You est une girouette sur laquelle le vent n’a pas d’emprise. Elle tourne quand elle veut, au moment où on l’attend le moins, faisant d’elle un objet unique dans le paysage des séries actuelles. Diffusée sur la chaîne américaine Lifetime en septembre dernier, You sera accessible en France à partir du 26 décembre sur Netflix, qui a encore une fois vu juste en décrochant les droits de cet objet non identifié qui fera sans doute beaucoup parler de lui.
You commence comme des centaines d’autres séries avant elles : Joe, un jeune homme blanc hétéro (Penn Badgley qui signe son retour le plus marquant depuis Gossip Girl) tombe amoureux d’une jeune femme blanche sans la connaître — elle est belle, ah ça oui — et décide de tout faire pour la séduire.
Mais Joe n’est pas un simple libraire ordinaire : il est aussi un dangereux psychopathe. La série de 10 épisodes dépeint le monde entièrement de son point de vue de jeune homme intolérant à la frustration, maniaque, persuadé d’être un prince charmant.
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Un anti-conte de fées
On s’était juré de ne plus se laisser avoir par une série avec une voix off, mais You parvient à nous duper. Il arrive pourtant que les monologues de Penn Badgley frôlent le ridicule. Le prénom de Beck, la femme qu’il convoite, revient incessamment comme une prière malsaine ; une manière peu subtile de nous faire comprendre que Joe est un control freak embourbé dans son rôle de chevalier servant condescendant.
Alors, pourquoi la série fonctionne-t-elle si bien ? Il faut en fait prendre You comme un anti-conte de fées. À chaque fois que l’on se prend à lever un sourcil circonspect, elle se métamorphose pour devenir autre chose — on pense à la première relation sexuelle des deux protagonistes, où l’ambiance romantique vole en éclat à la suite d’une éjaculation précoce inattendue.
L’histoire « d’amour » ne s’arrête pas quand ils se mettent ensemble : c’est justement leur relation qui fait office de fil rouge. Penn Badgley est à la fois charmant et loser, séducteur et cruel. D’autant plus que l’acteur bénéficie d’un capital-sympathie amassé lorsqu’il était le charmant Dan dans l’Upper East Side de Gossip Girl, et qui lui permet d’incarner un Docteur Jekyll convaincant. En ne faisant parler que lui, la série — adaptée du roman de 2016 Caroline Kepnes, entièrement écrit du point de vue d’un narrateur qui s’adresse à Beck à la deuxième personne du singulier — montre ainsi tous les ressorts de l’obsession à sens unique.
Ce stratagème narratif prenait le risque d’invisibiliser Guinevere Beck (Elizabeth Lail), et de la cantonner au rôle de jeune femme mystérieuse qui entre dans sa vie. Pourtant encore une fois, You esquive et parvient à rendre honneur à cette protagoniste incomprise. Car Beck est bien sûr la véritable héroïne de la série, mais on mettra une demi-saison à le comprendre.
Beck est une femme brillante, poète, intelligente, sexy, déterminée, mais elle est pourtant réduite à une boucle blonde qui tombe sur son épaule et à la grâce de ses mouvements lorsqu’elle déambule dans une librairie. À travers elle, You souligne le destin de toutes ces femmes qui ont accepté leur condition d’objet de désir avant de penser à leurs propres envies.
Beck est une femme forte, mais elle est pourtant victime. De Joe, qui veut la « sauver » de ses failles, des hommes qui la manipulent, de sa propre soumission intériorisée, des autres qui la jugent parce qu’elle n’est pas parfaite. Beck ment, trompe et montre des signes de superficialité : voilà qui est insupportable dans une société qui encourage les femmes à se conformer à des normes qui n’ont été créées ni par elles, ni pour elles.
La fascination pour les psychopathes
You est une série d’horreur contemporaine, qui montre tous les défauts que ses ancêtres ont contribué à instaurer dans l’écosystème des fictions modernes. Tout est là : la fascination inexpliquée pour les psychopathes masculins (mais il parle intelligemment ! et il est très gentil avec les enfants !), l’obsession amoureuse sans rien connaître de l’être aimé, le jugement porté sur les femmes peu vertueuses, la violence comme conséquence naturelle de la passion.
La production de Lifetime parvient à se moquer — parfois pas assez — de ces clichés en positionnant son antihéros dans des situations ridicules : il est souvent raillé et régulièrement montré comme un petit-ami toxique (tristement) ordinaire. On aurait d’ailleurs préféré que Joe ne soit pas un dangereux criminel, mais « seulement » un intense stalker : sa folie clinique a tendance à enlever de la force au propos de la série, notamment vers la fin de la saison.
Pour la vraie nuance, on se tournera vers Peach Salinger, le personnage de Shay Mitchell (découverte dans Pretty Little Liars), manipulatrice de talent à l’ascendant néfaste sur Beck, qui parvient à rester à la frontière avec la légalité et le consentement, devenant de facto encore plus dangereuse. Dommage qu’on ne la voie pas plus.
You (Lifetime), en France sur Netflix à partir du 26 décembre 2019
Le verdict
You, saison 1 sur Netflix
On a aimé
- La critique de la réification des femmes
- L'arc narratif unique
- Penn Badgley
On a moins aimé
- La voix-off
- Un manque de subtilité par moments
- Pas assez de Shay Mitchell!
You est aussi fascinante qu'angoissante. À travers un personnage de psychopathe assumé, elle déconstruit les injonctions faites aux femmes, encore trop souvent montrées comme des objets de désir sans réelle profondeur.
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