« Tout qu’il faut pour que cette ville écoute enfin les femmes, c’est la bonne voix : la voix d’un homme ! » s’exclame Princess Carolyn. L’épisode 4, BoJack féministe, porte évidemment mal son nom. BoJack n’est pas féministe, mais la « barre a été mise si bas », se désole Diane, qu’il suffit d’une phrase banale pour qu’un homme célèbre soit mis en avant comme une grande figure de l’égalité femmes-hommes. « Ce n’est pas bien, d’étrangler sa femme », lance BoJack sur un plateau de télévision. Et soudain le public, 100% féminin, le gratifie d’une standing ovation.
Les ficelles sont grosses, mais cela fait du bien. La cinquième saison de BoJack Horseman, mise en ligne le 14 septembre 2018, a été écrite avant l’affaire Weinstein, mais elle en porte tous les marqueurs. « C’est une discussion que notre société devait avoir depuis bien longtemps, c’était palpable dans l’air », a récemment déclaré son créateur Raphael Bob-Waksberg à Variety. « Ma série est une exploration et une critique de la masculinité toxique ».
Mise en abîme de sa série
Dans cette nouvelle saison, BoJack n’est plus seulement BoJack ; il incarne Philbert, un cheval détective bourru, cynique et alcoolique, héros d’une nouvelle série télévisée promise à un joli succès. La ressemblance est volontairement peu subtile. L’alter ego de BoJack ne sert pas seulement de miroir grossissant les failles de notre héros : la mise en abîme est un véritable cheval de Troie pour Raphael Bob-Waksberg, qui l’utilise pour parler indirectement de sa propre série.
« Vous n’êtes pas censés aimer Philbert, ou être d’accord avec ce qu’il fait », s’exclame ainsi BoJack au cours du quatrième épisode. « C’est une série. Ça ne rend rien glamour. Mais peut-être… que ça normalise certaines choses… » En quelques phrases, le cheval-star résume l’intention de ses créateurs : montrer qu’ils ont conscience de leur propre message. Où l’on réalise au passage que l’équilibre entre positionnement politique assumé et discours moralisateur est beaucoup plus difficile à trouver qu’il n’y paraît.
Bob-Waksberg assume ses nouvelles responsabilités avec beaucoup de cran, mais aussi beaucoup de souffrance. En créant un personnage toxique, auto-destructeur mais juste, voire touchant, il a pris l’inévitable risque de l’embellir, et donc de minimiser en partie son comportement. Mais en luttant pour garder la main sur son personnage, il est aujourd’hui contraint de lâcher une partie du principe qui régit tacitement d’art, que chaque spectateur peut être en mesure de s’approprier comme il le souhaite.
Cette réflexion provoque un paradoxe qui a des conséquences directes sur la manière dont la série se présente aux spectateurs : les expressions sont mesurées, les blagues sont politiques, l’humour est fin mais verrouillé. Ce qui constituait une seule partie de l’ADN de BoJack Horseman à ses début est aujourd’hui quasiment la seule ligne directrice de ce cinquième volet. Si on ne peut le regretter, il est impossible de ne pas noter ce changement de paradigme.
Des épisodes-concepts brillants
Heureusement, BoJack Horseman reste à la hauteur de sa réputation et fournit, comme désormais chaque année, plusieurs épisodes-concepts à couper le souffle. Après Fish Out Of Water, l’épisode muet en 2016 et Ruthie, déchirant cri de solitude de 2017, c’est au tour de Free Churro de nous prendre par les tripes et nous secouer comme des poupées de chiffon. Il faut attendre quelques minutes pour comprendre que l’éloge funèbre de BoJack, devant le cercueil de sa mère, durera vingt minutes, sans coupe, et sans autre décor. La performance n’est pas larmoyante ; le ton de la voix de Will Arnett est un parfait mélange d’amertume et de déception. BoJack ne pleure pas une mère qui l’a toujours rejeté, mais son désœuvrement est palpable.
Ce sixième épisode est le seul qui fasse un lien aussi clair avec la saison précédente. En effet, BoJack Horseman n’a probablement jamais été autant ancrée dans le présent qu’au cours de ce cinquième volet — parfois un peu trop. Ce que la série gagne en propos politique, elle perd inévitablement en poésie. On en vient à regretter, par moment, les égarements spatio-temporels de quatrième saison, les engueulades familiales, et surtout l’amour de BoJack pour sa demi-sœur Hollyhock, tristement absente.
Restent des moments de respirations salutaires, où Bob-Waksberg et ses co-scénaristes se jouent des structures et des formes pour notre plus grand plaisir : un épisode 7 qui modifie l’apparence de tous les protagonistes (ou BoJack devient Bobo le zèbre), ou encore une saynète absurde dans le deuxième épisode, qui reprend les codes du théâtre de boulevard en abusant du comique de situation et ses gags grotesques. À la fin de chaque épisode, un générique modifié selon l’humeur de l’épisode (version rock, ballade, religieux) vient nous rappeler que l’on aime BoJack Horseman, qui continue d’être l’une des productions les plus importantes du paysage des séries actuelles.
BoJack Horseman, saison 5, mise en ligne le 14 septembre 2018 sur Netflix.
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