Il y a bientôt plus de quinze ans, Square Enix s’est associé à Disney pour mélanger sa franchise star — Final Fantasy — avec les marques de l’empire de Mickey. Le mariage, improbable à l’époque et encore difficile à avaler pour certains aujourd’hui, a donné naissance à une franchise adulée dont le troisième opus ne sort, paradoxalement, qu’en 2019.
Comme Final Fantasy XV avant lui, avec qui il partage d’ailleurs le réalisateur, Kingdom Hearts III est devenu une arlésienne. Une conclusion que les fans, gavés de spin off loin d’être inutiles dans la mythologie mise en place, n’espéraient plus. Ils auront eu raison de continuer à y croire jusqu’au moment de franchir la porte d’un monde où tout est possible pour la dernière fois. Car Kingdom Hearts III est assurément le point culminant de la montagne russe débutée au début des années 2000. La grande montée, avec les peurs et les doutes, avant la grande descente, pleine de joie et de souvenirs.
Riche comme Picsou
À l’instar de ses prédécesseurs, Kingdom Hearts III mélange les licences Disney dans un fourre-tout sur fond de lutte très — voire trop — naïve entre le Bien et le Mal. Mais autant le dire tout de suite : cet opus n’est pas le troisième pour rien et il vaut mieux avoir joué aux autres pour comprendre ce qu’il s’y passe. Pas très pédagogue au-delà de quelques vidéos récapitulatives, Square Enix n’a pas très envie de prendre les aficionados par la main.
Ce paradoxe narratif tranche avec les apparences enfantines. D’un point de vue récit, Kingdom Hearts III est un RPG dans toute sa splendeur, avec des dizaines de personnages importants et une multitude d’artifices qui accouchent de faux-semblant (des doubles, des voyages dans le temps, des clones maléfiques, des vrais-faux méchants…). On s’y perd. Et même les fins connaisseurs se perdront sans doute dans cette histoire faussement compliquée et portée par des cinématiques très bavardes.
Square Enix s’est parfaitement approprié la matière première
Toutefois, même en passant à côté de certains éléments de la trame principale (spoiler : il faut sauver le monde), on peut apprécier Kingdom Hearts III pour ce qu’il est dans sa globalité. À savoir une sorte de Stargate SG-1 où un trio de héros — Sora, Donald et Dingo — passe d’un univers à l’autre pour résoudre les problèmes qui s’y nichent. En quelque sorte, le barnum de Square Enix réussit dans sa manière d’empiler des briques là où il échoue à en faire un puzzle réellement digeste. Ce sont bien davantage les petits voyages proposés que la vaste épopée qui nous convainquent, pendant la trentaine d’heures qui constitue la durée de vie.
Pour inviter à l’émerveillement perpétuel, Kingdom Hearts III se pare d’une fidélité à toute épreuve, certainement inscrite dans le cahier des charges imposé par Disney. En ressortent des chapitres très immersifs aux couleurs d’Hercule, Toy Story ou encore Pirates des Caraïbes, au sein desquels la cohérence et l’authenticité rappelleront des souvenirs à tout un chacun. Square Enix s’est parfaitement approprié la matière première et transcende sa formule osée en intégrant des mécaniques propres à chaque univers (exemple : les méchas jouets dans Toy Story ou le bateau dans Pirates des Caraïbes).
Bien entendu, Kingdom Hearts III fait la part belle aux productions récentes (Raiponce, La Reine des neiges, Les Nouveaux Héros) qu’il respecte parfois jusqu’à la sous-intrigue. Dommage qu’ils ne soient pas tous logés à la même enseigne du côté du rythme et des tâches à accomplir.
Beau comme un prince
Le sentiment d’extase qui se dégage de Kingdom Hearts III ne serait pas aussi grand sans une robe digne des plus grands bals. Alors que la franchise est passée à côté de la génération précédente (hors portage), cette conclusion profite de la puissance de la PlayStation 4 et de la Xbox One pour s’offrir un visage d’une beauté ébouriffante. C’est simple, il y a parfois cette impression de jouer à un film d’animation tout droit sorti des studios de Pixar.
Un constat nourri par cette attention permanente aux détails, qui donnent vie aux environnements divers et variés, et au travail sur la modélisation et les animations des héros. On n’oubliera pas non plus de mentionner les effets visuels d’une générosité débordante et la bande-son d’excellente facture (même si, hélas, on n’échappe pas à Libérée, Délivrée).
Il y a parfois cette impression de jouer à un film d’animation tout droit sorti des studios de Pixar.
D’aucuns diront que Square Enix ne fait que reprendre les travaux d’autres artistes. Ils auront un peu raison, mais encore fallait-il en faire un jeu vidéo agréable à regarder. Hormis quelques couacs techniques (des ralentissements, un peu de scintillement sur les contours), Kingdom Hearts III peut remercier l’Unreal Engine 4 tant il brille de mille feux. Au point qu’il est tout à fait envisageable de prendre du plaisir en étant simple spectateur. À bien des égards, le jeu est un feu d’artifice semblable à celui qui réunit petits et grands dans les parcs d’attraction de Mickey — à la fois merveilleux et impressionnant, avec juste ce qu’il faut de ringard .
En prime, Square Enix n’a pas manqué de prendre quelques libertés qui ne dénotent pas avec le reste (mention spéciale aux photos façon Instagram pendant les temps de chargement). Ainsi, on adore voir Sora se transformer physiquement pour mieux intégrer certains mondes (il devient un jouet chez Toy Story ou un monstre chez Monstre et Cie). Il s’en amuse d’ailleurs autant que nous, ce qui ajoute au caractère bon enfant et contraste avec les enjeux dramatiques qui se jouent en coulisse. En d’autres termes, les placards bien remplis de Disney sont autant de raisons d’approfondir le cross-over qui rassemble des décors homogènes dans un ensemble hétérogène.
Au diable la caméra
Pour combattre les méchants baptisés Sans-cœur (le récit s’articule autour du courage et de l’amour qui se trouvent dans le cœur de chacun), Sora s’en remet à des épées magiques reçues à chaque fois qu’il termine un monde. Utiles pour taper, elles servent aussi à déchaîner des super-pouvoirs. Ils prennent la forme de vraies attractions, dans le sillage des tasses ou du bateau pirate (celui qui donne la nausée). Une fois encore, cette faculté à prendre à son compte des éléments propres à Disney est un sacré tour de force. Qui plus est quand cela participe au gameplay intégré dans le genre action-RPG. Final Fantasy oblige, il est possible de faire appel à d’impressionnantes invocations pour terrasser les vilains et les (nombreux) boss encore plus facilement.
Kingdom Hearts III s’efforce d’assurer une prise en mains simple et accessible
Sur la partie action, on regrettera l’ergonomie tirée des mécaniques tour par tour. Elle nécessite parfois de jongler difficilement entre les actions en plein combat et requière de maitriser les raccourcis. On peut aussi tirer à boulet rouge sur la caméra, qui a tendance à s’emballer quand le rythme s’accélère. Exceptés ces deux défauts, Kingdom Hearts III s’efforce d’assurer une prise en mains simple et accessible tout en se parant d’affrontements dynamiques et sans temps mort. Et s’ils apparaissent parfois illisibles en raison des pouvoirs qui envahissent vite l’écran, ils ne poseront pas un véritable challenge aux habitués de la manette.
En bon RPG, Kingdom Hearts III n’oublie pas grand-chose. On peut personnaliser Sora et les autres héros avec des compétences et des équipements toujours plus puissants. Quant à la montée en niveau, elle se fait en douceur et sans passer plusieurs minutes dans le menu. Sur beaucoup de points, le titre va à l’essentiel pour n’effrayer personne (le scénario s’en charge déjà suffisamment). Voilà pourquoi les quêtes annexes se résument à un peu d’exploration pour dénicher tous les trésors, prendre des photos, se balader dans l’espace à bord d’un vaisseau (on s’en serait passé) ou encore participer à des mini-jeux simplistes. Parce qu’il a des mondes à sauver, Sora n’a pas le temps de jouer.
Kingdom Hearts III est disponible sur PlayStation 4 et Xbox One.
Le verdict
Kingdom Hearts III
Voir la ficheOn a aimé
- Qu'est-ce que c'est beau !
- La magie Disney
- De la variété à tous les étages
On a moins aimé
- Scénario complexe
- Caméra un peu laxiste
- Gare à l'excès de mièvrerie
Si Square Enix a voulu faire de Kingdom Hearts III un parc d’attractions marqué du sceau Disney, alors il n’aurait pas pu en faire autrement. Magique et envoûtant, le RPG teinté d’action est un appel constant à l’émerveillement et à la naïveté bienveillante.
D’une cohérence et d’une authenticité incroyables, Kingdom Hearts III est surtout la preuve qu’un pari osé — mélanger Disney et Final Fantasy dans un jeu vidéo — peut aboutir. On aurait simplement aimé que les développeurs maîtrisent autant la direction artistique que l’intrigue, finalement complexe pour rien et susceptible de mettre beaucoup de joueurs à l’écart.
À l’arrivée, on trouvera toujours matière à s’amuser dans un parc, même si on n’avait pas nécessairement envie d’y aller au départ.
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