À chaque fois que Nadia réapparaît, c’est la même rengaine. Une femme est en train de toquer fermement à la porte des toilettes, marquant là une impatience caractéristique de milieu de soirées arrosées. Elle nous agace, à chaque fois, à tambouriner sans ménagement, perturbant notre héroïne en pleine introspection. Puis elle disparaît. Et soudain le vide est vertigineux. L’enfer c’est les autres, surtout lorsqu’ils nous manquent.
Russian Doll, série produite et diffusée exclusivement sur Netflix, est un conte subjuguant sur l’individualisme, la psychanalyse et le vivre ensemble. Natasha Lyonne y est une développeuse cynique qui revit inlassablement la même soirée : à chaque fois qu’elle meurt, elle « réapparaît » à la même heure, même jour, devant le miroir des toilettes de l’appartement de son amie Maxine qui a organisé une fête pour son anniversaire.
Un miroir grossissant et obsédant
Ici, la question ne sera pas « comment ? », mais « pourquoi ? ». C’est lorsque Nadia réalise qu’elle n’est pas seule à vivre cet enfer répétitif que l’on entrevoie une porte de sortie à cette routine tortueuse. S’agit-il d’une faille spatio-temporelle qui n’aurait jamais dû voir le jour ? Un être supérieur qui décide de jouer avec le destin des deux héros ? À l’image de la brillante The Leftovers, rien ne sera expliqué, et ce n’est pas ce que l’on souhaite.
Russian Doll est un miroir grossissant et obsédant, dans lequel on scrute son image pendant de longues minutes, jusqu’à ne plus rien y voir à part une accumulation de formes abstraites. Les vrais miroirs, ceux des décors de la série, tendent d’ailleurs à disparaître au fil des épisodes. Plus Nadia se réincarne, plus son identité lui file entre les doigts.
La jeune femme voit disparaître peu à peu ce qui constitue le monde tel qu’elle le connaît : ses amis, ses amants, le bruit, les objets, la vie. Le symbole est grossier, mais habile : on comprend que Nadia doit se débarrasser de toutes sources de divertissement pour accepter la difficulté de se regarder, elle. Un peu comme si l’univers lui arrachait une à une les écailles de sa carapace — on retrouve Natasha Lyonne dans son rôle habituel, grande gueule au cœur tendre qui ne trompe personne avec ses insultes et son air provoc’ — pour toucher là où ça fait vraiment mal.
Visiblement pour Nadia, il s’agit de sa mère (Chloë Sevigny), atteinte de pathologies mentales qui l’ont empêchée de prendre correctement soin de sa fille. Celle-ci a enfoui des traumatismes auquel elle doit accepter de faire face, seule, sans aucune aide.
Se jouer du temps et de l’espace
De l’autre côté du spectre, il y a Alan (Charlie Barnett, vu dans Chicago Fire), bourré de tocs et condamné à revivre la « pire nuit de sa vie », lorsque sa petite-amie lui annonce qu’elle le quitte. Alors que l’on suivait jusqu’ici Nadia essayant de mettre un terme à cette expérience infernale, on découvre qu’Alan tente quant à lui de reproduire à l’identique chaque geste, comme s’il craignait que la terre n’explose s’il cessait de se faire larguer toutes les nuits, assis sur le même canapé, dans le même salon, avec les mêmes vêtements.
Russian Doll évite l’écueil que l’on craignait : une femme rencontre un homme, ils tombent amoureux et finissent heureux avec beaucoup d’enfants et oublient ce qui les mouvaient personnellement. La série de Netflix est assez fine pour séparer dès le départ ses deux protagonistes : même si leurs destins sont liés, ce n’est pas dans le couple qu’ils trouveront leur salut.
À mesure que la première saison touche à sa fin — il ne s’agit que de huit épisodes de 30 minutes — le vide devient de plus en plus grand autour des deux héros qui, finit-on par comprendre, n’ont rien d’extraordinaire. En jouant avec l’espace et le temps dès le début, Russian Doll avait pourtant annoncé la couleur, mais le dernier épisode vient mettre un coup de pied dans la fourmilière de sens que l’on avait péniblement tenté d’ériger mentalement pour suivre cette narration si aventureuse.
On en vient à trouver du Rick and Morty dans ces lignes temporelles qui s’entremêlent et ne permettent plus de dégager le vrai du faux, le réel du surnaturel. La série, co-créée par trois femmes (Natasha Lyonne elle-même, Amy Poehler et Leslye Headland), parvient ainsi à montrer sobrement que le cynisme métaphysique n’est pas l’apanage des scénaristes masculins.
Russian Doll, saison 1 (8 épisode de 30 minutes) sur Netflix France
Le verdict
Russian Doll
Voir la ficheOn a aimé
- Le jeu sur l'espace-temps
- Natasha Lyonne
- L'introspection réussie
On a moins aimé
- Les (trop) nombreuses questions
- Une saison un peu trop courte
- gotta get up, gotta get out, gotta get home before the morning comes
Dans Russian Doll, la bonne humeur est un voile qui fait semblant de masquer l’absence de sens de l’existence. La nouvelle série de Netflix sortie le 1er février 2019 joue avec le temps et l’espace avec brio, portée par une Natasha Lyonne impeccable (mais loin d’être un rôle de composition). À voir.
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