Depuis les années 1950 (et peut-être même avant), il est de bon ton pour les artistes « underground » de ne pas signer chez une maison de disques. Il faut savoir garder son hymène intact et résister à la tentation d’une aventure conjugale avec les tout-puissants de l’industrie du disque. Bien sûr, certains cèdent. Ceux là, d’abord adorés, sont alors immédiatement conspués par leurs premiers fans. Les Daft Punk en savent quelque chose.
Mais le phénomène prend de l’ampleur. Entre les internautes et les maisons de disques, c’est maintenant le jeu du chat et de la souris. Et l’on ne parle pas uniquement des P2Pistes qui tentent de ne pas se faire prendre par les griffes d’Universal ou de Sony BMG. Car ces derniers aussi, se cachent des internautes. Le réseau mondial est devenu un média à part entière pour promouvoir un artiste, mais la réputation des grands labels étant à son plus bas, il faut désormais cacher que l’artiste est signé chez une major – c’est dire si la crise d’image et de confiance de l’industrie est profonde.
C’est dans ce contexte que naît l’image de Marié Digby, une chanteuse américaine de 24 ans (d’origine japono-irlandaise), propulsée en quelques mois aux sommets de YouTube, notamment grâce à cette reprise de Umbrella, la chanson de Rihanna, qui sera vue plus de 1.000.000 de fois :
Comme tout artiste qui veut percer sur le net, Marié crée d’abord sa page sur MySpace et multiplie les vidéos postées sur YouTube. Le tout est manifestement artisanal, une simple guitare sèche à la main, une webcam, une belle voix, une grande crinière brune et juste ce qu’il faut de maquillage pour être jolie mais surtout pas paraître artificielle. Marié Digby le dit, elle est authentique et n’appartient à aucune maison de disques. La blogosphère craque pour elle, et les médias américains, toujours en quête du symbole de l’American Dream moderne, s’en emparent. Elle est invitée à la radio, et reçoit même les honneurs de MTV, qui passe sa reprise sur son programme The Hills. Début septembre, c’est l’apogée. Hollywood Records, la maison de disques de Disney, publie un communiqué pour se féciliter de la signature de Digby. Tout fonctionne à merveille, jusqu’à ce que le pot aux roses soit révélé par le Wall Street Journal.
En fait, la chanteuse a signé dès 2005 son contrat chez Hollywood Records, c’est-à-dire bien avant que ses vidéos ne soient postées sur YouTube (sa page MySpace, en revanche, a bien été créée en 2004). La stratégie est astucieuse ; Marié Digby ne publie que des reprises de chansons connues, car ce sont celles que les internautes vont rechercher sur YouTube. Au hasard de leurs recherches, ils tomberaient alors sur les reprises de Digby, et tomberaient amoureux d’elle en attendant qu’elle sorte son album à elle, avec un public d’internautes déjà conquis. Sur son blog, Marié se défend d’un tel calcul et insulte le journaliste qu’elle accuse d’avoir travesti ses mots, et traite de « loser ».
Mais pour une partie de la blogosphère anglosaxonne, c’est un nouveau scandale. Sur Internet, on n’a pas le droit de mentir. Un an plus tôt, les bloggeurs américains s’étaient déjà sentis trahis lorsqu’ils ont appris que Lonelygirl15 n’était pas une « authentique » internaute en train de raconter sa vie passionnante sur YouTube, mais l’œuvre parfaitement huilée d’un producteur. C’était alors la série de vidéos la plus regardée sur le net.
Après avoir favorisé le buzz de Marié Digby en postant les vidéos tour à tour sur leurs blogs respectifs, les bloggeurs en colère ont aujourd’hui le sentiment d’avoir eu une relation intime non protégée avec une sidateuse non déclarée. Etre signée chez un grand label et faire croire que l’on est indépendante pour favoriser la naissance d’une « star », c’est un crime intolérable condamné par la répudiation. Mais trop tard.
Marié Digby est désormais une chanteuse connue, dont une grande partie du public se fiche de savoir qu’elle a signé chez une major. Lonelygirl15 ne s’est pas arrêté après la tromperie révélée, et la série continue d’attirer un public très nombreux sur YouTube.
Faut-il coucher pour réussir ? Non, il faut mentir.
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