S’il fallait désigner un leader dans le monde des séries, Netflix remporterait le titre haut la main. La plate-forme est devenue un géant de la production : en 2018, elle produit plus de films que les trois plus gros studios hollywoodiens que sont Disney, Warner Bros. et Universal Pictures. En 2013, Netflix fait une entrée fracassante dans l’univers sériel avec la création de sa toute première série originale : House of Cards. Elle sera suivie de succès comme Orange is the New Black, 13 Reasons Why ou Stranger Things, qui ajoute chacune leur pierre dans l’avènement de l’âge d’or des séries.
Depuis, Netflix a diffusé près de 400 séries, dont 245 originales. La plateforme a toujours tenu à adapter son contenu aux goûts de son audience – on dit d’House of Cards qu’elle est la première série conçue par un algorithme. Réussir à toucher tout le monde est au cœur de la stratégie de Netflix. Jeunes comme vieux, femmes comme hommes, « les goûts des gens sont très différents », expliquait Ted Sarandos, chef des contenus de Netflix, au Hollywood Reporter « et je veux pouvoir répondre à tous ces goûts, et plaire à tous les segments de la population ».
Netflix est fier de sa diversité
La plateforme est particulièrement fière de sa diversité, comme elle l’a montré en lançant le 24 juin 2018 le mouvement « strong black leads » (« forts personnages principaux noirs » en français), s’engageant à montrer des personnages noirs nuancés, complexes, et non stéréotypés. Cela passe par des acteurs afro-américains bien sûr, mais aussi par des créateurs : réalisateurs, scénaristes et showrunners. Des séries comme Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, Dear White People, Luke Cage sont toutes en majorité écrites, réalisées, et jouées par des afro américains.
Alors, devant une si belle diversité, la question de la place des femmes se pose elle aussi. L’apogée de la carrière d’une actrice française dure en moyenne huit ans, contre vingt-huit pour les acteurs, a récemment révélé le Monde. Et derrière la caméra, ce n’est pas beaucoup plus glorieux : en 2017, les femmes représentaient 8 % des réalisatrices, et 10 % des scénaristes des 100 premiers films au box office, selon Women and Hollywood.
Certes, des séries comme Orange is the New Black, Sense8, GLOW ou Girlboss sont de petits bijoux d’inclusivité bien trop rares dans le paysage audiovisuel. Leur casting met non seulement les femmes à l’honneur, mais aussi les minorités, de toutes les couleurs et de toutes les orientations sexuelles. Mais en dehors de ces séries exemplaires, la plateforme fait-elle réellement mieux que les autres ? Nous avons étudié la proportion de femmes parmi les acteurs, réalisateurs et scénaristes de chaque épisode des séries Netflix originales. Après soustraction des séries d’animation, reality et talk shows, et documentaires, l’étude s’est faite sur les 115 séries restantes et leurs 1912 épisodes.
HOMMES OU FEMMES ? LE MATCH DES ACTEURS DES SÉRIES ORIGINALES NETFLIX
15220
apparitions d’acteurs
11280
apparitions d’actrices
Avec 57 % d’hommes et 43 % de femmes, il y a un peu plus d’acteurs que d’actrices dans les séries Netflix. Ce chiffre se base sur les 15 premiers acteurs crédités par épisode, tel qu’IMDB les répertorie. 6 séries sur 10 ont plus d’acteurs que d’actrices, moins de 3 séries sur 10 ont plus d’actrices que d’acteurs et une sur 10 est paritaire. La série jeunesse Amandine Malabul, sorcière maladroite est à la seule à disposer d’un casting 100 % féminin, suivie de près par Project MC2 et Orange is the New Black. De l’autre côté du classement, on trouve l’espagnole El Chapo et la canadienne Trailer Park Boys dont les saisons 8 à 12 ont été produites par Netflix.
Des séries unisexes
Les plus masculines :
Tout acteur confondu parmi les 15 premiers crédités par épisode
Et la palme de la série la plus testostéronée revient à… Blazing Transfer Students. Mob Psycho 100 et elle sont adaptées d’un « shonen », manga destiné à un public adolescent et masculin. La série raconte les aventures de 7 lycéens, tous joués par les membres du boy’s band japonais Johnny’s West. Narcos et El Chapo ont elles aussi un gros point commun : les deux séries sont basées sur la vie des célèbres barons de la drogue d’Amérique latine : Joaquín « El Chapo » Guzmán pour El Chapo et Pablo Escobar pour Narcos.
Les plus féminines :
Tout acteur confondu parmi les 15 premiers crédités par épisode
Des catcheuses professionnelles pour GLOW, de jeunes sorcières pour Amandine Malabul, des prisonnières pour Orange is the New Black, ou des agentes secrètes pour Project Mc2… Les « bandes de filles » sont à l’honneur du classement. Seule Gypsy, qui raconte l’histoire d’une thérapeute aux méthodes douteuses, fait exception.
Bien sûr, le pourcentage d’acteurs ou d’actrices total par épisode n’est pas forcément significatif. En effet, il manque la notion du temps qu’un acteur ou actrice passe à l’écran. Une série comme Girlboss par exemple, met largement plus en avant son personnage principal (féminin) que les autres. Pourtant, avec un calcul sur les 15 acteurs crédités par épisode, elle se retrouve avec une proportion d’actrices assez faibles. Pour mieux prendre en compte l’importance des acteurs principaux, nous nous sommes intéressés aux trois premiers acteurs crédités par épisode.
Même si les séries restent globalement plus masculines que féminines, le ratio s’améliore avec 42 séries dont le trio d’acteurs principaux est composé d’au moins deux femmes. 59 séries sont composées d’un trio d’acteurs principaux d’au moins deux hommes.
Une question de genre ?
L’aventure pour les hommes… la famille pour les femmes
C’est sûrement le chiffre le plus éloquent de cette enquête : 85 % de personnages féminins dans les séries familiales et 78 % dans les romances, mais seulement 21 % dans les séries d’aventures. Quant aux acteurs masculins, ils sont surtout présents dans les séries d’aventure, de crime et d’action. Les stéréotypes ont la vie dure…
À LA TECHNIQUE, OU SONT LES FEMMES ?
Le monde des séries nous paraît souvent plus progressiste que celui du cinéma. Pourtant, en dix ans, la part des femmes ayant réalisé des films est passée de 20,8 % en 2008 à 27 % en France, selon le CNC en 2017. 16 % de réalisatrices chez Netflix, cela semble donc très peu, surtout pour une plateforme qui a commencé la production de séries en 2013. L’inégalité est peut-être typique de l’industrie américaine : en 2017, les femmes représentaient 18 % des réalisateurs et 16 % des scénaristes dans les 500 premiers films au box-office, selon le Center for the Study of Women in Television and Film.
En tout, 65 séries sont écrites par plus de 7 hommes sur 10 scénaristes alors que seules 13 séries ont plus de 7 scénaristes féminines sur 10. Et 92 séries, soit 77 % du total, ont plus de 7 réalisateurs masculins sur 10. Seules 4 séries ont plus de 7 réalisatrices féminines sur 10, et 9 séries en ont plus de 50 %.
LES GIRLBOSS DE NETFLIX
C’est bien en terme de réalisation que la différence est écrasante. 16 % de femmes font face à 84 % d’hommes réalisateurs. 3 séries ont 100% de réalisatrices féminines alors que 58 séries ont 100 % de réalisateurs, soit vingt fois plus… Seule une série tire son épingle du jeu : Captive (Alias Grace en anglais), la mini-série adaptée d’un roman de Margaret Atwood, qui signe aussi la Servante Écarlate. 100 % de réalisatrices et 100 % de scénaristes féminines, carton plein pour cette série qui raconte l’histoire de Grace, jeune servante accusée de deux meurtres, dont la psychologie fascine la haute société canadienne – et notamment les hommes.
Certes, Captive n’a que 33 % d’actrices, mais là encore la notion de screen time est importante. Le personnage de Grace est, de loin, celui qui passe le plus de temps à l’écran. De plus, la série raconte l’histoire d’une femme seule face aux hommes : intrigués, fascinés, ils gravitent autour d’elles.
Au niveau du scénario, les séries Netflix se débrouillent mieux. Les séries mettant en scène des femmes (comme Project MC2, Super Mamans, GLOW, Amandine Malabul, Girlboss, Gilmore Girls, Orange is the New Black, etc.) sont majoritairement écrites par des scénaristes qui connaissent leur sujet : des femmes. En plus de cela, certaines se paient même le luxe d’avoir une majorité de réalisatrices dans leur rang : c’est le cas de Captive, mais aussi d’Anne ou Glow. Des actrices, des scénaristes féminines et des réalisatrices : cela paraît évidemment nécessaire pour jouer, écrire et monter l’histoire de personnages féminins.
Avec 72 % de femmes derrière la caméra, Girlboss est bien une des « girlboss » de Netflix
Quelques séries échappent cependant à ce qui semble relever du bon sens. Jessica Jones, la série Marvel, bénéficie d’un nombre honorable de réalisatrices avec 3 femmes sur 5 au poste, soit la sixième série Netflix avec le plus de réalisatrices – loin, très loin devant ses cousines Marvel Luke Cage, Iron Fist et Daredevil. De même, elle montre une majorité d’actrices (61 %). Jusque-là, rien d’étonnant pour une série dont le personnage titulaire est une super héroïne. Alors pourquoi ne compte-t-elle que 40 % de scénaristes de sexe féminin ?
Ce chiffre relativement faible vient du fait que le personnage de Jessica Jones est extrait de l’univers Marvel : en effet, les auteurs du comics original, Brian Michael Bendis et Michael Gaydos, bénéficient d’un crédit en tant que scénaristes pour chaque épisode. En réalité, les deux auteurs n’ont pas participé à l’écriture du scénario de la série. Mais si l’on retire leurs crédits, le taux de scénaristes féminines passe de 40 à 68 %.
Girlboss raconte elle aussi une histoire de femmes dans un monde d’hommes. « Girlboss », c’est le surnom du personnage principal, adaptée de la businesswoman Sophia Amoruso. Depuis sa chambre à San Francisco, la jeune femme monte Nasty Gal, sa boutique de vêtements en ligne qui la fera gagner des millions. Avec 72 % de femmes derrière la caméra, la série est bien une des « girlboss » de Netflix… même après son annulation au bout d’une saison.
Méthodologie
L’étude s’est faite sur 115 séries originales Netflix (après soustraction des séries d’animation, reality et talk shows, et documentaires), et leurs 1912 épisodes.
Les acteurs, réalisateurs et scénaristes de chacun de ces épisodes ont été récoltés sur IMDB, et leur sexe tiré de leur page biographique sur IMDB. La base de données s’arrête aux 15 principaux acteurs de chaque épisode, parfois moins si l’épisode compte moins d’acteurs. IMDB range les acteurs par ordre de crédits tels qu’ils apparaissent sur le générique de fin des séries. Les métadonnées des séries, comme leur genre (comédie, drame, romance, etc) sont également tirées d’IMDB.
Retrouvez la liste des séries étudiées ici.
Avec la participation de WEDODATA.
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