En 2001, Renée Zellweger enfilait des culottes gainantes sur grand écran, sans se douter qu’elle allait lancer une mode beaucoup plus néfaste : celle de la femme faussement empotée qui se croit indigne de l’amour d’un homme.
Dix-sept ans après le succès de Bridget Jones, Plan Coeur est arrivée ce 7 décembre 2018 sur les écrans des abonnés Netflix. Et c’est un peu comme si on n’avait jamais quitté cette prodigieuse époque, où la comédie romantique se résumait à une obsession féminine observée avec bienveillance par un homme touché par l’excentricité de sa promise.
Vulgaire au lieu d’être provoc’
En huit épisodes de 26 minutes, la deuxième série française de Netflix (après Marseille) portée par la scénariste et réalisatrice Noémie Saglio (Connasse), développe une histoire d’amour entre Elsa (Zita Hanrot) et Jules (Marc Ruchmann), un travailleur du sexe dont les deux meilleures amies d’Elsa ont loué en secret les services sans qu’elle ne soit au courant. On dit travailleur du sexe, mais les personnages n’ont pas cette délicatesse. Confondant audace et vulgarité, les scénaristes ont préféré donner du « pute » à tous les étages. Cette robe ne fait-elle pas « un peu pute » ? Jules est-il vraiment « un pute » ? Ou plutôt un « pute plus plus » ?
Ce vocabulaire volontairement trash est d’autant plus agaçant qu’il détonne avec le reste de la série, qui multiplie les intrigues convenues. Elsa aime Jules qui aime Elsa mais Jules lui ment. Maxime n’est plus avec Elsa mais depuis qu’Elsa aime Jules, Maxime aime de nouveau Elsa. Antoine n’aime pas trop que Matthieu sorte avec sa sœur Charlotte, mais comme Antoine aime bien Matthieu, il lui « pardonne » (lui pardonner quoi, au juste ?).
Alors qu’au même moment, Fanny Herrero et ses scénaristes parviennent à donner tant de vie aux personnages de leur série Dix Pour Cent (France 2), un tel manque de courage est forcément troublant, surtout pour une série créée pour une plateforme américaine capable de diffuser la très sombre House of Cards ou la bouleversante Orange is the new black.
Les défauts de Sex and the City sans les qualités
Les synopsis les plus courts sont parfois les meilleurs — combien de fois aura-t-on conseillé à une connaissance de regarder une série où « il n’y a pas trop d’histoire, mais tu verras c’est vraiment bien je te jure » ? — mais ici, le scénario est si classique qu’il semble s’écrire tout seul, comme généré par un algorithme qu’on aurait nourri aux remakes de Miss Détective.
Syndrome Bridget Jones oblige, l’héroïne sera évidement mal apprêtée. Elle aura de grosses lunettes (et deviendra immédiatement magnifique quand on lui enlève). Elle fera des taches de graisse sur son beau pull en mangeant. Au-delà de la redondance de ces clichés éculés, le souci est plus profond : on nous demande encore, en 2018, de sourire en découvrant qu’une femme est un être humain comme les autres.
Plan Cœur a pris les défauts de sa lointaine ancêtre Sex and the City (sortie en 1998, rappelons-le) en délaissant ce qui faisait son charme : la libération de la parole des femmes, l’amitié comme vecteur d’émancipation, la critique affirmée de la gent masculine pourtant si convoitée. À l’inverse, la série de Netflix est uniquement dans la confrontation féminine : les héroïnes se déchirent, tandis que les hommes se tapent dans le dos, boivent des coups et se pardonnent tout — le personnage de Maxime, pourtant infect, n’est ainsi jamais critiqué par ses pairs.
On aurait aimé, en 2018, arrêter de penser au test de Bechdel. Ce petit questionnaire inventé par une autrice féministe permet, en posant trois questions simples, d’observer la manière dont sont traités les personnages féminins dans une fiction. Or malgré le postulat de Plan Cœur (trois femmes fortes soudées), trouver une seule scène dans laquelle plusieurs femmes parlent entre elles, d’un sujet sans rapport avec un homme, relève du défi.
À l’heure où se multiplient les discours féministes et les séries qui osent se construire en-dehors des carcans patriarcaux (I Love Dick, Killing Eve), une telle aversion à s’émanciper des stéréotypes ne peut être vu que comme un refus de s’intéresser aux mouvements de son époque. Seule Charlotte finira par monter un projet professionnel à elle — mais elle sera évidemment poussée par son mec, dont elle a besoin pour prendre confiance en elle.
Chacune regarde le nombril de l’autre
La série de Netflix est comme figée, hors du temps, dans un petit monde (parisien) où chacune regarde le nombril de l’autre : Charlotte et Emilie vivent à travers Elsa qui s’épanouit à travers Jules, parfois à travers Maxime, parfois les deux.
Alors oui, on se laisse avoir, parfois. Peut-être est-on portés par l’esprit de Noël, ou bien le fait qu’une série française donne enfin la parole à des femmes — avec des héroïnes de couleur, même si l’interprète d’Elsa préférerait qu’on ne le mentionne pas. On apprécie notamment la dynamique entre Joséphine Drai et Syrus Shahidi, qui héritent de rares scènes de vie sincères, ou lorsque Sabrina Ouazani montre son potentiel comique dans les quiproquos et la retenue (et non en crachant dans le verre de champagne d’une autre femme).
Puis vient le moment où Elsa réalise qu’elle s’est laissée embarquer dans une histoire sans queue ni tête : « J’avais tellement peur de pas te plaire que je n’ai pas osé te poser de questions », lâche-t-elle à Jules, mais aussi un peu à nous, comme pour s’excuser de nous avoir forcés à suivre une histoire d’amour qui n’intéressait finalement pas grand monde. Sa prise de conscience s’arrêtera là. Pour la remise en question des mécanismes sociétaux qui l’ont poussée à se jeter sur un homme sans personnalité (on ne sait finalement rien de lui, même de son identité inventée), juste parce qu’il la « voit », on repassera.
Au moins, c’est mieux que Marseille, se surprend-on à penser. Mais la fiction française mérite mieux qu’être comparée à des échecs. On la voudrait forte, différente, marquée, audacieuse, plus intime (Irresponsable a montré qu’il y avait un créneau à prendre), pourquoi pas clivante. Le public est prêt.
Plan Cœur, saison 1 sur Netflix depuis le 7 décembre 2018
Le verdict
Plan Cœur de Netflix
On a aimé
- Une bonne humeur communicative
- Le couple Emilie/Antoine
- Une série sur 3 femmes
On a moins aimé
- Les clichés des années 90
- La vulgarité gratuite
- Le patriarcat
Avec son intrigue simpliste et ses blagues redondantes, la nouvelle série française de Netflix n'est pas à la hauteur de ce que l'on attendait. À la place, la plateforme américaine propose huit épisodes qui accumulent les clichés des comédies romantiques éculées de la fin des années 90. Pour l'émancipation du patriarcat, on repassera.
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