Peu de jeux vidéo se déroulent en France. A Plague Tale: Innonence, développé par un studio bordelais (Asobo Studio) et édité par Focus Home Interactive (c’est encore chez nous), entend contredire ce constat.
Le jeu ne part pas d’un postulat très réconfortant : au XIVe siècle, deux orphelins doivent échapper à la peste, aux rats et à l’Inquisition. Tout un programme, pour une aventure qui s’avère plus étonnante qu’elle n’y paraît.
Concrètement, A Plague Tale: Innonence se présente comme un jeu d’aventure prenant place dans un immense couloir. Très axé sur la narration, découpé en chapitres et porté par un gameplay qui n’évolue que très légèrement (ce qui n’est pas un défaut), le titre 100 % français cherche d’abord à asseoir une ambiance délétère. Où une jeune fille et son petit frère tentent de survivre tant bien que mal à une série d’événements plus horribles les uns que les autres.
Une ambiance très réussie
Dès les premières minutes, A Plague Tale: Innonence séduit par son habillage. Sans être le plus beau jeu de sa génération, la production signée Asobo Studio parvient à faire la différence avec sa direction artistique. Si l’atmosphère dégagée par l’époque dépeinte (le Moyen Âge marqué par la Peste Noire) n’a rien d’enthousiasmante, il se dégage de A Plague Tale: Innonence la volonté de plonger le joueur dans des environnements parfois charmants (la nature), souvent effrayants (les villages devenus des fosses à cadavres). Quels que soient les paysages traversés, les développeurs ont été les plus soigneux possibles.
On pardonnera tout juste les animations et leur fâcheuse tendance à manquer de naturel. On les oublie grâce aux effets de lumière, aux reflets et au comportement effrayant des nuées de rats qui forment des obstacles meurtriers.
La bande son, orchestrée par Olivier Derivière (Remember Me, Vampyr), est l’autre pièce maîtresse de la réussite artistique de A Plague Tale: Innonence. En plus de taper juste dans le ton, les musiques misent sur une discrétion bienvenue pour épauler la partie visuelle. C’est une véritable douceur pour les oreilles et elle tranche avec le monde de brutes dans lequel nous sommes immergés.
Un modèle d’écriture
A Plague Tale: Innocence suit les tribulations d’Amicia de Rune, fille d’une famille noble, et sœur d’Hugo, un jeune garçon protégé par sa mère car atteint d’un mal mystérieux. Parce qu’il est visé par l’Inquisition, le duo soudainement devenu orphelin entame une fuite vers l’avant. Amicia, femme forte par obligation, doit protéger un frère qu’elle connaît à peine dans un monde qu’elle connaît à peine. Leur relation à construire de A à Z constitue le sel d’une histoire où l’enfance sera irrémédiablement confrontée à la cruauté, où l’insouciance se mélangera à l’horreur. « Désolé d’être malade, Amicia », lance par exemple Hugo, qui a parfois du mal à comprendre ce qui se trame.
Une surprise que l’on prend plaisir à découvrir
Le scénaristes ne sont pas tombés dans le piège des raccourcis et ne cherchent jamais à épargner Amicia et Hugo, respectivement âgés de 14 et 5 ans. Dans certains passages, on est surpris par la manière avec laquelle A Plague Tale: Innocence joue de la naïveté d’Hugo pour renforcer les moments de vie autorisés de temps à autre. Ils servent à adoucir le propos (on parle ici d’enfants qui fuient des atrocités) et à s’attacher aux personnages que l’on a envie de suivre et protéger.
C’est par ailleurs l’absence de prétention qui fait de A Plague Tale: Innocence une surprise que l’on prend plaisir à découvrir. Sans jamais chercher à en faire trop, le titre d’Asobo Studio réussit ce qu’il entreprend. C’est déjà une belle victoire en soi.
L’infiltration qui fait du bien
Surprenant dans la forme, A Plague Tale: Innocence ne l’est pas moins dans le fond. En s’éloignant des carcans habituels (de l’action dans un monde ouvert), il installe son gameplay — rigide comme les animations — dans le genre infiltration. Amicia et Hugo étant loin d’être des guerriers, ils doivent éviter au maximum les conflits et se faufiler pour tracer leur route. La jeune héroïne, personnage incarné par le joueur, est quand même équipée d’un lance-pierre pour se défendre ou attirer l’attention des gardes à l’intelligence, la vision et l’ouïe discutables. Plus tard dans l’aventure, on récupère également le moyen de confectionner des projectiles spéciaux pour allumer/éteindre des feux, endormir les ennemis ou encore éloigner les rats.
Les rongeurs porteurs de la Peste sont d’ailleurs la principale menace à laquelle sont confrontés Amicia et Hugo. Comme il n’est pas possible de s’en débarrasser une bonne fois pour toutes (il y en a trop), Asobo Studio a intégré un élément pour les contourner : ils ont peur de la lumière et des flammes. Grâce à cette astuce inhérente au gameplay, une succession de puzzles attend le joueur et il faut dès lors trouver les solutions pour avancer sans se faire dévorer. À cette contrainte s’ajoute la nécessité de protéger Hugo, qui n’a pas l’âge pour se débrouiller tout seul et comprendre ce qu’il doit faire pour survivre. Cette fragilité force Amicia à prendre son petit frère par la main pour l’emmener dans son sillage.
Le studio a également pensé aux objets à ramasser, qu’ils soient utiles pour améliorer l’arsenal ou simplement cosmétiques (fleurs, reliques, cadeaux), ou encore aux séquences optionnelles (qui renforcent la narration si on prend le temps de les dénicher). Ces éléments permettent d’augmenter un tout petit peu la durée de vie, qui n’excède pas les huit heures. Ce format ramassé permet à A Plague Tale: Innocence de ne pas s’éparpiller. Courte, la quête d’Amicia et d’Hugo n’en est que plus marquante.
Le verdict
A Plague Tale: Innocence
On a aimé
- Un gros effort sur l'écriture et la narration
- Un duo de héros attachants
- Une bande son d'orfèvre
On a moins aimé
- Les animations
- IA discutable
- Sortez les mouchoirs
D'une tendresse louable, A Plague Tale: Innocence est une réussite inattendue. S'il n'a pas la prétention de tirer ses maigres ambitions vers le haut, il parvient à se distinguer par sa proposition qui se tient de bout en bout, aussi bien dans le fond que dans la forme.
Le jeu développé par Asobo Studio bénéficie en outre d'une écriture jamais maladroite, qui place les bons sentiments au cœur d'un récit effroyable. Porté par un duo attachant, A Plague Tale: Innocence est tout simplement une aventure avec un grand A. Une lettre qui renvoie, aussi mais surtout, à l'amour pour le travail bien fait.
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