’on n’utilise plus le mot « annuler » pour parler des séries que la multinationale ne renouvelle pas.
Rencontré par Numerama au cours d’une table ronde organisée lors de la conférence See What’s Next de Netflix le 19 avril 2018, il expliquait combien il était malvenu, selon lui, de parler d’annulation à propos de la série Sense8 — qu’un film viendra clôturer le 8 juin prochain après que la plateforme a décidé de ne pas produire de troisième saison :
« Lorsque les networks de la télévision traditionnelle annulent une série, c’est terminé, on ne la revoit jamais plus. Sense8 sera sur notre plateforme pour toujours. Vous pourrez voir les deux saisons et le film. Donc, nous n’avons pas annulé Sense8, nous avons conclu l’histoire et nous avons décidé de ne pas produire de nouveaux épisodes. »
« Le mot annulation ne s’applique pas à la télévision sur internet »
Il n’empêche que même si les saisons (ou volumes, ou parties…) sont consultables sur la plateforme, la notion d’annulation implique bien la notion d’arrêt de production de nouveaux contenus. Ce qui revient… à peu près au même.
Il ne s’agit probablement pas de honte, car Netflix assume avoir mis un terme à plusieurs de ses créations originales — Reed Hastings lui-même insiste sur le fait que le ratio d’annulation de Netflix devrait être « plus élevé ».
La gêne semble être plus symbolique : se distancier du terme « annulation » est un marqueur fort qui permettrait de se démarquer des modes de consommation linéaire. « Le mot annulation ne s’applique pas à la télévision sur internet comme c’était le cas pour la télévision traditionnelle », insiste Yellin. Et de se fendre d’une nouvelle comparaison :
« Quand vous parlez de la saga Matrix, qui a aussi été faite par les Wachowski. Est-ce que vous diriez qu’elles ont ‘annulé’ Matrix? La réponse est : on ne pense pas en ces termes, parce qu’elles ont fait une trilogie, elles ont raconté une super histoire, et maintenant vous pouvez regarder n’importe lequel des trois ».
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