Depuis le 3 novembre 2019, une nouvelle série de fantasy est diffusée conjointement par HBO et BBC One : His Dark Materials. En France, vous pouvez la retrouver chez OCS, en VO comme en VF. La série est en fait une adaptation de la trilogie littéraire de Philip Pullman, connue en France comme À la croisée des mondes.
Dans ce monde magique, chaque enfant et adulte est accompagné d’un daemon, un être sous forme d’animal. Le lien est en réalité plus profond encore, car le daemon est comme une manifestation physique de l’âme. Ce monde est dirigé d’une main de fer par le Magisterium, autorité suprême. On suit l’épopée de Lyra, qui part à la recherche de son ami Roger, dans les contrées nordiques.
1. Toute la magie d’Harry Potter… avec de la science !
L’œuvre littéraire de Philip Pullman est souvent comparée, à raison, à Harry Potter. D’ailleurs, beaucoup de fans regrettent que les films adaptés de JK Rowling aient éclipsé le potentiel d’À la croisée des mondes. Mais les deux univers se complètement bien et Philip Pullman a marqué toute une génération de lecteurs et de lectrices.
Les deux aventures ont beaucoup en commun, à commencer par les personnages. Harry et Lyra sont tous deux des orphelins et leur aventure consiste à traverser la frontière qui les sépare d’un monde (voire plusieurs) où plus de choses sont possibles. Dans les deux cas, c’est un conte initiatique sur le passage de l’enfance à l’adolescence, puis de l’adolescence à l’âge adulte. Ce processus se fait par une grande part de magie, l’émerveillement est donc un point commun crucial des deux sagas.
Mais À la croisée des mondes ne relève pas que de la fantasy ou du fantastique. Son univers est assez proche du steampunk : dans un contexte similaire à l’époque victorienne, des technologies sont présentes, et même de la science. Lord Asriel, l’oncle de Lyra, un explorateur et chercheur érudit, fait d’ailleurs office de figure scientifique. Les technologies semblent d’ailleurs encore plus présente dans la série que dans le livre.
2. Un imaginaire politique profond
L’œuvre de Philip Pullman est, comme beaucoup d’ouvrages « jeunesse », bien plus profonde qu’il n’y paraît. Concernant À la croisée des mondes, le récit est même plutôt complexe politiquement. On y retrouve des réflexions de l’auteur sur la religion : sa narration est aussi biblique que critique. Le Magisterium incarne l’Église catholique, avec ses traditions, ses règles forgées dans le marbre, ses sortes de prêtres. Dans la saga, elle est clairement décrite comme une autorité oppressive, terrorisée par le changement. Le point de départ de l’histoire est la découverte d’une particule qui serait capable de briser la frontière entre les mondes ; ce que le Magisterium considère comme une hérésie — et il tente d’empoisonner l’explorateur qui l’a découverte.
Si le récit de Pullman est assez sombre dans son atmosphère, c’est parce que toute l’aventure est basée sur l’affrontement entre deux approches du monde : celui des enfants, Lyra et Roger, qui incarnent la lumière, la connaissance, la curiosité ; et celui du Magisterium, institution de l’obscurantisme, de la tradition et de la terreur. La présence des daemons est un support métaphysique à la critique de l’Église : le Magisterium cherche à séparer les enfants de leur daemon, et ce faisant il cherche à s’approprier leur être, leur âme.
Dans Catholic Culture, une chroniqueuse explique en 2001 : « Dans le monde de Pullman, Dieu lui-même (l’Autorité) est un tyran sans merci. Son Église est un instrument de l’oppression, et le véritable héroïsme consiste à les combattre. » Athée convaincu, Philip Pullman avait été sous le feu des critiques de certaines institutions chrétiennes aux États-Unis, en 2007, lors de l’adaptation cinématographique du premier tome.
3. L’héroïne indépendante
Les personnages de Philip Pullman sont imparfaits, l’héroïne la première, et c’est ce qui les rend si « vrais ». Intrépide et curieuse, Lyra a tout de même mauvais caractère. Elle est exceptionnellement intelligente… et elle le sait, ce qui la rend arrogante au possible. Son comportement peut parfois même être énervant.
Ce n’est pas pour autant qu’elle est antipathique. Son caractère représente la carapace qu’elle s’est forgée pour, en tant que jeune fille de 11 ans, affronter la brutalité du monde, dépasser sa solitude pour prendre le pouvoir sur elle-même et sur les autres. On admire de bout en bout son indépendance, sa capacité à prendre des initiatives. Et ses moments de vulnérabilité, d’émotion, n’en sont que plus intenses. Pour les fans d’Harry Potter qui n’auraient pas lu Pullman, imaginez Hermione et Harry en un seul et même protagoniste.
4. Une adaptation réussie digne d’un film
Dès le premier épisode de la série, on comprend que HBO et la BBC ont accompli un coup de maître. À la croisée des mondes bénéficie d’une adaptation qui semble largement à la hauteur, apte à faire honneur à l’oeuvre de Philip Pullman. Une réussite d’autant plus marquée que les lecteurs et lectrices des ouvrages remarqueront que la mise en place de l’univers semble très fidèle à la matière d’origine — avec juste ce qu’il faut de petites libertés pour le rythme télévisuel et la marge de manœuvre créative.
L’interprétation de Dafne Keen (vue dans Logan) est un atout indéniable pour His Dark Materials, tant la narration d’À la croisée des mondes repose sur sa personnalité. Elle est captivante à l’écran et on retrouve beaucoup la Lyra de Pullman avec laquelle on a grandi, à ceci près que sa personnalité est légèrement adoucie. James McAvoy se distingue tout autant à l’écran, un Lord Asriel énigmatique mais un peu rock ‘n roll.
Enfin, la production est sacrément léchée, fidèle aux plus grosses productions de HBO et de la BBC. Chaque plan est un tableau, aux couleurs tantôt chaleureuses en intérieur, tantôt mystérieuses dans le froid extérieur. Chaque scène est importante, utile, captivante. Les CGI des fameux daemons sont dignes d’un film, il n’y a absolument rien à redire en matière d’effets spéciaux. À suivre avec passion.
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