Depuis quelques années, ce ne sont pas les mariages instagrammables comme celui de la blogueuse et styliste Chiara Ferragni et le rappeur Fedez qui manquent. Moins connues, mais pourtant aussi en essor, il existe aussi désormais des funérailles instagrammables.
#funeralflowers : les bouquets de funérailles, sauce Instagram
Sur Instagram, le hashtag #funeral compte à lui seul plus de 550 000 occurrences. Le mot-clé #funeralflowers, lui, donne à voir un peu plus de 60 000 gerbes de fleurs. Beaucoup, parmi celles que l’on voit, correspondent aux dernières tendances : les bouquets sont réalisés avec des plantes grasses, des cactus, des fougères. Tout est épuré, assorti, doux, dans des teintes vert pomme, rose pale et abricot mises en valeur par des filtres. Les mises en scène elles, sont étudiées pour coller à l’esthétique du réseau social.
À première vue, rien, mis à part les hashtags utilisés, ne distingue ces photos de bouquets d’enterrements de celles de bouquets de mariage. D’ailleurs, les commentaires qui figurent par dizaines sous ces compositions funestes sont toujours positifs. Les abonnés « likent », les trouvent « beaux », « magnifiques », « si mignons ». Ils mettent des smileys les yeux en cœur, ou taguent dessous une amie, indiquant qu’ils voudraient le même.
Pour les fleuristes, il faut rester tendance en toutes circonstances
À côté de ces bouquets épurés, on trouve une seconde tendance majeure : celle des objets, animaux ou messages réalisés en fleurs. Là, ce n’est plus l’esthétique (faussement) minimaliste d’Instagram qui prime, mais son autre versant : celui de la surrenchère. On dédie à sa mère décédée un « signe infini » tendance de fleurs blanches, à son enfant un chat ou un bichon végétal. Plus c’est imposant et magistral, et plus la création a de chances de finir sur une photo Instagram — et c’est sans doute pour cela que les marques comme ici dwestern flowers font leur promotion directement sur la plateforme, n’hésitant pas à user et abuser de hashtags.
Ces marques tentent de proposer les derniers produits à la mode… Quitte à uniformiser les bouquets, et à proposer le même que tous les autres fleuristes stars d’Instagram. Contactées, aucune n’a donné suite à nos sollicitations sur le business que cela pouvait représenter.
Cercueils design et plaques funéraires tropicales
Si les fleurs sont sur-représentées sur Instagram, des entreprises tentent aussi de rendre tendance d’autres objets liés aux funérailles. Certaines inventent des cercueils design d’inspiration scandinave assortis au dernier catalogue Ikea, d’autres proposent de les personnaliser et d’en faire de véritables objets d’art, que les proches du défunt n’hésitent parfois pas à dévoiler ensuite sur les réseaux sociaux.
Iqoniq, une entreprise française lancée début octobre, essaye elle de dépoussiérer les plaques funéraires. Tiffany et Yoann Sarrazin, les frère et sœur à l’origine du projet, en ont inventé qui n’ont plus grand chose à voir avec les marbres froids d’antan.
Sur les modèles présentés sur le site, on peut ainsi voir une femme âgée en photo entourée de motifs tropicaux aux teintes du moment. En dessous, un autre modèle avec une citation, accompagnée d’une photo inspirante qu’on aurait également pu trouver sur Instagram.
Dépoussiérer le marché du funéraire
Au téléphone, Tiffany Sarrazin explique à Numerama : « Mon frère et moi avons tous deux la trentaine. On avait envie, à notre échelle, de révolutionner un peu ce milieu. On a voulu l’ouvrir à tous, en proposant des choses plus design, des mises en page un peu tendance. »
Leur inspiration, c’est sur Instagram, donc, et sur Etsy, une plateforme de vente où s’échangent les derniers objets de déco ou accessoires à la mode, qu’ils l’ont puisée. Dessus, ils ont repéré les couleurs et motifs à la mode, les ont adapté au format plaque, histoire de proposer ce qu’eux auraient voulu pouvoir acheter pour leurs proches et qu’ils n’auraient pu trouver dans les boutiques de pompes funèbres « austères ».
Tanguy Châtel, sociologue et conférencier, nous raconte au téléphone que ces tendances s’inscrivent dans un mouvement plus global, qu’est celui de l’introduction des nouvelles technologies dans le milieu du funéraire. « Ce milieu évolue avec son temps, détaille-t-il, et les nouveaux modes de communication ont un impact sur lui. Envoyer ses condoléances par mail ou sms, il y a quelques années, c’eut été inconcevable. »
« Le numérique s’est invité jusque dans les cérémonies »
« Le numérique s’est invité jusque dans les cérémonies. Il y a des gens qui font des selfies lors d’enterrements [il existe même un Tumblr dédié, Selfies at funerals], et on trouve des QR code sur des tombes, que l’on doit scanner avec son téléphone pour arriver sur des pages d’hommages », raconte le spécialiste.
Pour lui, tout ceci contribue à épouser la nouvelle image de la mort, moins dramatisée, moins taboue qu’il y a quelques années. « On insuffle de la vie dans les funérailles, comme pour contrer un peu l’austérité qui a longtemps caractérisé les enterrements », dit-il.
« Il faut que cela reste un peu traditionnel »
Malgré ces évolutions, le milieu des funérailles n’a pas été complètement chamboulé. Les obsèques restent largement organisées autour du très traditionnel triptyque « cercueil, fleurs, plaques funéraires », et « le temps des écrans numériques qui remplaceraient les plaques ou celui des hologrammes à l’effigie des morts qui débarqueraient en pleine cérémonie » n’est pas encore arrivé, remarque Tanguy Châtel.
« Si la personnalisation et l’esthétique ont gagné du terrain au point de rendre des funérailles instagrammables, les tendances dans ce milieu évoluent toujours moins vite que dans le reste de la société. Il reste une volonté de continuité, de sérénité dans la manière d’envisager des obsèques. Il faut que cela reste un peu traditionnel. »
Tiffany Sarrazin a aussi remarqué cette dichotomie. « C’est un secteur compliqué, on traite avec des gens en deuil. Personne n’a envie de le bousculer complètement, tout simplement parce que nous n’avons pas envie de bousculer les proches dans un tel moment », raconte l’entrepreneuse à ce sujet. Instagrammable, oui, mais pas à n’importe quel prix.
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