La sortie d’un jeu Quantic Dream est toujours un évènement. D’un côté, les apôtres de David Cage crient au génie en lâchant l’argument facile de la sacrosainte expérience. De l’autre, les haters qui accusent le créateur de ne pas choisir entre faire un bon film ou un bon jeu vidéo. Mais on a aussi le droit d’être entre les deux camps et de laisser sa chance au produit. Et force est de reconnaître que Detroit: Become Human ne manque pas d’arguments, à une époque où les intelligences artificielles font autant flipper que rêver.
Dis Kara
Pour ceux qui ne connaîtraient pas les jeux Quantic Dream, on va faire simple : il s’agit de productions davantage orientées sur la narration, où le gameplay est réduit à sa plus simple expression pour que le joueur se laisse porter par une histoire dictée par ses choix. En bref, un film interactif, si l’on veut résumer — vraiment — vulgairement. Mais un film interactif où nous sommes bel et bien le héros. Comme ses prédécesseurs, Detroit: Become Human s’articule dès lors entre trois piliers fondamentaux : la mise en scène, la réalisation et la narration.
Nécessairement influencé par l’oeuvre d’Isaac Asimov, Detroit: Become Human est avant tout un univers fort. Dans un futur proche, les humains ont laissé les tâches ingrates à des robots ultra expérimentés, lesquels finiront par se poser des questions sur leur existence et leur place dans la société. Vous l’aurez compris, les scénaristes n’ont pas inventé l’eau chaude et préfèrent se servir d’un sujet mainte fois abordé pour accoucher de séquences touchant parfois à l’intime, partagées par trois androïdes aux origines variées (un super détective froid, une bonne dans une famille où le père est violent, un assistant mis au rebut après un accident involontaire).
Dans les grandes lignes, Detroit: Become Human se révèle plutôt bien écrit, même s’il n’échappe pas à quelques poncifs et autres facilités — on devine ainsi facilement l’intrigue et sa finalité (c’est encore plus facile quand on l’influence) —
Detroit 2038
Detroit: Become Human n’oublie pas non plus d’être référencé. L’action se déroule à Detroit (comme dans Robocop). Une ville où il pleut souvent, à l’instar du Los Angeles de Blade Runner. L’exclusivité PlayStation 4 cite également Terminator, quand il appelle l’un de ses personnages Connor (Sarah Connor) ou rend carrément hommage au robot tueur dans un chapitre entier (peut-être le meilleur). Il y a bien d’autres clins d’œil du genre et ils feront plaisir aux fans de SF anticipative.
Par extension, la mise en scène se doit d’être irréprochable. Après tout, Detroit: Become Human revendique un statut d’expérience cinématographique. Posée et poseuse, elle s’appuie sur des angles de caméra intelligemment pensés, plus efficaces que brillants. Ils mettent en exergue les personnages ou les décors selon les situations, toujours avec justesse. On sent l’envie, aussi, de faire briller les graphismes, fruits d’une réalisation profitant d’un développement 100 % focalisé sur PlayStation 4 (traduction : les exclusivités sont toujours plus belles que les jeux multiplateforme) et d’un monde jamais ouvert.
Dans Detroit: Become Human, ce sont surtout les visages qui attirent le regard. Ils sont non seulement modélisés à la perfection mais offrent aussi des expressions d’une précision chirurgicale. Des expressions au demeurant humaines collant parfaitement au sujet et à ses thématiques (spoiler : les androïdes peuvent-ils être les égaux des humains ?).
Robot qui n’en fait qu’à sa tête
Pour autant, toute réussie qu’elle soit, la forme engendre quand même de sérieux soucis dans la prise en main. Si les plans fixes sont réussis, dès qu’il faut bouger, c’est la foire à l’agacement : la caméra a du mal à suivre et les déplacements sont indigestes. On a l’impression de diriger des éléphants dans un magasin de porcelaines. Pire, les développeurs n’ont pas coché la case ergonomie dans leur cahier des charges : le stick droit, servant à la plupart des actions contextuelles, permet aussi d’ajuster l’angle de vue. En somme, pensant remettre la caméra sur le droit chemin, on déclenche parfois un mécanisme sans le vouloir.
On a l’impression de diriger des éléphants dans un magasin de porcelaines
Sinon, la prise en main est simpliste en convoquant des QTE permissifs et de l’exploration/observation à gogo (astuce : il existe un mode facile pour encore moins de prise de tête). Elle s’appuie sur une optimisation des fonctionnalités de la DualShock 4 : haut-parleur pour l’immersion, pavé tactile, gyroscope (pas la meilleure idée quand il faut se dépêcher) — cela faisait un moment que la manette de la PS4 n’avait pas été autant sollicitée. Dans tous les cas, on n’est pas là pour chercher du challenge. Mais pour faire des choix importants.
Sur ce point, Detroit: Become Human en donne pour son argent. Par transparence, Quantic Dream n’a pas peur de dévoiler les ficelles de ses récits à la palanquée de ramifications. À la fin de chaque chapitre, on prend connaissance des différents arcs possibles via un aperçu des décisions impactantes. Où l’on découvre si les gens ont pris les mêmes chemins (via des pourcentages), que certains segments sont — très — dirigistes et que certains choix se recyclent ou, pire, convergent vers une seule conséquence. Notamment les moraux consistant à sauver ou non un personnage secondaire, qu’il soit humain ou robot.
La liberté d’avoir le choix
En étant aussi transparent sur la conception tentaculaire de son jeu, le studio français livre un maximum de clefs pour obtenir les différentes fins, lesquelles peuvent être heureuses, malheureuses ou un peu des deux selon le point de vue de chacun et de quel côté on se place. Sachez qu’il est par ailleurs possible de louper plusieurs portions de Detroit: Become Human si vous faites des choix que l’on pourra juger mauvais — là encore, c’est sujet à interprétation.
Detroit: Become Human peut se vivre différemment. Vraiment différemment.
Tous ces éléments mis bout à bout renforcent l’idée que l’on prend part à une expérience où l’on est réellement le héros, où il apparaît nécessaire de mesurer les conséquences de ses actes, de temps en temps avec un chronomètre qui inhibe la réflexion. Cela permet au titre d’assurer une re-jouabilité indispensable pour les curieux désireux de voir à quel point leur influence peut être grande. C’est la force et la faiblesse de Detroit: Become Human : il n’y a tellement rien d’imposé que l’on peut passer à côté de chapitres. Parfois à cause d’un petit élément pouvant changer le destin d’un ou plusieurs protagonistes — la notion de karma est primordiale. Cela peut-être un pistolet caché dans un tiroir, une phrase maladroitement prononcée, une enquête mal jaugée.
À l’arrivée, il suffit de discuter avec un ami qui a fait le jeu en parallèle pour se rendre compte combien Detroit: Become Human peut se vivre différemment. Vraiment différemment. Cela prouve que Quantic Dream est parvenu à l’aboutissement de sa formule donnant vraiment le pouvoir aux joueurs. C’est un parti pris très audacieux, critiquable par le passé quand les ficelles étaient trop décelables, mais qui prend tout son sens aujourd’hui maintenant que la maîtrise est totale. Malgré un sujet maîtrisé depuis la nuit des temps par d’autres.
Detroit: Become Human est disponible exclusivement sur PlayStation 4.
Le verdict
Detroit: Become Human
Voir la ficheOn a aimé
- Réalisation de haute volée
- Les choix ont vraiment des conséquences
- Un nombre incalculable de ramifications (et de fins)
On a moins aimé
- Un gameplay médiocre
- Quelques facilités dans l'écriture
- On en parle de la caméra ?
Fruit d’une maîtrise d’un genre dans lequel Quantic Dream s’entête malgré le clivage, Detroit: Become Human parvient à transformer l’essai. Ce qui était loin d’être couru d’avance au regard du sujet, beaucoup trop facile car consistant à faire s’affronter l’homme et la machine. Malgré les écarts narratifs, l’exclusivité PlayStation 4 parvient à accrocher le joueur en le confrontant à ses propres choix, en l’amenant à se questionner sur une décision plutôt qu’une autre.
Ni film (l’auteur se dit neutre), ni jeu vidéo (le gameplay est médiocre quand il y en a), Quantic Dream inscrit sa réussite dans l’immersion et la volonté d’assumer les conséquences de celle ou celui qui est tient les rênes. En résulte une multitude d’arcs scénaristiques pouvant, au mieux, faire vivre des séquences riches en émotion, au pire, effacer totalement plusieurs chapitres du récit qui se construit petit à petit. Rares sont les jeux qui mettent le joueur en face de ses responsabilités. Et de ses regrets.
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