Cinq ans après GTA V, l’un des jeux vidéo les plus vendus de tous les temps, Rockstar Games a une nouvelle poule aux œufs d’or avec Red Dead Redemption 2 — pour le moment disponible sur PlayStation 4 et Xbox One. Ces derniers mois, l’actualité vidéoludique s’est animée à chaque apparition de ce titre particulièrement attendu : la moindre vidéo ou petite image faisait grimper l’engouement d’un cran. Rarement un titre aura rassemblé autant de fantasmes : ainsi, Red Dead Redemption 2 serait l’aboutissement de cette génération.
L’heure n’est maintenant plus au rêve marketing, mais à la réalité. Que reste-t-il de l’immense campagne savamment orchestrée par un studio qui chérit sa discrétion ? Un score vertigineux sur Metacritic — 97 sur 100 –, sans oublier les éloges d’une presse mondiale ô combien conquise, frisant parfois l’absurde. Après un peu moins de 40 heures passées sur Red Dead Redemption 2, on aura de notre côté compris une chose : cette suite est autant une leçon… qu’une grande déception.
Un travail de reconstitution inouï
Si le HDR est ainsi fait pour sublimer les graphismes d’un jeu, dans le cas de Red Redemption 2, c’est raté. On vous explique pourquoi dans un article dédié.
Pas besoin de jouer très longtemps à Red Dead Redemption 2 avant de tomber sous son charme. Dès les premières minutes, on sent que Rockstar Games a abattu un travail monstrueux pour donner vie à des environnements d’un réalisme sidérant. Il faut regarder dans le détail pour se rendre compte à quel point tout a été fait pour donner naissance à un monde vivant. Là, des traces de pas sur des surfaces boueuses, ici des feuilles qui laissent tomber de la neige quand on les frôle… D’une beauté sans commune mesure pour un théâtre de jeu aussi gigantesque, Red Dead Redemption 2 livre un spectacle visuel éblouissant.
C’est donc peu dire que Red Dead Redemption 2 invite très souvent à la contemplation. D’autant que les déserts du premier opus ont laissé place à des forêts remplies d’arbres et à des montages qui s’étendent à perte de vue, en passant par des plaines aux couleurs chaudes qui respirent la liberté.
Il faut voir aussi avec quelle précision Rockstar sait manier les effets de lumière pour appuyer toujours plus l’ambiance. Quand les rayons du soleil passent à travers les troncs et les feuilles, l’aveuglement n’en est que plus palpable. Une reconstitution méthodique à laquelle s’ajoutent de multiples artifices, qui rendent les décors toujours plus crédibles (brume, particules). Quant à la direction artistique, elle invite à l’extase malgré un cycle jour/nuit étrange et des changements climatiques trop brutaux pour être vrais.
La direction artistique invite à l’extase
Le plus beau des mondes ouverts
Red Dead Redemption 2 est clairement, aujourd’hui, le plus beau jeu articulé autour d’un monde ouvert, un genre qui impose souvent des limites graphiques et techniques pour tenir ses promesses. Surtout, il accomplit cet exploit avec une solidité presque sans faille, quand on connaît le passif des jeux Rockstar. S’il y a encore quelques bugs qui peuvent piquer les yeux, les progrès sont immenses : sur Xbox One X, le jeu tourne en 4K native avec un framerate qui tient la route. Tout juste est-il possible de constater quelques ralentissements dans certaines villes.
Il y a aussi matière à être admiratif à l’écoute de la bande-son de Red Dead Redemption 2, ce soin avec lequel elle participe à l’immersion dans une époque très ancienne. En plus des envolées musicales que l’on peut attendre d’une œuvre du type western, nos oreilles peuvent se délecter de multiples bruitages naturels. On apprécie tout particulièrement le bourdonnement des insectes, qui plus est avec une installation home cinéma digne de ce nom.
On peut lire un peu partout que Red Dead Redemption 2 s’apparente à une leçon de monde ouvert. On ne sera qu’à moitié d’accord. Pour livrer une expérience aussi jolie, les développeurs ont consenti à des sacrifices : l’architecture de la carte évite de multiplier les intérieurs (grottes, cavernes) et certaines bâtisses sont inaccessibles. En prime, on ne croise pas tellement de personnages durant nos balades et les zones urbaines sont loin d’être noires de monde. En ce qui concerne les rencontres soi-disant « aléatoires » pour donner vie à l’ensemble, elles ne sont qu’illusion, puisque les scripts restent assez visibles. On cherche peut-être la petite bête… mais cette exigence paraît indispensable pour juger un jeu noté 97/100.
Les douze salopards
Rockstar a érigé tout, ou partie de sa réputation, sur sa capacité à monter des castings de personnages forts en gueule. Red Dead Redemption 2 pouvait difficilement lui offrir un meilleur écrin pour mettre une nouvelle fois en évidence la finesse de sa plume et la qualité au-dessus du lot de son écriture. On y suit effectivement une bande de péquenauds au grand cœur, qui s’adaptent difficilement à la Révolution Industrielle, et les regards accusateurs des autres, ceux qui l’ont déjà épousée. « Nous sommes des voleurs et le monde ne veut plus de nous… » clamera l’un d’entre eux. Plus tard, on entendra aussi : « Toute ma vie, j’ai lutté contre le changement. »
Une forme d’escroquerie dans l’écriture
Ces hors-la-lois sont emmenés par un chef charismatique qui aimerait vivre un dernier grand frisson avant de se faire la malle une bonne fois pour toutes. De cette existence à la marge naît toute une ribambelle de portraits brossés qui ont tendance à plus porter l’histoire que l’intrigue principale, qui ne décolle que par intermittence. Quand les frictions commencent à naître, quand la réalité échappe à leur contrôle ou quand ils doivent inéluctablement accepter que leur place appartient au passé, les antihéros de Red Dead Redemption 2 se livrent à visage découvert. Ils laissent apparaître leurs failles, questionnent leurs principes et doivent agir en conséquence. Difficile de ne pas avoir de l’empathie pour ces hommes (beaucoup) et femmes (quasiment pas) à qui il ne reste que l’honneur et la loyauté… Les souvenirs et le romantisme de leurs coups passés.
Mais toujours est-il que l’on ne peut s’empêcher de percevoir une forme d’escroquerie dans l’écriture : le rythme général est tellement lent qu’il permet d’installer cette galerie de personnages auxquels on s’attache par obligation — les pires raclures y compris. Au milieu de l’ennui pointe quand même une poignée de fulgurances où l’on reconnaît le génie de Rockstar — on repense encore au braquage de train époustouflant.
Sans doute ce génie s’est-il un peu évaporé au moment de conclure l’épopée, les dernières heures étant hors-propos.
Comme Red Dead Redemption 2 est un prologue, il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son prédécesseur (RDR1) pour l’apprécier. Même si l’on découvrira qu’Arthur Morgan, héros que l’on incarne, est intimement lié à John Marston — protagoniste principal du premier épisode.
Une plaie à contrôler
Rockstar n’est pas connu pour la souplesse de ses prises en main. On a naïvement cru qu’il mettrait un peu d’eau dans son vin avec Red Dead Redemption 2. Le studio nous sert finalement une soupe refroidie qui laisse un goût amer en bouche. Dans sa volonté de bâtir un monde le plus crédible possible, il déconstruit toute notion de plaisir qui découlerait d’un gameplay réaliste et accessible. Ce paradoxe aboutit à des aberrations. Où, dans une même séquence, on vous demandera d’abord découper chaque action nécessaire au port d’une arme… pour ensuite vous demander de canarder bêtement des ennemis qui se ressemblent tous. Sans défi, ni saveur.
Dès lors, Arthur Morgan devient vite une plaie à contrôler. D’une raideur sans nom, le cowboy n’aime pas trop les intérieurs (il s’y cogne beaucoup), déteste courir et aime prendre son temps quand il faut ramasser ou prendre un objet (avec parfois un retard dans l’animation). Le fait est que Rockstar, dans son désir de renforcer l’immersion, a voulu multiplier les actions contextuelles. Mais celles-ci assomment le joueur, sous prétexte de réalisme éreintant. En résulte un gameplay qui a oublié de cocher la case fun et a tendance à agacer plus qu’il ne divertit. Et comme il n’évolue pas, la souffrance dure de la première à la dernière seconde.
Un gameplay qui a oublié de cocher la case fun et agace plus qu’il ne divertit
Pour couronner le tout, l’ergonomie générale de Red Dead Redemption 2 est un enfer à assimiler — on a toujours du mal à comprendre pourquoi il existe deux touches différentes pour fouiller un corps ou pour prendre un objet. On ne saisit pas non plus pourquoi Arthur a parfois une mémoire de poisson rouge (si vous voulez dégainer votre fusil après avoir fait les poches d’un cadavre, veillez à ne pas le rengainer au préalable…).
Et que dire des voyages rapides, qui autorisent habituellement à rallier un point de la carte en vue de gagner du temps ? Ici, comme ils ne sont ni gratuits ni pratiques, on préférera miser sur le trajet classique à dos de cheval. Tant pis si c’est parfois très, très long malgré la vue agréable du paysage.
Il y a en outre une forme de routine qui s’installe dans les dizaines et les dizaines de missions que l’on doit remplir pour boucler la longue histoire : d’abord, une mise en place brillante (née de la plume de scénaristes doués), puis une phase de gunfight ridicule, (imaginée par des développeurs qui semblent un peu dépassés par leurs ambitions). Entre la balistique aléatoire, le feeling des armes incompréhensible en fonction des situations, le système de couverture archaïque et la pauvreté de l’intelligence artificielle, les nombreuses séquences d’action affichent vite des limites. Pire : elles s’éternisent.
Des mécaniques expédiées
Dans cet océan de mécaniques appartenant au passé, Rockstar Games a bien tenté de pimenter l’expérience avec quelques bonnes idées. Seulement, elles ne vont jamais au bout de leur concept. Toujours dans ce souci de réalisme exacerbé, il faudra veiller à se raser, se laver, s’habiller correctement (en se référant à la température), manger, dormir, prendre soin de son cheval. Ou encore faire évoluer son camp pour rendre ses compères plus heureux, et pouvoir se réapprovisionner entre deux objectifs.
Toutefois, ces petites contrariétés se désamorcent d’elle-même au fur et à mesure que l’on se prend de passion pour le jeu. Il est vrai que votre noyau de vie baissera plus vite et que vous perdrez du poids si vous ne mangez pas — mais vous ne mourrez jamais de faim. En revanche, le nettoyage des armes est obligatoire pour ne pas perdre en puissance de feu lors des affrontements.
« Contemplatif » versus « fun » ?
Rockstar Games a pensé à intégrer un système de primes pour dissuader les bandits de faire n’importe quoi… mais encore faut-il que l’on croise des personnages. On ne cachera pas notre étonnement de pouvoir se pavaner tranquillement dans une région où l’on est pourtant recherché mort ou vif… On mettra cela sur le compte d’un manque d’effectif au sein des forces de l’ordre.
Tous ces petits détails ne participent finalement qu’à inscrire encore plus les pérégrinations d’Arthur Morgan dans un rythme lent. Très, très lent. Red Dead Redemption 2 appartient à une catégorie de jeux qui plaisent plus aux joueurs qui aiment prendre leur temps — et dont certains seront tentés de balayer les doutes des autres sous prétexte qu’ils n’aimeraient que les jeux « bourrins »… Une chose est sûre : Rockstar a gagné son pari en proposant une œuvre loin, très loin des autres. Pour le meilleur et pour le plus décevant.
Red Dead Redemption 2 est disponible sur PlayStation 4 et Xbox One.
Le verdict
Red Dead Redemption 2
Voir la ficheOn a aimé
- Une reconstitution aux petits oignons
- D'une beauté éblouissante
- Des personnages attachants
On a moins aimé
- Un gameplay daté
- Une ergonomie horrible
- L'histoire peine à décoller
Difficile de poser un verdict sur ce Red Dead Redemption 2, qui éblouit par sa réalisation, mais agace par son gameplay lent d’un autre âge, accouchant de mécaniques bâclées et d’une ergonomie infernale. N’attribuant pas de note aux tests, nous laisserons parler notre emoji avec un sourire en coin, mi-enjoué mi-déçu.
Il ne nous reste que le plaisir de suivre cette bande de malfrats (masculins) à la personnalité bien trempée, écrits par des scénaristes (masculins) qui savent tenir une plume, jusqu’aux confins d’un monde en plein bouleversement.
Rockstar Games est peut-être à l’image de ses héros : tranquillement installé dans sa tour d’ivoire, refuse-t-il d’embrasser la révolution qui s’installe jour après jour ? Tôt ou tard, l’immunité finira par tomber.
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