Il y a bientôt vingt ans, Yu Suzuki se lançait dans un pari osé : donner naissance à une saga pensée comme une succession d’épisodes susceptibles de nourrir une expérience en monde ouvert. De cette idée audacieuse — c’était il y a deux décennies, il faut le rappeler — est né Shenmue sur Dreamcast, un titre chargé d’en remontrer à Sony et Nintendo. Très ambitieux et ayant mis beaucoup d’argent sur la table, Sega pensait tenir le bon bout, mais l’échec de la console et les ventes finalement décevantes du jeu auront eu raison de l’avenir à court terme des aventures du prénommé Ryo Hazuki.
Mais Yu Suzuki était loin d’avoir dit son dernier mot. En juin 2015, à l’occasion de la conférence pré-E3 de Sony, le père de nombreuses pépites — Hang-On, Space Harrier, After Burner, Virtua Fighter — est monté sur scène pour annoncer Shenmue III et, par la même, clore une bonne fois pour toutes l’épopée de son héros. Financée en partie par une campagne Kickstarter record (plus de 6 millions de dollars récoltés, dont l’objectif de 2 millions en 24 heures), l’arlésienne va enfin être bouclée. En attendant, un opportunisme marketing a mis à disposition des portes-monnaie une compilation des deux premiers épisodes. Histoire de se mettre à jour.
Spoiler : Shenmue a vieilli
Avec Shenmue sur PlayStation 4, Xbox One et PC, Sega propose un véritable bond dans le passé. D’autant qu’il ne faut pas espérer un miracle : on parle ici d’un simple portage, non pas d’un vrai remake. En somme, attendez-vous à une prise en main datée du siècle dernier et à des graphismes qui font peine à voir malgré un petit coup de lissage et le passage — optionnel — au format 16:9 (sauf pour les cinématiques, toujours en 4:3). Les puristes auront même la possibilité de saigner encore plus des yeux avec un mode original. Les concernés seront d’ailleurs ravis d’apprendre que l’interface Dreamcast a été conservée — on retrouve dès lors le symbole des cartes mémoires typiques dans l’onglet sauvegarde (bah oui, il faut sauvegarder manuellement).
À bien des égards, Shenmue est un jeu d’une autre époque. Mais force est de reconnaître qu’on peut entrevoir la claque qu’il a dû mettre à tout le monde au moment de son lancement. À la fin des années 90 (GTA III n’était pas encore sorti), la notion de monde ouvert n’était pas un simple mot clef que l’on retrouve dans les communiqués de presse de tous les jeux d’aujourd’hui. Encore moins une obligation pour faire rêver. En sa qualité de précurseur du genre tel que nous le connaissons aujourd’hui (il n’est pas le seul non plus, attention), Shenmue place la liberté au centre de son gameplay. Quitte à plonger le joueur dans l’ennui, parfois.
Shenmue donne envie d’aller au Japon
Plus concrètement, le jeu nous place dans les guêtres de Ryo Hazuki, jeune étudiant qui assiste à l’assassinat de son père par un homme venu réclamer un objet précieux. De cette tragédie prend forme une quête de vengeance pour découvrir l’identité de l’assassin et comprendre de quoi il en retourne vraiment. Pour ce faire, le héros doit enquêter dans les environs afin de remonter jusqu’à la source du mal. Pour Yu Suzuki, ce tissu narratif donne naissance à une expérience qui prend le temps de se poser, où la notion du temps, justement, est palpable. Vous avez rendez-vous avec quelqu’un à 15h ? Il faudra donc attendre jusqu’à l’heure inscrite dans le carnet servant de pense-bête.
Ce qui revient à dire qu’il est parfois nécessaire de tuer le temps dans Shenmue, une aubaine dont les développeurs profitent pour agrémenter les pérégrinations de Ryo avec quelques activités annexes. Les collectionneurs pourront partir à la recherche de toutes les figurines gashapon. Les férus d’arcade auront l’opportunité de passer une poignée d’heures sur des bornes. D’aucuns se contenteront volontiers de flâner dans les quartiers japonais. Simplement, ils débuteront tous leur journée de la même façon : par un réveil qui sonne sans réellement savoir de quoi sera fait le futur proche. Un peu comme dans la vraie vie.
Réalisme x monde ouvert
Le réalisme de Shenmue ne s’arrête pas à l’horloge : vous allez devoir travailler, le climat change, les quartiers autorisant l’exploration se veulent le plus fidèles possible à ceux qui existent vraiment et les PNJ participent à un écosystème (exemple : les boutiques ferment à certaines heures). Tous ces éléments mis bout à bout donnent corps à un univers qui ne manque jamais de charme et donne envie d’aller au Japon. C’est d’ailleurs l’une des seules caractéristiques qui permet, en 2018, d’accepter toutes les limites de Shenmue — celles qui étaient pardonnables et acceptées en 1999. Vous allez certainement pester en y (re)jouant aujourd’hui, mais il y aura ce petit on ne sait quoi qui vous poussera à continuer malgré les soucis de caméra, les bugs visuels, la lourdeur de Ryu et les combats libres risibles.
Pour terminer, Shenmue peut se targuer d’être le père des QTE, des actions rapides à effectuer par le biais d’une touche apparaissant à l’écran. Ce concept, pas toujours très apprécié, a été repris à de multiples reprises dans d’autres sagas phares. Le jeu les popularise surtout dans les courses poursuites pour ne pas faire du joueur un simple spectateur, ainsi que dans certains combats.
Faut-il (re)jouer à Shenmue en 2018 ? Oui, si on est extrêmement indulgent — on pèse nos mots — et si on souhaite se (re)mettre à la page d’ici au lancement du numéro 3.
La compilation Shenmue I & II est disponible sur PlayStation 4, Xbox One et PC.
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