« L’industrie musicale doit se concentrer sur une production de meilleure qualité si elle veut renouer avec la gloire. » C’est ce qui sort de la bouche du musicologue et journaliste Larry LeBlanc. Lors d’un interview accordé à une chaîne canadienne, ce dernier montre qu’il veut encore croire au CD et à l’expérience d’achat chez les disquaires. « Je vais vous dire ce qui est mort. Le mauvais album avec un seul morceau est mort. […] Je pense que là ou l’industrie doit revenir, c’est à la bonne musique. »
Il est vrai que les ventes de CDs single ne se sont jamais autant mal portées mais doit-on considérer ce déclin comme une sorte de désaffection du public envers « une musique de mauvaise qualité » ? En d’autre termes, est-ce que la mutation actuelle du marché du disque aurait fait monter une certaine exigence du consommateur par rapport à ce qu’on lui offre à écouter ? Si de nombreux critiques et blasés de tous poils répondraient oui, force est de constater que ce genre d’argument se laisse même approprié par les machines à tubes elles mêmes.
« Les conditions du marché ont changé pendant les dernières années, mais le déclin que nous constatons a plus à voir avec le manque de qualité dans la musique. » déclarait il y a peu au New York Post Antonio « L.A. » Reid, directeur du sous label d’Universal Def Jam Recordings.
Plusieurs études se sont déjà accordées sur le fait que le peer-to-peer favorisait une plus grande curiosité chez l’auditeur. En effet, et même si les artistes les plus téléchargés restent ceux le mieux portés médiatiquement, le p2piste s’en affranchirait plus ou moins au grès de sa pratique, et aiguiserait par là même son goût.
De là, rien d’étonnant à voir apparaître une sorte d’idéologie du bon goût porté par les fervents défenseurs du P2P et optimistes de tous bords concernant Internet. Avec son avènement, nous aurions affaire à une nouvelle génération de consommateurs aux exigences grandies et les majors prendraient peu à peu conscience qu’elles ne peuvent plus se contenter de leur servir la soupe qu’elles ont l’habitude de produire.
Le plus étrange, c’est que les majors elles-mêmes semblent avoir intériorisé cette critique comme si elle passait de pure spéculation à complexe refoulé. Si elles ne juraient avant que par la taille d’un budget marketing, il leur arrive parfois de laisser tomber la machinerie de peur de voir un groupe affiché trop vite « commercial », à l’image d’Universal pour son bébé Greeeen au Japon, ou Marié Digby qui cachait son deal avec l’une d’entre elles. Du côté de chez Warner, on essaie même de placer ses perspectives d’avenir dans une politique plus proche des artistes.
Et pourtant, des tubes comme Crazy Frog continuent de pointer le bout de leur nez en top des charts. Alors, que s’est il passé ? Après tout, la mauvaise came a toujours côtoyé la bonne dans le top des ventes et c’est loin d’être un fait nouveau. Rappelez-vous dans les années 90 tous ces boys band qui se pressaient les uns après les autres sur le plateau des émissions TV. Internet n’a rien changé à la donne.
Mais si il y a bien une différence notable, c’est dans la façon dont émergent les groupes. Le Net semble en effet avoir accru le potentiel d’un artiste à pouvoir sortir de l’ombre pour conquérir la planète, et baisser l’importance des majors dans ce processus qui leur était généralement attribué. Bien sûr, l’histoire de la musique aura toujours son lot de contre-exemples mais on peut considérer le fait que si un artiste pouvait auparavant difficilement arriver en tête des charts sans avoir profité de la machinerie marketing d’une major, c’est peut être moins le cas aujourd’hui.
Une major fonctionne généralement de cette manière : un artiste monte, crée un certain buzz autour de lui. Une fois que le terrain a été suffisamment travaillé, la major le signe afin de mettre en route le bulldozer qui lui fera décupler ses chiffres de vente. Hors, Internet échappe plus ou moins au contrôle des majors. L’artiste arrive à conquérir des millions de fans, à l’image de Tila Tequila sur MySpace, sans même qu’il ait nécessité leur aide. Dès lors, les majors ne peuvent intervenir qu’après coup, déjà dépassées par un buzz monté trop haut par rapport à leur « déclic » d’intervention.
En fait, si le buzz reste toujours de mise pour leur faire signer un artiste, Internet a le pouvoir de le faire grandir beaucoup plus rapidement sans leur aide qu’auparavant. Universal n’est plus le seul à pouvoir faire émerger de l’ombre un artiste pour le porter en haut de l’affiche en un temps record. Les groupes commencent à en être aussi capables grâce au Net. Ils n’hésitent même plus à courtiser les labels en fonction du nombre de visites sur leur page MySpace. Et les majors, de leur côté, réintègrent cette nouvelle donne en mettant le public au centre du plébiscite, qu’il s’agisse de la Star Ac et autres consorts, ou des sites communautaires qui deviennent des plateformes pour leurs agents artistiques.
Bref, c’est face à cette perte de pouvoir sur le mécanisme de montée que les majors commencent à sentir leur futilité à l’ère du Web 2.0. La machine à produire du disque devient inutile et cette inutilité la renvoie peut être, dans une certaine mesure, à envisager de redevenir ce qu’elles ont été à la base et qu’elles ont perdu avec le temps : des producteurs d’artistes avant d’être des marchands de produits.
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