13 Reasons Why porte bien son nom. La série de Netflix, sortie en mars 2017, se décline en 13 épisodes d’une heure. La première saison suit un groupe d’adolescents après le décès de leur camarade de classe, Hannah. Avant de se donner la mort, elle a enregistré 13 cassettes audio (oui, en 2017), et le héros, Clay, doit écouter une cassette par épisode pour comprendre ce qui a motivé le geste de son amie.
Le concept bien ficelé a toutefois engendré un bon nombre de critiques qui s’accordaient sur un point : certains épisodes traînaient beaucoup trop en longueur. À raison d’une heure par épisode, le spectateur était régulièrement tenté de se demander si Clay ne pouvait pas accélérer l’écoute des fameuses cassettes. Impossible : la saison devait faire 13 épisodes.
Pourquoi 13 épisodes ?
Mais d’où provient cette convention, de plus en plus critiquée ? On en sait un peu plus grâce à la récente intervention d’une cadre de Netflix. Cindy Holland, vice-présidente des contenus originaux de la firme au niveau global, a expliqué pourquoi tant de séries originales se décomposaient en 13 épisodes, au cours d’une conférence devant la Television Critics Association (TCA) fin juillet.
« Au cours des premières négociations que nous avons eues avec des studios tiers, nous avons été un peu paralysés par la convention habituelle des 13 épisodes portée par les chaînes du câble », a-t-elle ainsi expliqué.
Traditionnellement, les séries diffusées par les chaînes payantes du câble américain (HBO, Showtime, AMC) durent 13 épisodes par saison (Les Soprano, Mad Men, Breaking Bad ), ou parfois 12 épisodes (Homeland, Nurse Jackie, Californication). C’est une des grandes différences qu’il y a avec les séries de networks (ABC, CBS, NBC), qui produisent des saisons d’environ 22 épisodes par an, comme pour Grey’s Anatomy ou Brooklyn Nine-Nine. Par conséquent, les séries de ces chaînes gratuites restent à l’antenne quasiment huit mois par an, contre une fenêtre d’environ trois mois pour les séries du câble.
« Les saisons ne font à présent pas plus de 10 épisodes »
Lorsqu’il s’est lancé dans la production de séries, Netflix a donc reproduit une convention de la télévision linéaire, connue et perpétuée par les différents acteurs de la chaîne de production. Hemlock Grove, House of Cards, Orange is the new black, Bloodline, Unbreakable Kimmy Schmidt : toutes ces séries lancées entre 2013 et 2015 comptaient 13 épisodes par saison, sans que rien ne justifie une telle harmonisation.
Petit à petit, la plateforme américaine s’est éloignée de ces carcans : « Si vous vous intéressez aux contenus des Studios Netflix actuels, et même ceux de nos partenaires, les saisons ne font à présent généralement pas plus de 10 épisodes », a continué Cindy Holland.
Dont acte : on trouve aujourd’hui beaucoup plus de nouvelles productions originales de moins de 13 épisodes par saison sur la plateforme, comme Master of None (10 épisodes), Stranger Things (8 et 9 épisodes), Dear White People (10 épisodes), Everything Sucks! (10 épisodes), Ozark (10 épisodes), BoJack Horseman (12 épisodes) ou Mindhunter (10 épisodes). Mais cela n’empêche pas certains spectateurs et critiques de s’agacer d’un phénomène spécifique aux séries de la plateforme américaine : le « Netflix Bloat » ou l’« effet ballonnement ».
Netflix a un problème de « ballonnement »
À l’inverse des séries diffusées sur des chaînes de télévision traditionnelles, tous les épisodes d’une saison d’une production de Netflix — et de ses concurrents Amazon Prime Video ou Hulu — sont mis en ligne en même temps.
Cela a plusieurs conséquences : l’une d’entre elle est que les séries ont moins de temps pour faire leurs preuves, car Netflix mesure précisément le nombre de personnes qui commencent la série, qui la finissent, ainsi que combien de temps ils mettent à la finir. Une série originale Netflix, comme ce fut le cas pour Everything Sucks!, a donc moins de temps pour s’installer dans le paysage audiovisuel, dans les conversations et dans les habitudes.
La deuxième repose sur la construction-même de ces séries. Avant l’ère des plateformes de SVOD et leurs contenus originaux, une série était le plus souvent construite pour être diffusée un épisode à la fois, la plupart du temps de manière hebdomadaire. Son rythme était pensé pour accrocher le spectateur chaque semaine, avec un élément fort en début d’épisode, un cliffhanger (un élément fort de fin d’épisode qui nourrit le suspense et donne envie de voir la suite), et, pour les séries de network, un « mini cliffhanger » toutes les 10 minutes pour correspondre aux encarts publicitaires, très présents à la télévision US.
Avec le fonctionnement de Netflix, les scénaristes travaillent désormais sur un pack global d’une saison de 10 épisodes (ou plus), et peuvent donc développer des intrigues à plus long terme. A cause du phénomène de binge-watching — les spectateurs qui enchaînent le visionnage de nombreux épisodes à la suite — inhérent aux plateformes de SVOD, les spectateurs auront plus tendance à rester devant leur écran à la fin d’un épisode. Et les séries pourront profiter de cette inertie pour faire, parfois, traîner les épisodes en longueur.
Reprenons l’exemple de 13 Reasons Why, clairement prisonnière de son format. D’une, car la série a dû « remplir » chaque épisode de la première saison avec une intrigue développée sur un personnage, mettant ainsi tous les protagonistes sur un pied d’égalité dans la responsabilité du suicide de Hannah, malgré les variations de gravité des faits commis.
De deux, la série a ensuite dû reproduire une commande de 13 épisodes pour sa deuxième saison, alors même qu’elle avait moins de péripéties à raconter. Conséquence : la saison 2 a trainé en longueur, inventant même des intrigues peu crédibles pour meubler (une nouvelle histoire d’amour entre Hannah et un autre camarade, par exemple).
L’épineux défi de la saison 2
L’expression « Netflix bloat » est employée depuis au moins 2016, alors que plusieurs médias américains ont commencé à critiquer le fait que certaines saisons étaient trop longues par rapport à ce qu’elles avaient à dire. Mais le phénomène est de plus en plus discuté, à mesure que les séries originales de Netflix sont contraintes de prouver qu’elles peuvent durer.
De Jessica Jones (mars 2018) à 13 Reasons Why (mai 2018) en passant par Luke Cage (juin 2018), il y a eu trois exemples en moins de six mois de séries dont la première saison a été un succès, mais dont le deuxième volet tombe à plat, enchaînant les longueurs, comme pour tester les limites de la patience des fans. Même Orange is the new black, dont la saison 6 a été mise en ligne fin juillet, souffre d’épisodes de « remplissage », qui donnent le sentiment d’avoir été ajoutés juste pour atteindre le quota des 13 épisodes requis.
Pour le New York Times, le ballonnement n’est pas uniquement lié à Netflix, il s’étend à de nombreuses séries qui prennent (trop?) leur temps, que ce soient The Walking Dead ou les interminables épisodes de Vinyl. Mais le quotidien américain estime toutefois que l’avènement des plateformes de SVOD joue un rôle dans la multiplication des « ventres mous » dans les séries. Au vu des réponses de Cindy Holland, Netflix a en tout cas conscience du problème, et semble décider à le pallier — par exemple, en décidant d’annuler de plus en plus de séries.
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