Netflix a expliqué avoir annulé la série Everything Sucks! car trop peu d’internautes avaient fini la première saison. Un indice qui permet de mieux comprendre la stratégie de la plateforme, qui se rapproche des diffuseurs linéaires, mais qui explose les notions traditionnelles de temporalité.

Everything Sucks! est une série touchante sur les errances de l’adolescence, l’attirance, la recherche de soi et l’acceptation de l’autre. C’est aussi une des premières productions originales de Netflix a avoir été annulée aussi rapidement après seulement une saison. La sentence est tombée le 6 avril 2018, soit seulement un mois et demi après la mise en ligne de la série par la plateforme de SVOD.

Everything Sucks // Source : Netflix

Everything Sucks

Source : Netflix

Cette décision très rapide a été jugée sévère par les fans, malgré les critiques mitigées à l’encontre de la petite comédie-dramatique qui jouait beaucoup sur la nostalgie des années 90, et semblait surfer sur le succès de Stranger Things.

Netflix n’avait pas, jusqu’ici, apporté d’explications à cette annulation, préservant comme d’habitude sa culture du secret des chiffres d’audiences. Mais elle a récemment avancé  une raison nouvelle, qui est prise en compte dans l’arrêt des productions originales Netflix : le nombre de personnes qui finissent de regarder la première saison en entier.

De l’importance du « ratio d’achèvement »

Au cours d’une présentation devant la Television Critics Association (TCA) fin juillet, Cindy Holland, vice-présidente des contenus originaux de Netflix monde, a ainsi expliqué qu’Everything Sucks! avait un « ratio d’achèvement » (completion rate) trop bas par rapport à la moyenne des autres séries.

En somme, cela signifie que trop de spectateurs ont commencé à regarder la saison 1 sans la terminer —  malgré le fait qu’Everything Sucks! soit une très courte série de 10 épisodes de 20 minutes, soit à peine un peu plus de 3 heures de visionnage.

Le ratio d’achèvement d’une saison n’est pas tout à fait la même chose que les statistiques d’audiences, car il permet à Netflix de savoir si sa série va disposer d’une communauté solide de fans investis. Par exemple pour Everything Sucks!, l’effet « nostalgie des années 90 » a pu générer une grande curiosité lors de la mise en ligne de la série. Mais il est possible qu’après quelques épisodes, une grande partie des spectateurs se soient lassés, prouvant que la série était peut-être trop faible pour continuer.

Une méthode déjà utilisée par les chaînes de télévision

La notion de « completion rate » peut avoir l’air surprenante car elle concerne une plateforme qui, traditionnellement, communique peu sur ses méthodes. Mais elle n’est en fait pas très éloignée de la manière dont les diffuseurs et chaînes historiques fonctionnent.

Ces dernières diffusent traditionnellement un épisode par semaine — parfois entrecoupé de quelques pauses pendant les vacances. Au bout d’un mois, les chaînes peuvent déjà voir si l’audience captée avec le premier épisode et si l’effet « nouveauté » se prolonge sur les épisodes suivant, ou si le nombre de téléspectateurs s’écroule.

Netflix est maître du temps

En revanche, il est très rare qu’une chaîne annule une série après seulement quelques épisodes — cela arrive environ pour deux ou trois séries par an, sur les 500 productions créées. La différence avec Netflix se joue en fait sur le temps. La plateforme met en ligne des dizaines de nouveaux contenus par mois, soit des centaines d’heures de vidéo. À l’inverse d’une chaîne de télévision classique, qui diffuse un nouvel épisode une fois par semaine, Netflix met en ligne tous les épisodes d’une saison d ‘un coup — et mesure combien d’abonnés vont les consommer en un week-end. La vitesse et le volume de binge-watching est donc forcément prise en compte dans la détermination d’un succès.

Seven Seconds // Source : Netflix

Seven Seconds

Source : Netflix

Si Everything Sucks! — ou Seven Seconds, qui a subi le même sort en sortant le 23 février et a été annulée après une saison le 18 avril 2018 —  avait été diffusée sur une chaîne du câble classique,  6 épisodes seraient passés à la télévision au bout de 45 jours, soit seulement la moitié de la saison.

Or si l’on peut déjà percevoir une baisse d’audience au bout de 6 épisodes, il arrive que les chiffres se stabilisent, ou reprennent même du poil de la bête grâce au bouche à oreille ou à l’attention tardive des médias (comme ce fut le cas pour la série The Good Place, par exemple). Or ce « sursis » est beaucoup plus rare lorsque la temporalité est raccourcie. C’est d’ailleurs une des raisons qui a poussé Netflix à annuler Sense8 : rencontrée en avril 2018, Cindy Holland nous expliquait que la série de 2015 était peut être sortie trop tôt, et que l’engouement qu’elle connaît aujourd’hui était arrivé trop tard pour justifier ses coûts.

En somme, la rapidité et la liberté d’exécution donnent un avantage compétitif important à Netflix par rapport aux chaînes linéaires, mais les séries produites par la plateforme ont moins de temps pour faire leurs preuves.

Un mot d’ordre : annuler plus de séries

À ses débuts dans la production de contenus originaux, Netflix n’annulait quasiment aucune série. Hemlock Grove, Marco Polo, Marseille : tous ces programmes au succès relatif ont au moins bénéficié d’une saison 2, malgré leur qualité plus que moyenne. Puis Reed Hastings, le PDG de la multinationale, a décidé de changer son fusil d’épaule : le 1er juin 2017, il a annoncé qu’il voulait annuler beaucoup plus de séries. Pas parce qu’il adore mettre fin à des programmes, mais parce qu’il est persuadé que cela poussera son équipe à prendre plus de risques et tester des projets, quitte à ce qu’ils ne tiennent pas sur la durée.

Le « ratio d’achèvement » s’ajoute ainsi à la liste des éléments pris en compte dans la politique très secrète d’annulation ou de renouvellement de contenus originaux par Netflix. Il vient s’ajouter aux audiences globales, à la capacité du programme à attirer de nouveaux abonnés et à son succès médiatique.

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Source : Montage Numerama

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