YouTube a suspendu pendant quelques heures la chaîne d’un vidéaste spécialisé dans les jeux vidéo à cause de plusieurs vidéos de Red Dead Redemption 2 dans laquelle son avatar bat un personnage de femme féministe. La suspension, qui a eu lieu le 7 novembre, a pris fin dès le lendemain. Les vidéos en question sont à nouveau disponibles, derrière un simple avertissement : « Cette vidéo peut sembler inappropriée pour certains utilisateurs.»
Que s’est-il passé pour qu’une chaîne à 500 000 abonnés soit suspendue ? Les vidéos provocatrices du youtubeur peuvent-elles être considérées comme des appels à la haine ? Pourquoi YouTube signale-t-il des vidéos anti-féministes mais pas racistes ? Voici les faits.
Des milliers de commentaires anti-féministes
Le 28 octobre 2018, le youtubeur Shirrako (500 000 abonnés) publie sur sa chaîne dédiée au gaming une vidéo intitulée « foutre une raclée à une féministe agaçante ». On y voit le protagoniste principal du jeu Red Dead Redemption 2 (sorti le 26 octobre) donner un coup de poing à un personnage féministe — une Suffragette en campagne pour le droit de vote des femmes. En quelques jours, la courte vidéo atteint un million de vues. Sous ce clip, les commentaires pleuvent : « J’aimerais que ça arrive plus dans la vraie vie », « les faibles devraient avoir peur des forts », « j’ai joui »… De nombreux internautes se gaussent de ce qu’ils considèrent être une hilarante provocation.
Trois jours plus tard, le youtubeur récidive avec une vidéo intitulée « une féministe agaçante donnée en pâture à un alligator ». La cible est toujours cette même Suffragette. Cette fois, Shirrako prend soin de soigner sa mise en scène virtuelle : il prend le temps de mettre une cagoule, la frappe, la course, l’attrape avec un lasso, l’embarque sur son cheval, la jette devant un alligator qui la dévore, la frappe à nouveau, puis lui lance un bâton de dynamite.
Les commentaires abondent à nouveau : « Cette vidéo m’a donné un orgasme », « le féminisme est un cancer », « je comprends pourquoi ils appelaient ça ‘le bon vieux temps‘.» Ces deux vidéos ont généré à elles seules des millions de vues et des milliers de commentaires anti-féministes, dont des dizaines particulièrement violents, non pas en rapport avec le jeu mais bien avec les femmes féministes.
La chaîne réinstaurée avec toutes les vidéos
Après un premier article publié par le site américain Motherboard (« Des joueurs de RDR2 adorent attaquer et tuer des féministes dans le jeu ») ainsi que de nombreux signalements d’internautes, YouTube a réagi. La chaîne de Shirrako a été complètement suspendue pendant quelques heures, le 7 novembre 2018. Mais après l’indignation d’autres internautes, complétée par la critique ouverte du youtubeur très suivi Daniel Keem (4,4 millions d’abonnés), la plateforme a finalement réinstauré la chaîne de Shirrako.
« Nous avons ré-évalué les vidéos et décidé qu’elles devraient seulement présenter une limite d’âge, car elles ne violent pas nos règles de communauté », a répondu Ryan Wyatt, chef de la division gaming de YouTube. Contacté par Motherboard, Shirrako a expliqué qu’il avait reçu plusieurs mails d’avertissement de YouTube avant la suspension, comme le veut sa politique des « 3 chances avant suppression ».
https://twitter.com/Fwiz/status/1060299241317232640
D’autres vidéos anti-féministes et racistes publiées
Depuis, les 6 vidéos de Shirrako qui mettent en scène une attaque contre un personnage féministe sont précédées d’un avertissement de YouTube, que les internautes peuvent outrepasser en un clic. Les commentaires, eux, sont encore accessibles. De nombreux internautes sont d’ailleurs venus publier des messages anti-féministes depuis l’annonce de la « censure » de la chaîne du youtubeur, pour lui manifester leur soutien.
Encore plus embêtant pour YouTube : Shirrako continue de poster de nombreuses vidéos « provocantes », aux titres volontairement choquants : « Déporter un Mexicain », « rejoindre le Ku Klux Klan », « battre à mort un Chinois », « nourrir les cochons avec une féministe »… Ces vidéos, qui portent pourtant des titres racistes, ne sont précédées d’aucun avertissement de YouTube.
La réponse par l’absurde
Red Dead Redemption 2 (RDR2) est un jeu vidéo en monde ouvert qui donne une grande liberté aux joueurs : il est possible d’explorer de nombreux endroits et d’interagir avec tous les personnages gérés par le jeu. Comme n’ont pas manqué de le faire remarquer certains gamers, RDR2 permet de se battre, maltraiter et tuer tous les personnages, à l’exception des enfants.
Shirrako, ainsi que nombre de ses défenseurs, se rangent ainsi derrière deux arguments simplistes. D’une, il ne s’agirait « que d’un jeu ». « M’excuser pour quoi ? Pour avoir frappé un personnage en 3D ? Je ne pensais même pas qu’il était possible de s’excuser pour une chose pareille », a commenté Shirrako sur Twitter, visiblement imperméable aux critiques sur l’impact de ses vidéos dans le réel.
De deux, vu que Red Dead permettrait de taper « n’importe qui » (homme comme femme), l’attaque sur un personnage précis ne serait pas préjudiciable. Cette réponse dévie pourtant de la critique initiale : ce n’est pas le jeu qui est ici mis en cause par YouTube et ses détracteur, mais bien les vidéos en elles-mêmes, qui ont été mises en scène, éditorialisées et publiées spécifiquement avec un propos anti-féministe — ou, pour les plus récentes, raciste. Le jeu n’est pas en cause — le joueur l’est.
YouTube ne sait pas toujours sur quel pied danser
Les discours de haine que ces vidéos ont provoqués et nourris, notamment dans les commentaires, posent ainsi une question sur le rôle de YouTube dans leur modération. S’agit-il d’appels à la haine ? (un acte punit par la loi) Serait-ce seulement des « contenus inappropriés pour certains utilisateurs » ? Auquel cas, pourquoi YouTube n’a-t-il pas ajouté ces cartons d’avertissements aux vidéos aux titres racistes de la chaîne ?
Ce nouveau cas montre combien la plateforme vidéo, filiale de Google, a toujours du mal à adopter une position claire sur des sujets pourtant cruciaux. Le géant de la tech navigue à vue, au gré du vent de l’indignation de chacun des deux « camps », censurant certains contenus mais n’assumant pas pleinement sa responsabilité de réguler.
En attendant, Shirrako multiplie les vidéos aux titres provocateurs, sous les acclamations de sa communauté.
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