L’un des derniers films originaux mis en ligne par Netflix renouvelle le genre de la comédie romantique pour ado. Mais pas dans le bon sens.

Sierra est cachée sous une jeep, garée sur un parking désert. Devant le pare-choc, deux adolescents sont en train de flirter. Leurs visages se rapprochent de plus en plus. Jamey se penche vers Veronica pour l’embrasser, mais celle-ci lui demande de fermer les yeux.

Elle fait sortir Sierra de sa cachette et la pousse vers le garçon qui attend patiemment le baiser tant attendu. Sierra pose sa main sur ses yeux et l’embrasse. Lorsqu’il ouvre enfin les paupières, Veronica a repris sa place, comme si de rien n’était.

Une petite musique enjouée s’élève doucement Sierra s’éloigne de la scène au ralenti, un sourire niais collé sur les lèvres. Et l’espace d’un instant, on en vient à se demander si la scène crispante que l’on vient de voir était bien aussi douteuse que ça. Après tout, le film la présente comme l’apogée romantique d’une tension cloisonnée pendant plus d’une heure. MaisSierra Burgess Is a Loser vient pourtant bien de montrer une manipulation grossière — de surcroit très mal mise en scène —, une agression que l’on n’aurait aucun mal à qualifier de la sorte si le genre des protagonistes était inversé.

Capture de Sierra Burgess is a loser // Source : Netflix

Capture de Sierra Burgess is a loser

Source : Netflix

Sierra Burgess est vraiment une mauvaise personne.

Alors, quoi ? Le message est clair : parce que Jamey est un garçon, l’agression est minimisée. L’héroïne repart joyeuse, son prétendant floué n’en saura jamais rien. Cette scène, pourtant brève, incarne la problématique générale que soulève Sierra Burgess Is a Loser : vouloir secouer les codes de la comédie romantique, mais finir par empirer le genre.

Une agressivité déconcertante

Là où À tous les garçons que j’ai aimés (août 2018), mis en ligne par Netflix quelques semaines plus tôt, appliquait à la lettre les normes de la romance classique — de l’humour, des personnages simples, une héroïne attachante — Sierra Burgess fait preuve d’une agressivité déconcertante. Le long-métrage de Ian Samuels (écrit par Lindsey Beer) transpire les mauvais sentiments, derrière un romantisme de façade qui peine à cacher la vérité sur son héroïne : Sierra Burgess est vraiment une mauvaise personne.

Qu’essaie de dire le film de Netflix ? Que le physique ne compte pas vraiment, que l’affinité intellectuelle est plus forte, que l’attirance se joue des barrières superficielles que la société impose aux femmes et aux hommes. Mais le long-métrage n’y parvient pas. L’alchimie entre Shannon Purser (la culte Barb de Stranger Things) et Noah Centineo (le nouvel acteur-star de Netflix) est inexistante, tandis que l’amitié entre Veronica (Kristine Froseth) et Sierra, seule relation de fond un tant soit peu intéressante, est bâclée.

Un contre-pied raté

Sierra Burgess se perd dans son propos, en voulant prendre le contre-pied des comédies romantiques classiques, elle finit par renvoyer un étrange message. Si la vie vous a fait des crasses, alors vous avez le droit de vous venger. Mieux vaut mentir que de se montrer sous son vrai jour. C’est aux personnes les plus belles de faire le plus d’efforts. Et on en passe.

Le film aurait pu être brillant en assumant la face sombre de son héroïne, et non pas en la montrant simplement comme une victime « avec quelques failles ». On aurait apprécié une Sierra Burgess en vrai monstre, rongée par la violence de ne pas correspondre aux canons injustes du monde, et ayant pleine conscience de la gravité de ses actes. Ici, on ne voit qu’une adolescente prétentieuse et triste, un peu mal dans sa peau mais au fond persuadée qu’elle mérite l’amour.

Capture de Sierra Burgess is a loser // Source : YouTube/Netflix

Capture de Sierra Burgess is a loser

Source : YouTube/Netflix

Le constat est encore plus amer que Sierra Burgess parvient à montrer avec justesse les codes de la séduction de la fin des années 2010, l’excitation des premiers échanges par message, l’attente devant son téléphone, les nombreuses hésitations et réécritures, la naissance de sentiments amoureux qui émanent du virtuel et se concrétisent dans le réel. Une finesse que l’on ne retrouve malheureusement à aucun autre endroit du film.

Sierra Burgess is a Loser, mis en ligne le 7 septembre 2018 sur Netflix.

Source : Montage Numerama

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