La Guerre des Mondes a le vent en poupe : deux adaptations de l’œuvre d’H.G. Wells ont été produites pour ce mois d’octobre 2019. La première sera diffusée prochainement sur la BBC et la seconde est déjà disponible sur Canal Plus (co-produite avec la Fox) depuis le 28 octobre 2019. La version BBC se situe en Angleterre, en 1900, là où la version Canal se passe à notre époque. Cette adaptation ultra modernisée est-elle une réussite ? La réponse est malheureusement en demi-teinte.
L’œuvre originale écrite par H.G. Wells date de 1898. À sa publication, elle est révolutionnaire puisqu’elle participe à fonder la science-fiction. La Guerre des Mondes est resté un chef d’œuvre du genre, même si après tout un siècle de publications, le récit peut paraître relativement simple (voire caricatural) de nos jours : des extraterrestres — des martiens — débarquent sur Terre pour nous envahir en nous décimant.
Tous les codes du post-apo réunis
Même si toute adaptation jouit d’une certaine liberté, il y a quelques fondamentaux pour faire honneur à l’œuvre de Wells. Le récit original est porté sur la façon dont les humains sont soudain écrasés plus bas que terre face à une espèce extraterrestre surpuissante qui nous perçoit comme de simples insectes. Les humains sont incompris par leurs envahisseurs, car ils ne sont tout simplement pas considérés. À l’époque, l’ouvrage contient des messages politiques, puisqu’il fait office de charge contre le colonialisme effréné de l’empire britannique. L’essence de l’ouvrage est donc, aussi, d’approfondir l’altérité — thématique récurrente de la SF.
La relecture proposée par cette nouvelle adaptation signée Canal et Howard Overman a pris au pied de la lettre l’ambiance survivaliste de La Guerre des Mondes, au point d’en faire un récit intégralement post-apocalyptique. Tous les codes théâtraux de ce genre sont réunis : deux personnages marchant sur un chemin de fer avec, en fond, une musique country ; un adulte prenant sous son aile une enfant ; des personnages marchant longuement sur une autoroute désolée ; des scènes conflictuelles dans des épiceries.
Les enjeux relèvent plus du drame que de la science-fiction.
On retrouve aussi des petits groupes isolés, qui parfois doivent se rassembler. Les humains sont véritablement devenus des petites fourmis, dans un monde qui n’est plus que ruines. Cette version ne s’intéresse pas tellement à l’invasion ni aux extraterrestres, mais plutôt aux conséquences sur les humains et la façon dont ils doivent subsister tant bien que mal dans la violence, la faim, la manque d’hygiène et une menace permanente que sont les envahisseurs.
Le choix de transformer La Guerre des Mondes en drame post-apo peut se tenir — c’est un aspect qui était bel et bien présent dans l’œuvre de Wells. D’autant que cette adaptation a le mérite de bien gérer les moments de tension. Durant les dix dernières minutes de l’épisode pilote, lorsque tout bascule avec l’invasion, on vit un moment fort, où la musique sourde accélère en même temps que les événements.
Les acteurs et actrices sont intenses pendant ces scènes. Malheureusement, en dehors de ce type de fulgurances, la série peine à démarrer. En cause : une absence presque totale de relief et de contexte, là où La Guerre des Mondes de Wells était bien plus riche.
Où sont l’histoire et la SF ?
Un récit post-apo est intéressant quand, à partir d’un effondrement total et d’un contexte de survie ultra-violent, des liens humains arrivent à se recréer. C’est ce qui a fait le succès d’une fiction comme The Last of Us — la relation Ellie-Joël. Dans cette version de La Guerre des Mondes, la majorité des personnages est excessivement désabusée jusqu’à la platitude. On retrouve un étrange syndrome aussi présent dans le très médiocre Another Life de Netflix : les gens ont des réactions si bêtes et méchantes qu’elles ne sont pas crédibles. Exemple typique : une famille survit à l’attaque, vient de traverser des rues pavées de cadavres pour enfin se réfugier dans un hôtel… tout cela pour que le fils de 16-18 ans se plaigne finalement que d’une seule chose — devoir dormir dans le même lit que sa sœur et sa mère.
Ces choix ont simplement oublié l’essentiel : raconter une histoire qui ait du sens et un but
Les personnages réagissent trop peu à la mort omniprésente autour d’eux, comme si l’effondrement de leur quotidien et de la société ne leur faisait ni chaud ni froid. Résultat, l’œuvre de Wells se retrouve déshumanisée. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, il est bien question d’une guerre entre deux mondes radicalement différents : c’est le thème central de la SF qu’est l’altérité. Or, ici, non seulement les extraterrestres sont gommés, mais l’humanité n’est que fantomatique. Il n’y a alors aucun enjeu, aucun choc, aucune rencontre profonde entre ces deux civilisations. Le scénario paraît vain tant il ne se passe rien et l’on ne s’attache à presque personne. « Mais à quoi bon ? » résume le mieux le sentiment final après chaque épisode.
En oblitérant beaucoup trop l’ADN science-fictif de l’œuvre originale, les choix scénaristiques ont simplement oublié l’essentiel : raconter une histoire qui ait du sens et un but. Les parcours et les états d’âme se ne suffisent pas à eux-mêmes. Un potentiel gâché car, encore une fois, l’ambiance post-apo angoissante très bien réalisée et le combo d’excellents acteurs posaient tous les ingrédients pour une interprétation viscérale de La Guerre des Mondes ancrée dans les problématiques de notre époque.
Sans être foncièrement ratée, l’adaptation est oubliable.
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