En une trilogie baptisée Dark Souls, From Software est devenu l’idole des joueuses et joueurs pour qui la passion est avant tout une affaire de challenge. Une anomalie pourrait-on dire à une époque où l’accessibilité rime avec facilité. Édité par Activision, Sekiro: Shadows Die Twice sonne comme le titre d’après. L’après Dark Souls 3, moment d’excellence où le studio japonais semblait avoir atteint une forme d’apothéose dans sa propre formule mêlant exigence et persévérance.
Mais impossible n’est pas From Software qui, avec Sekiro: Shadows Die Twice, repousse un peu plus les limites d’un genre qu’il a enfanté. Et auquel d’autres ont essayé de se frotter, avec réussite (Nioh si on pardonne ses maladresses) ou non (The Surge, qui fait ce qu’il peut en attendant la suite). Bonne nouvelle, malgré son passage sous pavillon américain, le développeur ne s’est pas perdu en cours de route. Même si son Sekiro: Shadow Die Twice, est taillé pour laisser au bord du chemin celles et ceux qui ne se montreraient pas à la hauteur de son défi.
Un univers enchanteur
Pourtant, Sekiro: Shadows Die Twice a tout pour être attirant. Son univers féodal, articulé autour d’un Shinobi chargé de protéger un jeune prince dont le sang serait le secret de l’immortalité, est pétri de charme. La poésie qui se dégage de son ambiance nippone aussi. Esthétiquement parlant, le titre de From Software est d’une beauté enivrante, un joyau sculpté dans les traditions d’un pays au folklore marqué. Des pagodes aux forteresses en passant par les cavernes et les forêts de bambou, les environnements de Sekiro: Shadows Die Twice sont accueillants. Il n’y a guère que les autochtones qui ne le sont pas.
D’une beauté enivrante
Cette maîtrise de la direction artistique vient compenser les quelques largesses techniques, notamment les ralentissements, les temps de chargement un peu longs (spoiler : moins on meurt, moins on les subit) et la caméra qui a tendance à se perdre dès que les zones se réduisent. On note aussi le manque de jugeote des ennemis, qui peuvent parfois fermer oreilles et yeux quand on assassine quelqu’un à côté d’eux.
Servis par une ambiance poético-gore et nourri par des effets visuels d’excellente facture (les éclairages, notamment), les décors de Sekiro: Shadows Die Twice forment surtout un terrain de jeu parfait pour l’exploration. Si on ne retrouve pas les labyrinthes piégeurs et torturés de Bloodborne, modèle du genre, force est de reconnaître que l’architecture des niveaux est largement au-dessus de la moyenne. D’autant qu’elle s’appuie ici sur une verticalité bienvenue, autorisée par un grappin qui permet de grimper à des hauteurs vertigineuses. Et de trouver des chemins secrets, des raccourcis ou encore des zones bonus (et les boss qui vont avec).
Que c’est dur
Dès son introduction, Sekiro: Shadows Die Twice veut se démarquer de ses ancêtres : c’est par une séquence d’infiltration — à la Tenchu — que le périple du héros débute. Passé ce moment de calme, on comprend vite que ce n’était qu’un trompe-l’œil. Bien qu’il soit effectivement possible — et vivement encouragé — d’occire des ennemis en catimini, les combats sont majoritairement frontaux. Ils requièrent la maîtrise d’un élément primordial : la parade. Là où les Dark Souls misaient plus volontiers sur l’esquive, Sekiro: Shadows Die Twice encourage l’offensive. Les parades, si placées au moment opportun selon un timing serré, permettent de faire plier la posture adverse jusqu’à porter un coup fatal. Un principe qui vaut aussi pour vous, d’ailleurs.
Le hic tient dans la manière avec laquelle les ennemis se comportent dans les affrontements. Possédant un farouche appétit pour l’agressivité, ils ont surtout cette fâcheuse tendance à sérieusement entamer la barre de vie quand un coup atteint sa cible. En somme, les parades sont moins un risque payant (comme dans Bloodborne) qu’un moyen de survie face à des assauts répétés. Dans ce petit jeu de sabre, la moindre erreur se paie cash et les game over pleuvent par dizaine — que ce soit face à un boss… ou non. Dans Sekiro: Shadows Die Twice, la gestion des parades est autant un art qu’une nécessité. Elle forcera les courageux qui ont plié la trilogie Dark Souls les yeux fermés à réapprendre à jouer.
La gestion des parades est autant un art qu’une nécessité
Ce déséquilibre assez agaçant, sinon éreintant, n’est même pas compensé par l’équipement mis à disposition du joueur. Entre les potions qui ne soignent pas autant que prévu (il faut les améliorer) et les objets n’offrant qu’un boost négligeable, l’idée du seul contre tous prend vite des allures de fardeau supplémentaire. Quant aux armes secondaires fournies par le bras prothésiste améliorable, les munitions qu’elles réclament pour fonctionner restreignent leur utilisation.
Ne comptez pas non plus sur la progression pour vous aider à prendre l’ascendant. Dans les Dark Souls, il est tout à fait envisageable de passer quelques heures à gagner des niveaux pour encaisser cette attaque supplémentaire qui change tout. Dans Sekiro: Shadows Die Twice, ce luxe n’existe pas. Il n’y a pas de niveau, simplement des points de compétences à débloquer, une barre de vie à rallonger (en battant des mini-boss) et une puissance à augmenter (en battant des boss). Cette progression plus figée et cloisonnée que dans un RPG classique symbolise un jeu qui n’offre rien — ni cadeau, ni répit. En prime, la mort signifie la perte de la moitié des ressources clefs — argent et expérience (sauf si vous avez un peu de chance). La résurrection suggérée par le nom du jeu ? Elle reste limitée.
Le pouvoir de gratifier
Comme dans les Souls et assimilés, la narration n’est pas un exemple de clarté. Ici, elle a quand même le mérite d’être un peu plus explicative et moins cryptique. Elle repose sur un récit vite relégué au second plan pour mieux se perdre dans les méandres du level design. Sans chemin rectiligne prédéfini, l’histoire se décompose à mesure que le joueur erre telle une âme en peine dans les différentes zones à traverser. En bref, Sekiro: Shadows Die Twice ne prend jamais par la main pour dire où il faut aller. En outre, il n’y a aucune carte pour se repérer dans tous ces allers-retours réclamés par une aventure décousue et dépourvue de bouées de sauvetage scénaristiques. Ne perdez pas votre temps à appeler à l’aide.
Sekiro: Shadows Die Twice donne souvent envie de tout arrêter
Il y a vraiment matière à pester à chaque pas franchi dans Sekiro: Shadows Die Twice, porté par la stupidité de ces déséquilibres assumés et, en parallèle, la manière dont il magnifie la moindre réussite. Ils ne sont pas nombreux, les jeux vidéo à pouvoir se targuer de glorifier autant la persévérance, le don de soi, le dépassement et l’implication des joueurs et joueuses. À bien des égards, se plonger dans cette cruelle expérience relève de l’abandon et emprunte au stakhanovisme. À force de travail, de sacrifice, d’apprentissage dans la douleur et de châtiment reçu, les acharnés sont dignement récompensés et en ressortent grandis.
Alors, oui, Sekiro: Shadows Die Twice ridiculise. Oui, Sekiro: Shadows Die Twice décourage. Oui, Sekiro: Shadows Die Twice donne souvent envie de tout arrêter. Mais, oui, Sekiro: Shadows Die Twice (se) mérite. Car finir par occire le boss qui vous en a fait baver pendant deux heures est on-ne-peut-plus gratifiant. Beaucoup plus, en tout cas, qu’une vulgaire boîte de loot au contenu aléatoire. Véritable cadeau empoisonné, le jeu de From Software célèbre la performance, au sens noble du terme.
Sekiro : Shadows Die Twice est disponible sur PS4, Xbox One et PC.
Le verdict
Sekiro: Shadows Die Twice
Voir la ficheOn a aimé
- La fierté de triompher
- Une direction artistique à tomber
- La réinvention
On a moins aimé
- Quelques déséquilibres
- Quelques couacs techniques
- Trop exigeant ?
From Software aurait tout simplement pu déguiser Dark Souls 4 dans une robe traditionnelle japonaise. Mais à la facilité, le studio répond par la réinvention. S’il reprend quelques ingrédients de l’illustre trilogie, Sekiro: Shadows Die Twice induit un apprentissage flambant neuf.
Appliqué à célébrer avec extase la réussite à mesure qu’il se délecte des échecs répétés, l’exigeant Sekiro: Shadows Die Twice est le témoin d’un plaisir qui se niche dans la souffrance. D’un sentiment de fierté décuplé par les heures passées à se faire violence. Et de la douleur naît finalement l’apaisement. Le vrai, celui qui, dans l’ombre, transforme en guerrier.
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