Le site web YggTorrent, bien connu de celles et ceux qui téléchargent illégalement des contenus culturels, déménage.
En ce début du mois de mai, le site de liens BitTorrent — un protocole d’échange en pair à pair (P2P) — a activé un nouveau nom de domaine, utilisant le domaine national de la Suisse (.ch) comme nouveau point de chute virtuel. L’ancienne adresse, qui est liée à Guernesey (.gg), reste toujours active, mais une redirection vers la nouvelle est en cours afin d’amener les internautes au bon endroit.
Accusations de blocage
Selon YggTorrent, cette migration est motivée par des actions de blocage en France au niveau des fournisseurs d’accès à Internet. Le 4 mai, le site a déclaré que son nom de domaine « est bloqué par un grand nombre de FAI français ». En réaction, le site a décidé d’en changer et conseillé dans la foulée à sa communauté de modifier ses DNS pour ne plus utiliser ceux de son FAI.
YggTorrent ne précise pas le nom des opérateurs en cause. Plus tôt dans la journée du 4, le site a demandé à sa communauté de lui signaler tout problème d’accès, après avoir eu vent de quelques incidents. Dans nos essais d’accès au site, nous avons constaté que le site est injoignable avec une ligne Bouygues Telecom. Nous n’avons eu par contre aucune difficulté avec Orange et SFR.
Outre la redirection mentionnée ci-dessus, d’autres adresses appartenant à YggTorrent pointent désormais vers la nouvelle URL. C’est le cas de celles se terminant par l’extension « .to » (qui concerne les îles Tonga). Quant à l’adresse islandaise, « .is », elle se trouve sur la liste noire de certains opérateurs, comme Free. En date du 5 mai, la nouvelle adresse est opérationnelle et ne se trouve pas de désordre apparent.
Une curieuse histoire de jeu d’argent
Selon nos constatations, ce récent blocage visant YggTorrent aurait à voir avec une décision prise par l’ARJEL — l’Autorité de régulation des jeux en ligne — ce qui de prime abord étonne, car l’ARJEL ne s’occupe pas des affaires de téléchargement illicite. Ce n’est pas dans ses compétences. Chez les autorités administratives, c’est plutôt le domaine de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).
Pourtant, sur une autre adresse du site de liens BitTorrent, www2.yggtorrent.gg, un encart indique que « l’accès au site que vous tentez de consulter est bloqué en exécution d’une décision de justice ». Il est ajouté que c’est le président de l’ARJEL qui en a fait la demande, au motif que « le site en cause offrant illégalement sur le territoire français des jeux d’argent et de hasard en ligne ». Pourtant, YggTorrent n’est pas connu pour cette activité.
Il est précisé dans le message que ce blocage s’est déroulé « sur le fondement de l’article 61 de la loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne ». Celui-ci dispose que l’ARJEL peut exiger des opérateurs qu’ils prennent « toute mesure propre à empêcher l’accès au contenu » du site litigieux.
L’article de loi précise que les opérateurs ont la possibilité de transmettre leurs observations sous huitaine et, à l’issue, si le site incriminé reste accessible, le président de l’ARJEL peut saisir le président du tribunal de grande instance de Paris pour que soit ordonné en urgence l’accès à ce service. Il peut aussi saisir par requête la justice quand le site est accessible à partir d’autres adresses.
L’ARJEL n’est pas à l’origine du blocage
Il aurait été toutefois étrange que l’ARJEL, étant donné ses missions et le profil d’un site comme YggTorrent, soit à l’origine d’une décision de blocage visant un site de liens en P2P qui n’a rien à voir avec les jeux d’argent. En tout cas, pas de façon évidente. Contactée le 5 mai, l’ARJEL nous confirme en tout cas que le blocage du site ne vient pas de ses services. Le message est donc un faux.
Il faut dire que ce sont d’habitude d’autres dispositifs qui sont utilisés pour la lutte anti-piratage. Il existe notamment l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose qu’en cas d’atteinte au droit d’auteur sur un site, la justice « peut ordonner à la demande des titulaires de droits toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte ». Y compris, donc, par le blocage.
Reste que les pouvoirs de l’ARJEL en matière de blocage sont regardés avec envie par la Hadopi. Dans le cas des sites miroirs (qui sont des copies exactes d’un autre site), « le législateur a prévu que le président de l’ARJEL puisse obtenir des injonctions de blocage à l’issue d’une procédure judiciaire accélérée (…) contre des sites ayant déjà fait l’objet d’une décision de blocage mais réapparaissant sous un nom de domaine différent ».
(mise à jour avec la réponse de l’ARJEL)
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