« La coupe du monde Fortnite commence avec toi », lance une voix-off redoutable dans le teaser pour la Fortnite World Cup. Il s’agit de la première grande compétition d’ampleur dédiée à ce phénomène populaire sans précédent, qui débute le 13 avril 2019. On pourrait penser à un slogan ordinaire. Il en dit pourtant bien plus sur la philosophie du jeu qu’il n’y paraît.
Depuis près d’un an, Epic Games, l’éditeur de Fortnite, mise tout sur le grand public : le studio parle autant à l’amateur de 10 ans qu’au joueur professionnel de 17 ans qui en a fait son quotidien. Mais dans sa version esport, Epic rencontre de nombreux problèmes. Alors que la Coupe du monde arrive à grand pas, avec son cashprize de 40 millions de dollars, l’éditeur semble encore bien loin de les avoir tous réglés.
Des mises à jour de dernière minute
Il y a d’abord le fléau des mises à jour de dernière minute, parfois réalisées 48 heures à peine avant les compétitions, et qui peuvent grandement perturber les joueurs. « L’an passé, il y en avait une avant chaque LAN (un rassemblement de joueurs, ndlr) à laquelle on participait. On en est même venus à se demander si ce n’était pas fait exprès », s’étonne encore Adil « Adz » Kamel, joueur professionnel de 23 ans sur Fortnite pour Vitality, contacté par Numerama.
Dernièrement encore, le patch de la saison 8 a été lancé quelques heures avant l’IEM Katowice, la première compétition internationale de cette ampleur organisée par Epic Games. Une toute nouvelle carte a vu le jour, sur laquelle les joueurs n’avaient jamais joué. De quoi rajouter de la difficulté, mais aussi une part de chance non négligeable: celle-ci est surnommée couramment RNG (random number generator) dans l’univers des jeux vidéo. Or, qui dit trop grande RNG, dit difficulté à classer Fortnite dans la catégorie « esport », qui a besoin de plus de stabilité.
Les nouveautés intempestives et soudaines se comptent par demi-douzaines : l’arrivée d’une épée surpuissante juste avant les Winter Royale en Amérique du Nord, par exemple, qui a permis au joueur américain Psalm d’écraser la demi-finale. Ou encore l’ajout du missile guidé à la Gamers Assembly 2018 avec le patch 3.4, alors que les joueurs ne savaient pas bien l’utiliser.
Un manque de professionnalisme ?
Les bugs sont aussi légions dans le jeu. On se souvient par exemple de la disparition de la pioche du joueur de Solary Huynh « Kinstaar » Duong Huynh pendant la quatrième manche du tournoi en solo à l’IEM Katowice. Le constat, peu glorieux, n’a pas échappé à Josselin « Fayaw » Deprez, le manager de l’équipe Fortnite de Gamersorigin : « Sur toutes les compétitions auxquelles les joueurs ont participé, il n’y en a qu’une seule où il n’y a pas eu de problème.»
https://www.youtube.com/watch?v=YqohxYrJi-U
Mais n’est pas tout. Il y a aussi des gros problèmes au niveau des serveurs, comme nous l’explique Clément « Deadra » Vaudin, joueur professionnel de 17 ans chez Gamersorigin : « Ils ne marchent pas et, parallèlement, on subit des attaques DDOS [attaques par déni de service]. » Ces complications ont touché encore une fois beaucoup de compétitions comme la Lyon-esport en février, par exemple, où une attaque a retardé de plusieurs heures le tournoi sur Fortnite.
Ce genre de problème arrivt beaucoup moins sur d’autres jeux. Sur la franchise star de l’esport, League of Legends, les compétitions se font ainsi sur un serveur privé lorsque de nouvelles mises à jour viennent d’être adoptées. Cela évite de pénaliser les joueurs qui se sont entraînés sur une ancienne version.
Cette frustration est renforcée par les liens quasi inexistants entre Epic Games et les acteurs du secteur. « On est comme tout le monde, on apprend les choses sur Internet, en même temps que les autres », regrette Léo « Lounet » Maurice, manager de l’équipe Fortnite chez LDLC. Ce qui explique que les joueurs utilisent bien souvent des plateformes extérieures comme Twitter pour faire part de leur frustration quand quelque chose ne fonctionne pas.
Une stratégie de communication ?
Avec un chiffre d’affaires évalué à trois milliards de dollars pour l’année 2018 (et même si celui-ci a chuté en début 2019), l’équipe d’Epic Games a pourtant les moyens de définir une stratégie d’esport claire. Contacté, Epic n’est pas revenu vers nous.
« Leur but n’est pas de faire une scène stable, ça leur importe peu de savoir qui peut se qualifier », assène Léo « Lounet » Maurice, le manager chez LDLC. « Au contraire, plus il y en a, mieux c’est. » Fortnite est un free-to-play : un jeu gratuit dont le modèle économique repose sur l’achat d’accessoires virtuels par les joueurs. Ceux-ci n’apportent néanmoins aucun avantage dans le jeu : ils ne sont que cosmétiques. Forcément, plus de personnes jouent, plus les achats explosent.
« esportainment »
L’avantage des compétitions d’esport, c’est qu’elles attirent beaucoup, beaucoup de spectateurs. Adil « Adz » Kamel, de Vitality, se souvient : « Quand l’épée est sortie et qu’un joueur a fait 10 kill en bougeant dans tous les sens, pour nous c’est n’importe quoi ! Mais pour les spectateurs par contre, c’était impressionnant. »
Plusieurs chercheurs, dont Nicolas Besombes en France, ont nommé cette nouvelle stratégie : « esportainment ». Il s’agit d’un fin mélange de compétition et de divertissement pour accrocher un maximum de personnes. Et ça se vérifie lorsqu’on observe que la Coupe du monde sera ouverte aux joueurs dès leur 13 ans. Une démocratisation, mais à quel prix ?
Une difficile structuration
Tous ces critères freinent la structuration de Fortnite en tant que réel univers esportif. À cela s’ajoute le format des compétitions, considérées comme trop longues par les joueurs, et le système d’attribution des points qui valorise le fait de tuer un maximum d’autres joueurs plutôt que de terminer premier (ce qui retire la substance même d’un mode Battle Royale). Pour le moment, il reste donc difficile de discerner qui sont exactement les meilleurs joueurs du monde, comme c’est le cas ailleurs.
Néanmoins, les choses semblent bouger avec l’arrivée de concurrents comme le redoutable Apex Legends. Ce nouveau jeu édité par Electronic Arts a attiré près de 50 millions de joueurs en trois mois. « Immédiatement à la sortie d’Apex, Epic Games a annoncé la Coupe du Monde », remarque Stéphane « Lenzh » Guido, joueur pro de 21 ans chez Gamersorigin.
On n’en sait pour autant pas plus sur le format compétitif d’Apex Legends, même si le studio se targuent d’être déjà prêt à lancer le jeu en version « tournoi ». Epic Games avait de son côté mis un an à lancer les compétitions, pour un résultat encore instable quelques mois plus tard. La Coupe du Monde fera à coup sûr office d’évaluation grandeur nature.
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